Black Metal Invitta Armata (B.M.I.A.): Le Réveil des Douze Césars



Quoi de mieux en cette fin de semaine italienne, que de parler d'une association dont on parle très peu mais qui a pourtant une importance considérable outre-alpes?


L'histoire du Black Metal, dès sa création, a été marquée par la création de diverses associations réunies pour une cause… ou une passion. Le premier et désormais célèbre mouvement norvégien, l'Inner Circle, était fondamentalement terroriste, c'était une protestation et une forte rébellion contre le christianisme, accusé d'avoir détruit les anciennes religions, us et coutumes des pays scandinaves. Vandalisme, incendies d'églises, profanations de cimetières, expéditions punitives contre d'autres groupes sont les particularités de ce mouvement extrêmement violent, que l'on a appelé pour cela la "Black Metal Mafia". À Naples, on coule les patrons dans du béton, en Norvège, on les menace par téléphone ou on leur rend des visites surprises.


Au contraire, les Légions Noires, en France, sont nées simplement pour produire de la musique, elles n'ont pas cette composante terroriste, elles ont en revanche le son typique (sale et inintelligible) des groupes qui en font partie. Il y a également - tout comme dans l'Inner Circle - une volonté de choquer, mais là l'objectif est de provoquer la souffrance avec un esprit rebelle et révolutionnaire contre une société. Des actes subversifs, comme aller s'isoler dans un manoir en pleine forêt…


Différent de l'Inner Circle ou encore du Pagan Front - principalement présent en Pologne, en Russie, en Allemagne et en France -, la Black Metal Invitta Armata (B.M.I.A.) utilise le Black Metal à des fins davantage intellectuelles, sans utiliser la violence à l'extérieur de l'art de la dizaine de groupes qui composent cette association. Cette dernière se rapproche donc plus des LLN que des mouvements scandinaves et panslavistes connus pour avoir usé de la violence dans leurs textes et leur attitude. Au contraire, seule la passion de l'Histoire anime les membres de la B.M.I.A. : ces derniers gardent leurs distances avec l'intention politique et les propagandistes pour analyser des questions appartenant aux domaines historique, artistique et culturel de la tradition italico-romaine.

Rappeler les épisodes passés, divulguer des questions spirituelles et ésotériques: c'est une approche conceptuelle que l'on voit souvent dans les groupes mais qui est moins présente dans les associations Black Metal. Ici, le courant musical est utilisé comme un moyen de susciter un intérêt pour l'Empire romain et de ne pas perdre un héritage qui concerne, sinon l'Italie, l'ensemble du monde méditerranéen et occidental. Comme nous allons le voir, cela ne présuppose pas des codes musicaux communs aux neuf groupes. La compilation "Signvm Martis", parue en 2007, et sûrement l'un des seuls témoignages de l'existence de ce mouvement - avec sans doute quelques textes et conférences, mais je n'en ai trouvé trace -, parait être un bon moyen de présenter ce qu'est la BMIA musicalement. C'est une sorte de manifeste d'une passion animant chacun des membres de l'association. Alors que l'Inner Circle tape comme un sourd sur la culture et cherche à la détruire, d'autres la mettent en valeur….

Neuf légions prêtes à en découdre ont chacune un morceau pour nous convaincre. D'habitude, certaines y arrivent, d'autres non:  dans les LLN, il y a des choses à jeter mais pas mal de bon à prendre. Ici, c'est que des choses de qualité, pas pour tous les goûts, certes, mais un quasi sans-faute.




"Signvm Martis" voit la participation de neuf groupes plus ou moins connus qui ont chacun composé un morceau inédit pour l'occasion. Les deux premières légions qui capteront l'attention de notre lecteur sont Spite Extreme Wing et Black Flame. Mais il y a aussi Frangar, Janvs et Tronus Abyss, pas célébrissimes mais connus sur la scène locale. Hirpus, Gladio, Hiems et Galaverna étaient en revanche inconnus au bataillon avant que je jette une oreille sur cette compilation. Je me méfie habituellement beaucoup de ce genre de production - c'est d'ailleurs la première compil' que je chronique -, cependant "Signvm Martis" sonne vraiment sincère et unique malgré l'influence parfois visible des scènes scandinaves.

