Tracklist :
01. Vision in the Shroud - 04:21
Streaming intégral :
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Si la scène death metal anglaise n'a pas le même niveau de notoriété que celles de Floride ou de Suède, elle peut quand même se targuer d'avoir vu fleurir pas mal de pointures. L'une des principales particularités de cette scène, que la suédoise partage en partie avec elle, est son entrelacement avec le développement du crust punk et du grindcore durant la deuxième moitié des années 80, de sorte que plusieurs groupes anglais ont démarré dans un registre très punk hardcore/crust, dans la lignée de groupes comme Discharge, GBH, Antisect ou Amebix, avant d'inclure des éléments metal extrême puisés chez Motörhead, Celtic Frost, Venom ou Possessed à partir de 1986-1987. Si l'exemple le plus connu de cette trajectoire est évidemment Napalm Death, des groupes comme Carcass ou Bolt Thrower ont également suivi des chemins similaires, bien que leur phase purement hardcore ait duré moins longtemps et n'ait surtout pas intégré autant d'éléments indus ou noise rock que Napalm Death.
En 1989, cette identité death metal anglaise fortement hybridée avec le punk hardcore était donc déjà bien établie, et pouvait se targuer de quelques sorties de renom. C'est dans ce contexte d'ébullition créative, dans l'un des foyers historiques du metal, Birmingham, qu'a émergé l'un des futurs cadors de la scène britannique, Benediction. Si ce groupe partageait un large héritage metal extrême et punk hardcore commun avec les pères fondateurs de la scène anglaise déjà cités, son style était plus informé des dernières sorties death américaines, notamment celles de Death, Morbid Angel, Autopsy ou Massacre. C'est donc dans ce registre "2/3 death 1/3 grindcore" qu'officiait Subconscious Terror, le premier album de la bande, sorti en 1990, un véritable concentré de férocité montrant déjà de belles promesses, malgré une production brouillonne mettant mal en avant la qualité des compositions. L'un des principaux atouts de ce disque était sans aucun doute son vociférateur en chef, un certain Mark "Barney" Greenway, dont le chant équilibrait parfaitement le côté caverneux des voix death et la hargne du punk hardcore.
Cependant, si je puis me permettre une courte métaphore footballistique, quiconque suit la Premier League sait que lorsqu'une petite pépite réussit une saison prometteuse dans un club comme Bournemouth ou West Bromwich, les gros cadors tels Chelsea, Manchester City ou Liverpool ne tardent pas à frapper à la porte pour s'attacher ses services. Et dans le cas de notre jeune Barney, le cador s'appelait Napalm Death, en miettes après avoir perdu la moitié de son effectif dans un nouveau mercato agité (zut, j'avais dit que je faisais court avec le foot). Sans se fâcher avec ses ex-coéquipiers, Barney rejoint donc un Napalm Death sur le point d'embarquer pour le temple mondial du death metal, les Morrisound Studios de Tampa, Floride, pour y enregistrer ce qui reste à ce jour l'album le plus death de leur discographie, et qui leur fera accéder à une renommée mondiale. Quant aux membres de Benediction, ils parviennent à rapidement trouver le remplaçant idéal à Barney, un certain Dave Ingram, natif de Birmingham et totalement en phase avec l'approche hybride death-grind typique de la région. Ensemble, cette nouvelle incarnation de Benediction enregistre son second album, qui sort en 1991 sous le nom de The Grand Leveller.
Premier constat, le nouveau venu Dave Ingram remplace si bien Barney Greenway qu'on peine à croire qu'il y a eu changement de chanteur. Son approche du growl est quasi rigoureusement la même que celle de son prédécesseur, aussi bien dans les moments les plus caverneux que dans les plus enragés, à se demander comment le centre de formation de Birmingham parvient à produire autant de talents. Deuxième constat, le groupe bénéficie enfin d'une production digne de la qualité de ses compositions : la batterie est nettement mieux mixée que sur Subconscious Terror, où elle couvrait tout le reste, ce qui permet de mieux apprécier les riffs, tous plus dévastateurs les uns que les autres.
Musicalement, on note également un tournant doom/death assez marqué, et l'adoption d'un riffage très Celtic Frost-ien, un aspect qui, certes, était déjà présent sur le précédent disque (notamment sur le morceau Suspended Animation), mais qui prend nettement plus d'ampleur sur The Grand Leveller. Globalement moins explosifs et plus longs, les morceaux multiplient les plongées dans les abysses les plus lugubres, faites de grognements profonds, de riffs pesants et de rythmiques pachydermiques. Dans un ensemble aussi monolithique, il est difficile de mettre un titre plus en avant qu'un autre, mais s'il fallait le faire, cet honneur reviendrait sans doute à Jumping At Shadows, tant son alternance entre vrombissements infrasoniques plombants et accélérations frénétiques est brillamment exécutée, le genre de morceau qui montre à lui seul à quel point Benediction venait clairement de basculer dans la cour des grands à cette époque.
Généralement, quand une équipe perd son enfant prodige, elle peut soit sombrer dans l'oubli, comme Blackburn après le départ d'Alan Shearer, soit au contraire se sublimer jusqu'à vivre son plus bel âge d'or, comme Liverpool après le départ de Michael Owen. Fort heureusement pour Benediction, c'est bien la deuxième situation qui s'est produite après le départ de Barney Greenway pour Napalm Death. L'intégration réussie de Dave Ingram au micro, conjuguée à un progrès net dans la qualité musicale et la production, a propulsé Benediction parmi les cadors du death metal anglais, bien que la renommée internationale du groupe restât encore inférieure à celle de ses compatriotes Bolt Thrower, Carcass et Napalm Death.
On aurait alors pu penser que le tournant doom/death lourd et caverneux pris sur The Grand Leveller marquerait le début d'une époque, et définirait un son classique que le groupe reconduirait encore sur deux ou trois albums, mais il n'en a rien été. Dès le disque suivant, Transcend The Rubicon, sorti en 1993, Benediction reviendra en effet à un death beaucoup plus explosif et grindcore dans l'âme, plus en phase avec le style pratiqué sur Subconscious Terror, la qualité de la production en plus. Et si The Dreams You Dread ralentira à nouveau le tempo en 1995, ce sera dans un esprit nettement plus groove/hardcore que doom, un choix qui froissera par ailleurs de nombreux fans de la première heure. Ainsi, dans une discographie en perpétuelle évolution, The Grand Leveller conserve une place à part, une plongée dans les ténèbres telle que le groupe n'en proposera plus jamais ensuite, et que peu d'autres groupes réussiront aussi bien.
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