Interview | GRIST (Grindcore - France)

Une ambiance.

Cela pourrait sembler curieux pour un album de Grind, mais si j’aime autant Garden Of Aeolus de Grist, c’est pour l’atmosphère qui s’en dégage, pour l’univers qu’il convoque. Un univers fait de tunnels de métros parisiens et de vadrouilles nocturnes dans une ville gorgée de têtes cassées.

Entendons-nous bien : c’est violent, rapide et chirurgical. La production claque, les blasts et les breaks hardcore fournissent l’adrénaline qu’on attend pour un album du genre. Garden Of Aeolus contient tout cela, ce qui en fait un excellent album de Grind.

Mais ce qui le distingue des autres, c’est cette âme, cette identité, cette ambiance singulière, tissée à travers des passages tortueux, des interludes glauques, des samples dérangeants, ainsi qu’une intro et une outro particulièrement saisissantes. Cela confère à l'album une dimension presque cinématographique.

Conçu comme une œuvre globale, Garden Of Aeolus est riche en textes sur le Paris des bas-fonds, accompagné d’une identité visuelle soignée (voir les teasers et visuels faisant référence au graf de nuit dans Paris), et d’une âme qui le distingue des autres albums du genre.

Suivez les pas de Grist, dans les sombres et crasseuses ruelles de Paris et écoutez ces guides...
____________________________

Peux-tu revenir sur la conception de cet album ?

Nico : Ça a été une vraie galère. L'enregistrement s'est étalé sur une longue période, c'était éprouvant. Entre un changement de line-up, la vie personnelle, le travail, un PC qui crame avec toutes les guitares enregistrées, une crise sanitaire... C'était compliqué. Finalement, c'est un peu à l'image de la vie du groupe. Parfois, je me dis qu'on aurait dû s'appeler "Mauvais Œil". Mais on est contents de pouvoir enfin le partager.

Comment s'est passé l'enregistrement ?

N : Entre City of Plights et ce nouvel album, j'ai pu m'impliquer davantage dans la production. Après la perte de mon PC, j'ai acheté un Mac et le même logiciel que notre ingé son, ce qui m'a permis d'avoir un autre regard sur l'enregistrement. J'ai pu voir ce qui n'allait pas. Je pense que notre ingé son n'était ni assez familier avec notre style, ni assez impliqué. Un grand merci à Étienne de Karras, qui a mixé l'album et sauvé les meubles, ainsi qu'à William pour le mastering.

Peux-tu revenir sur la place du graf dans l'univers de Grist ?

N : La meilleure amie de ma première copine s'y était mise à la fin des années 90, début 2000, et c'est un univers qui m'a vite fasciné. J'apprécie beaucoup les lettrages harmonieux de cette époque. Esthétiquement, j'aime ce qui est simple et efficace, avec une touche old school. Malgré toutes les sanctions et mesures prises, le graffiti ne s'arrêtera jamais. Il y aura toujours des gars pour taguer Paris, comme il y aura toujours des deals de rue. Depuis le COVID, ça a explosé. En quarante ans de vie à Paris, j'ai découvert de nombreux milieux, dont celui du graffiti. J'ai des potes qui nous emmènent dans leurs aventures et qui nous dédicacent de temps en temps.


Qu'est-ce qui t'attire autant dans le graf ?

N : C'est un truc de niche. Tout le monde a déjà vu un tag, mais peu de gens s'y intéressent vraiment. Il y a tout un univers et une démarche derrière. J'ai beaucoup de respect pour ceux qui prennent des risques pendant des années, sacrifiant parfois beaucoup, et qui finissent par vivre de ça. Il y a eu une époque où le tag à Paris rimait avec dépouille et bastons entre crews, où une certaine violence faisait partie du jeu. C'est un univers qui me passionne depuis longtemps, et je suis très heureux que des amis aient participé au trailer.

Quels liens fais-tu entre le graf et le grind ?

N : Pour moi, le graf est une forme de violence. Tu imposes ta marque dans un endroit où ce n'est pas permis. Un métro tagué de bout en bout, c'est visuellement très agressif. Je fais un parallèle avec ce qu'on fait : un coup de fatcap sur un métro, c'est aussi violent qu'un blast à 240 BPM. Que ce soit le graf ou le grind, il y a toujours une certaine forme de violence.

En quoi l'album No Surrender de Kickback a-t-il influencé ta musique ?

N : Je ne m'étais jamais vraiment intéressé à Kickback. Je connaissais leur réputation, mais musicalement, ce n'était pas trop mon truc. J'ai rencontré Hervé (Goardou, le batteur sur No Surrender) par un ami commun. Un jour, chez lui, il m'a fait écouter l'album, et on peut clairement dire que ça a influencé ma manière de composer.


Qui est à l'origine des machines sur tes albums ?

N : J'avais aimé ce que Judicael (AK) avait apporté à Diapsiquir sur Virus STN. On a sympathisé, et je lui ai demandé d'ajouter des ambiances sur un de nos morceaux pour City of Plights. Il a réitéré sur "Wrong Glass", du dernier album. Il n'est pas impossible qu'on collabore à nouveau pour un prochain enregistrement.

Peux-tu revenir sur la collaboration avec Le Syndicat Électronique ?

N : J'ai connu Le Syndicat Électronique via une connaissance qui a réalisé plusieurs vidéos de graffiti dans les années 90-2000. C'est une référence dans l'électro underground, active depuis plus de vingt ans. Le courant est bien passé, et je lui ai proposé de collaborer avec nous sur l'album. Tout s'est fait très simplement.

Considères-tu toujours Grist comme un groupe de grind à part entière ?