Il ne faut pas reprocher à l'ensemble son caractère hétérogène, puisque la B.M.I.A. ne se définit pas par rapport à un style mais par rapport à un intérêt plus vaste et plus ambitieux encore. Une production à la gloire d'une époque qui n'est pas révolue de par sa longévité et son influence à travers l'Histoire. D'ailleurs, cet hommage est visible dès que l'on se penche sur la pochette, sobre et laide mais qui témoigne d'une volonté de reproduire les décors muraux des villas de Pompéi ou Herculanum. Une manière simple d'évoquer une période à la fois regrettée et célébrée.


Dès le départ, on sent que l'association ne se moque pas de nous et propose un Black Metal à la fois travaillé, efficace et intéressant. Une exigence que l'on connait bien chez les perfectionnistes de Spite Extreme Wing, l'une des formations les plus notables de la scène italienne au cours des années 2000. Actif de 1998 à 2008, le groupe génois a sorti trois monuments chez le label Avantgarde Music entre 2004 et 2008. Bien sûr, les paroles sont toutes en italien depuis la sortie de la demo "Arcano Incanto" en 2002. Les musiciens sont connus pour avoir utilisé toutes sortes d'instruments peu académiques dans le milieu Black Metal, comme le mellotron, par exemple. La précision, le jusqu'au boutisme et l'ambition de ce groupe dont l'histoire s'est terminée voilà déjà sept ans se reflètent dans le premier morceau de la compilation, 'Somnvs Leonis'. C'est d'une telle perfection mélodique, d'une telle violence et d'un tel niveau technique, qu'on se demande comment les autres participants vont pouvoir rivaliser. On voit les légions romaines se mettre en formation offensive, désignant du glaive le barbare menaçant. La bataille est entamée, impossible de revenir en arrière. Tout simplement épique et spectaculaire.




On poursuit avec Janvs, également signé chez Avantgarde Music et localisé à Gênes. Auteur de trois opus, le groupe se définit par rapport à ses thèmes lyriques: les luttes psychiques et spirituelles, les rêves et les apparitions. Son nom, qui renvoie au dieu romain à deux têtes Janus, maître des commencements et des fins ainsi que des choix, dont une face est tournée vers le passé, l'autre vers l'avenir, symbolise bien les préoccupations spirituelles et philosophiques du trio. À l'écoute de 'Pietas I', le morceau composé à l'occasion de la sortie de "Signvm Martis", on se rend compte que le Black Metal servi par les musiciens se rapproche plus des grands maîtres norvégiens; le son est atmosphérique et dépressif, mid-tempo, ce qui contraste vraiment avec le morceau précédent. Même si l'atmosphère est plus nordique que péplum, elle retranscrit bien les propos en musique, et on ne peut pas reprocher au groupe de se détacher de ses racines pour autant. Tout bonnement lugubre, même si ça présente le danger de faire pâle figure à côté de la démonstration précédente. Tout dépend des attentes de l'auditeur mais quand on écoute une compil', il faut comprendre le projet et le fil conducteur pour apprécier! Tout comme un album, d'ailleurs, mais l'hétérogénéité doit être davantage tolérée dans ce cas…

Black Flame est un grand nom du Black/Death Metal italien, les Piémontais se sont formés en 1999 et ont depuis terrorisé le Nord de l'Italie à six reprises, la dernière ayant été commentée par Kalhan dans sa chronique de "The Origin of Fire", qui se lit >>ICI<<. On sent l'influence de Marduk et Behemoth sans qu'il y ait le plagiat tant attendu. Le quatuor, dont fait partie M:A Fog (batteur de Janvs, mais aussi  d'Opera IX depuis 2014), a même un petit quelque chose en plus, davantage viscéral, sale et agressif que les deux poids lourds que nous venons de citer. À grands coups de blast-beats, les musiciens nous livrent un morceau carré et burné du nom de 'Princeps Hvivs Mvndi' qui rappelle la période "Imperivm", sans doute la meilleure offrande Black/Death nous venant de la scène italienne. Ça bourrine, ça tabasse, ça re-bourrine avec une technique impressionnante sans tourner à la démonstration.




