Interview | Sadako, SCARE THE CHILDREN (Horror Metal - Chine)

Scare the Children est un groupe de metal horrifique qui mêle récits glaçants et performances théâtrales. Entre mélodies hantées et visuels grotesques, ils donnent vie à de véritables cauchemars immersifs sur scène.

Basé à Pékin mais composé majoritairement d’expatriés, le groupe s’est imposé sur la scène metal locale, avant d’exporter son univers terrifiant au-delà des frontières. Entrez dans le cauchemar — Scare the Children vous attend…

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Scare the Children, bonsoir (oui, imaginez que c’est le soir, c’est pour vous mettre dans l’ambiance — et si vous lisez ça le soir, c’est parfait). Pour commencer de façon très originale : pouvez-vous vous présenter ?

Sadako : Bonsoir, et bienvenue dans notre cauchemar. 

Nous sommes Scare the Children, un groupe de horror metal basé à Pékin. Je suis Sadako, la voix sous le voile. Celle qui hurle nos histoires derrière son masque, entre ombre et lumière. Sur scène, je donne vie à nos contes les plus étranges.

On mélange le metal — du metalcore à l’extrême — avec des ambiances horrifiques, inspirées autant du cinéma que du folklore. Sur scène, chacun de nous incarne un personnage. C’est un mélange de musique, de théâtre et de rituel. On veut que chaque concert vous emporte dans un monde étrange, intense, où les monstres ont des choses à dire.

Vous avez récemment eu d’importants changements de line-up. Quel impact cela a-t-il eu sur le groupe ?

: Comme dans tout bon film d’horreur, certains personnages disparaissent… et d’autres arrivent.
Le changement de line-up a été une épreuve, mais aussi une renaissance. Les nouveaux membres ont apporté une énergie neuve, des idées fraîches et une dynamique encore plus puissante. On est plus soudés que jamais, et musicalement, ça s’entend : c’est plus agressif, plus sombre, plus précis.

Vous êtes principalement composés d’expatriés en Chine. Comment vous êtes-vous fait une place dans la scène locale ?

: En faisant ce qu’on sait faire de mieux : créer quelque chose de différent. La scène locale est très vivante, très diverse, mais on est arrivés avec un univers qui n’existait pas encore ici. C’était un pari — et on a été surpris par l’accueil. On a bossé dur, on a joué partout, des petits clubs aux festivals, et surtout : on a respecté la scène. Aujourd’hui, on est fiers de faire partie de cette famille.

Comment réagit le public chinois à votre imagerie et votre musique, très marquées par l’esthétique de l’horreur et assez peu courantes au sein de cette dernière ?

: Il y a d’abord la surprise, parfois la peur, et puis… la curiosité. L’esthétique horrifique n’est pas aussi répandue ici, mais le public adore les histoires. Et nous, on raconte des contes. Des petits récits tordus, sombres, presque poétiques parfois — avec des monstres, des malédictions, des symboles. C’est ça qui parle : le côté narratif.
Nos chansons sont comme des courts-métrages d’horreur, chacun avec son décor, son ambiance, son message. Le public chinois, une fois plongé dedans, suit le fil. Et souvent, il en redemande.

Musicalement, j’aime décrire votre musique d’horrorcore tant les influences sont nombreuses (du metalcore au metal extrême, le tout dans un écrin horrifique). Comment faites-vous pour mêler toutes ces influences ?

S : On ne se fixe pas de frontières. Chacun de nous a ses racines : death, black, metalcore, indus, punk, prog… Et plutôt que de choisir, on construit des morceaux comme des histoires. L’intensité du death peut se mêler à une ligne mélodique gothique, une rythmique metalcore, un cri venu d’un cauchemar… Tout est au service de l’émotion qu’on veut transmettre.

Restons sur l’horreur. Votre palette cauchemardesque va de l’Asie à l’Occident. Quelles sont pour vous les principales différences entre l’horreur chinoise — et plus largement asiatique — par rapport à l’horreur occidentale ?

S : En Asie, et particulièrement en Chine, le surnaturel est encore profondément ancré dans les croyances populaires. Il n’est pas juste une fiction : les esprits, les malédictions, les âmes errantes… ce sont des choses qu’on prend au sérieux, qu’on respecte, parfois qu’on craint réellement.

En Occident, le surnaturel s’est peu à peu déplacé dans le domaine du divertissement. On l’utilise surtout dans les films, les jeux, parfois dans le folklore rural ou les traditions, mais il est moins présent dans le quotidien. Du coup, en Asie, l’horreur est plus subtile, plus silencieuse, plus chargée de symboles qu’on n’ose pas défier. Tandis qu’en Occident, elle est plus frontale, plus esthétique, plus libérée — parfois plus provocante aussi.

Nous, on aime jouer sur cette tension entre les deux mondes.
De façon plus générale, qu’est-ce qui vous inspire ?