N : J'admire les groupes de grind comme Warfuck ou Chiens, qui réussissent à sortir des albums très homogènes. Mais de mon côté, j'ai besoin de plus de liberté dans la composition. Les blasts resteront toujours prédominants chez Grist, mais si mon humeur m'amène ailleurs, je veux pouvoir suivre cette voie sans me limiter.

Peux-tu nous parler de l'outro de l'album ?

N : Ce morceau me tient particulièrement à cœur. Un de mes meilleurs amis s'est suicidé il y a deux ans, et j'ai retrouvé cet enregistrement après sa mort. Si tu écoutes bien, tu peux entendre qu'il s'agit d'une session de graf sur le périph. J'ai demandé au gars du Syndicat Électronique d'habiller ce moment, et j'adore l'ambiance qu'il a su retranscrire. Entre les bruits du périph, les sprays... Il y a un côté très cinématographique.

Qui est à l'origine de cet artwork ?

N : L'artwork est inspiré du tableau La Mort s'invite à table de Giovanni Martinelli, une œuvre du XVIIe siècle. On y voit un homme qui s'est trop goinfré, rappelé à l'ordre par la mort, représentée sous forme de squelette, avec une horloge. L'artiste que nous avons contactée, Flamberge Illustrations, l'a redessiné pour qu'il corresponde davantage à notre univers et à notre époque.

Il y a une reprise de Nasum sur cet album. Quel est ton rapport à ce groupe ?

N : J'ai rencontré Jon il y a quelques années. On avait enregistré une reprise de Sayyadina (son autre projet) en 2015, que je lui avais envoyée. Il était partant pour poser sa voix dessus. Il était surpris que des gens pensent encore à ce groupe aujourd'hui. Ma sœur habitait à Stockholm à l'époque, et je devais lui rendre visite, alors je lui ai proposé qu'on se rencontre. Finalement, on a tout fait sauf enregistrer. Chez lui, il m'a montré des reliques de Nasum : des cahiers, des tablatures... J'adore le morceau "The Deepest Hole" de Nasum, qu'il avait composé pour l'album Shift. Il me l'a appris, et c'est comme ça qu'on a fini par inclure cette reprise dans l'album.

Difficile de se promener dans Paris sans tomber sur un sticker du groupe. Peux-tu nous en parler ?

N : C'est un moyen de communication comme un autre.


Nous avons également demandé à Julien, le chanteur du groupe, de revenir sur les textes qu’il a écrits pour cet album :
 
  • Garden of Aeolus
Quand j’ai intégré Grist, Nico ne m’a donné qu’une seule indication pour les textes : « Paris crado ». À l’époque, on avait une amie commune qui était éducatrice spécialisée dans la région parisienne, et grâce à ses expériences pro, on a eu droit à beaucoup d’anecdotes sur des profils marginaux de tous genres… C’est devenu un peu le fil rouge des thématiques abordées dans Grist : Paris, gigantesque cour des miracles. J’ai écrit les textes du point de vue d’une âme errante qui parcourt les rues. Cela parle de personnes qu’on a croisées, de soirées qu’on a vécues, de choses arrivées à nous ou à des proches, toujours en veillant à préserver leur anonymat en ayant recours à des métaphores ou en changeant quelques détails pour que personne ne soit identifiable. Les récits de chaque texte sont toujours réels, vécus, ce ne sont que des anecdotes authentiques.
  • Wrong Glass
Cela parle des ordures qui mettent des produits dans les verres en soirée. J’ai écrit ce texte après m’être réveillé au cinquième sous-sol d’un parking, sans mes affaires, sans rien. J’avais probablement bu dans un verre qui ne m’était pas destiné, et s’il ne m’est rien arrivé de grave en soi, ça m’a poussé à évoquer ce sujet à ma manière. Ce genre de pourritures a tout à fait sa place dans la musique de Grist, qui est un bel exutoire pour moi.
  • Play Dead
Ce morceau parle de façon globale des justiciers du net. Ce phénomène est apparu dès les débuts d’internet, en réalité. On en parle parfois avec des potes dans la scène Metal. Il y avait ceux qu’on voyait aux concerts, et ceux qu’on voyait sur les forums. Deux populations souvent bien distinctes. Plus largement, c’est quelque chose que beaucoup ont pu constater : le révolutionnaire d’internet ne se retrouve pas toujours dans des actions concrètes ou dans la rue, bien que tout existe dans ce monde.
  • Test Strip
Texte un peu plus crade : cela parle d’un soupeur de la rue du Faubourg du Temple. Un type bien sous tous rapports, qui a été vu par un pote en train de racler de la pisse dans le caniveau avec un mouchoir usagé pour son goûter. Paris crado, on a dit…
  • Facilities
Anecdote que tous mes potes connaissent : après avoir rendu mon mémoire de master, nous avons joué avec Zubrowska au Motocultor, et j’ai un peu picolé ce soir-là. Sauf que je sortais de quatre nuits sans vraiment dormir… Je me suis réveillé à l’hôpital, dont je me suis échappé, pour finalement terminer en garde à vue, à la gendarmerie de Vannes… La team Gorod, avec qui je jouais le lendemain en Belgique, a dû attendre la fin de la GAV pour qu’on puisse donner notre concert le soir même. Dignité, quand tu nous tiens !
  • My Chapel
Ce texte parle de la colline du crack à Paris, de la porte de la Chapelle (d’où le nom du morceau). Le sujet évoqué est le scandale du jardin d’Éole et des choix politiques désastreux de cette incroyable propension à balayer sous le tapis en se donnant une attitude bienfaisante. D’où le nom de l’album. Je me suis permis une vision sociale de la situation. À traiter les gens comme du bétail, on n’obtient rien de bon. Telle est la vision du monde dépeinte dans l’ensemble des textes de cet album.

____________________________
Tose

Commentaires