Retour au congélateur avec Hiems, le side-project du bassiste de Forgotten Tomb qui inclut également des membres de Spite Extreme Wing. 'Averno' est un titre s'inscrivant dans la lignée de leur album "Cold Void Journey" qui est un manifeste italien de TNBM à la Satyricon: glacial, obsédant, répétitif et tourmentant. C'est plaisant. Quand on a dit ça, on a tout dit.

Tronus Abyss, fondé en 1994, est la plus ancienne des formations présentes sur cette compilation. Son morceau, 'Mors Jvsti', est dans la continuité du tournant opéré dans le style du duo, qui a abandonné son Black/Folk médiéval des débuts pour s'orienter vers un Black Metal dans une veine industriel. La piste en question est assez lente, avec des nappes de synthés qui sont la seule ornementation sur cette musique à la fois dépouillée et volontairement affadie pour donner cette atmosphère totalement édulcorée. Cela nous plonge dans un univers radicalement différent dans ce morceau de six minutes:




Frangar, formé en 2000, nous flanque une raclée monumentale sur 'La Grande Orma', une démonstration de ce que le Black/Thrash sait faire de mieux. On sent le groove et on est happé par le démon habitant le vocaliste. On est manipulé par cette guerre déclarée, Frangar accélère un tempo entrecoupé de discours totalitaires. Totalement attirant, engageant et violent. Ça excite le désir et ça prend aux tripes. Démoniaque!

Gladio m'étaient totalement inconnus avant que je découvre "Signvm Martis" et le collectif B.M.I.A. Pour la simple et bonne raison qu'on ne peut trouver aucune production du groupe sur Internet. Et c'est bien dommage, car Gladio, c'est totalement fou. La dizaine de minutes que l'on peut entendre du combo sur cette compil', nous fait vaguement penser à du Black norvégien à la Kampfar, avec une voix très particulière, souvent claire mais diablement inquiétante, indéniablement théâtrale. Gladio pousse encore plus loin que Frangar et l'énergie est présente. Mais c'est un WTF sans nom. Une véritable curiosité qu'il faut écouter pour se rendre compte du génie et de la cohérence, malgré une apparence chaotique et frénétique. Du Black métal furieux et exubérant!




Hirpus, installé dans la capitale italienne, est le seul groupe véritablement romain présent sur "Signvm Martis. L'ambiance change radicalement avec ce duo mené par Marco et Daniele, auteur d'un unique opus paru en 2005 et intitulée "Ianuaria", qui chante la nature païenne et les légendes romaines. Hirpus met par terre tous les efforts entrepris par les participants précédents de cette compil' en mettant en avant le Black Metal dans son essence la plus originaire: on se rapproche des atmosphères mortifères et spectrales typiques du genre, avec des claviers qui viennent se rajouter aux lignes lancinantes des guitares, à la manière des pionniers norvégiens du Black symphonique. Le vocaliste met en avant ce côté maléfique avec son chant criard, ce qui n'est pas nouveau mais qui sied bien au courant dans lequel s'inscrit Hirpus. 

Le Dark Ambient de Galaverna - encore un groupe totalement underground - achève de nous émerveiller avec mystère et mélancolie. Étrange, 'Delenda Carthago' donne des accents cosmiques à la compilation et conclut le disque avec douceur. Ce morceau possède une facette spirituelle qui, malgré une simplicité apparente, nous immerge dans la métaphysique romaine. Après tant d'énergie déversée, nous finissons une découverte originale de la culture romaine dans le ciel des Idées platonicien, cher à Sénèque et Cicéron.





Cette compilation, l'un des seuls vestiges de l'oeuvre de la Black Metal Invitta Armata, nous intéresse d'une autre manière à l'Histoire et à la culture romaine, et nous donne également une idée de la diversité et de la richesse de la scène Black Metal en Italie. Rien à jeter dans ce "Signvm Martis" qui témoigne de l'inventivité d'un mouvement dédié à la gloire de la Rome antique. On espère que ce modeste article aura donné à notre lecteur l'envie et l'intérêt de se pencher sur une scène à la fois étrange, occulte et mystérieuse.


Tom


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