: Ça dépend vraiment du moment.

Pour Tales, on s’est inspirés des contes d’horreur à la Contes de la Crypte — des petites histoires effrayantes, avec des personnages marquants et des twists sombres. C’était très narratif, presque théâtral.
Les nouveaux morceaux, eux, vont plus loin dans l’intime. Ils sont basés sur mes cauchemars, nos peurs, et sur ce côté psychologique qu’on expérimente tous : les doutes, les voix intérieures, les fractures mentales.

L’horreur, au final, c’est aussi ça : ce qui se passe dans nos têtes.

Quelle est la place de la Chine dans celles-ci ?

: La Chine a clairement influencé notre univers dès le début. C’est en observant à quel point le public ici aimait le côté théâtral, les petites histoires sombres, les symboles visuels… qu’on a eu l’idée d’utiliser les costumes et de pousser plus loin notre imagerie.

Le folklore ici est très riche, et l’horreur est présente — que ce soit dans les croyances ou même au cinéma. On voit souvent des films d’horreur locaux à l’affiche, et les thèmes surnaturels y sont souvent traités avec beaucoup de respect.
D’ailleurs, on réfléchit actuellement à un concept autour du surnaturel en Chine pour de futurs morceaux. Il y a beaucoup de matière, et ça nous inspire énormément.

Je n’ai jamais interviewé de groupe masqué. J’aimerais savoir ce qui pousse les musiciens à revêtir des masques ? Que symbolisent-ils ?

: Les masques et les costumes qu’on porte représentent des personnages issus des chansons de Tales. Ce sont des créatures, des figures symboliques liées à nos histoires, qui prennent vie sur scène.
Mais au-delà de ça, c’est aussi un exutoire. Le masque nous libère, il nous permet de devenir quelqu’un d’autre. On entre dans un rôle, dans une émotion, et ça crée une distance avec le quotidien.

Et pour le public, ça suscite toujours une forme de curiosité. Qui sommes-nous ? Pourquoi ce masque ? Quel rôle joue-t-il dans l’histoire ? Ça ajoute une autre dimension à l’expérience.

Sur votre dernier album Tales, vous avez une « reprise » de la comptine Frère Jacques. Pourquoi avoir choisi celle-ci pour en faire une version plus terrifiante ?

: On trouvait ça assez logique de reprendre une berceuse, un chant familier, pour le rendre plus sombre. Frère Jacques est universellement connue, et en Chine, il existe même une version différente de cette chanson, qui s’appelle Deux Tigres (两只老虎) — les enfants grandissent avec cette mélodie, donc elle fait partie du folklore.

Ce contraste entre la douceur d’une comptine et le côté terrifiant qu’on y ajoute crée une tension intéressante. C’est ce mélange d’innocence et de peur qui nous fascine, et qui, on l’espère, frappe l’imaginaire du public.


Quelle est sa réception par un public qui n’a pas été bercé dans son enfance par celle-ci et qui n’a donc pas son contexte culturel d’origine pour la comprendre ? Comment transmettre à la fois son sens d’origine et sa portée cauchemardesque ?

S : On commence avec le riff principal joué sur un xylophone, et souvent le public chante dans la langue qui lui parle. Puis, tout à coup, ça part relativement violemment. La réaction est toujours incroyable à observer sur scène, c’est comme si l’auditeur passait d’un moment de douceur à une immersion brutale dans l’horreur — et c’est fascinant à chaque fois.

Sur votre dernier morceau, l’influence électronique est plus présente avec des effets d’ambiance plus marqués, qui me rappellent Devil May Cry par moments, avec cette atmosphère plus « gothique » (au sens large) qu’horrifique. Est-ce la nouvelle direction de Scare the Children ?

: On ne réfléchit pas trop à une direction spécifique, on n’aime pas se répéter. La façon dont on compose est plus une bande-son qui s’ajuste aux paroles.

Sur ce morceau, on voulait vraiment capturer ce feeling — une électro festive, un peu stressante, qui correspond à l’intensité de la chasse décrite dans la chanson. Ce côté électronique se mêle à l’atmosphère tendue et s’intègre parfaitement au thème.


Quels sont vos projets pour le futur ?

S : Pour les concerts, on commence par une première partie de tournée en Chine, suivie d’une deuxième partie. On réfléchit à retourner jouer au Japon, et on aimerait essayer l’Europe l’année prochaine.

En ce qui concerne la musique, on explore toujours des thèmes psychologiques, mais plus dans l’idée de dérangement et d’inconfort — ceux qu’on rencontre tous — mais transformés en contes horrifiques. Toujours basés sur des cauchemars.

Je vous laisse le dernier mot !

S : Dormez bien… si vous y arrivez.
Et surtout : n’ayez pas peur du noir.
C’est là que la vérité se cache.

Merci pour l’interview.
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Questions : Morgan

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