Chronique | BATHORY - Blood Fire Death (Album, 1988)

Bathory - Blood Fire Death (Album, 1988)

Tracklist :

01. Odens Ride over Nordland - 03:14 
02. A Fine Day to Die - 08:49 
03. The Golden Walls of Heaven - 05:14 
04. Pace 'till Death - 03:40 
05. Holocaust - 03:24 
06. For All Those Who Died - 04:55 
07. Dies Irae - 05:04 
08. Blood Fire Death - 10:33

Streaming intégral :

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Peu pris au sérieux et parfois caricaturés comme une vulgaire copie de Venom par la presse spécialisée à leurs débuts en 1983-1984, les Suédois de Bathory ont très vite gagné le respect, aussi bien du public que de cette même presse. Un premier pas a été franchi en 1985 avec la sortie de The Return, qui montrait une synthèse nettement plus aboutie des éléments speed metal et punk du premier album, et surtout un tournant extrême, brutal et glacial qui posait largement les bases de ce que deviendrait le black metal durant les années suivantes, en plus d'avoir un impact non moins important sur la scène speed-thrash allemande, beaucoup plus au fait des sorties extrêmes scandinaves que son homologue américaine. En 1986, c'est avec une équipe renouvelée que Thomas Börje Forsberg, alias Quorthon, l'énigmatique tête pensante du groupe, enregistre Under The Sign Of The Black Mark, un album qui bâtit sur les acquis de The Return, mais qui introduit également quelques sonorités épiques (principalement sur le légendaire morceau "Enter The Eternal Fire"), un tournant décisif dans la carrière du groupe. Ce disque sort en 1987 et s'impose comme le véritable instant de basculement entre les pionniers du metal extrême de 78-86 et la dite 2nde vague black metal post-87, en particulier norvégienne, à laquelle l'album fournit quasiment tous les ingrédients.

En 1988, c'est acté, Bathory devient un projet solo exclusivement dominé par Quorthon, à la fois chanteur, guitariste, compositeur et producteur. Après plusieurs mouvements de personnel et après avoir définitivement stoppé les performances scéniques en 1985, Quorthon choisit de ne plus recruter de membres à plein temps, préférant solliciter divers musiciens de studio, qu'il crédite invariablement par les pseudonymes Kothaar pour la basse et Vvnornth pour la batterie, sans jamais citer les noms des multiples musiciens ayant joué sous ces pseudonymes. Cette période voit également pas mal de chamboulement dans la bulle metal extrême, où les futurs courants s'individualisent de plus en plus de la matrice post-NWOBHM-punk commune. Le thrash metal est devenu un genre grand public et bénéficie d'une visibilité médiatique importante, tandis que les groupes restés plus extrêmes choisissent d'intensifier soit leurs côtés les plus brutaux et cisaillants, marchant vers le death metal, soit de privilégier leurs côtés plus froids et sombres, marchant vers le black metal. Dans un contexte pareil, il est généralement difficile pour les pionniers de se positionner, ceux-ci hésitant souvent entre se joindre à la vague qu'ils ont créée et conserver leur singularité. Concernant Bathory, la réponse arrive en octobre 1988 avec la sortie de Blood Fire Death, orné en guise de pochette du tableau du peintre norvégien Peter Nicolai Arbo représentant une chasse fantastique dirigée par Odin, qui tranchait radicalement avec l'imagerie satanique post-venomesque des pochettes précédentes, une transition vers une esthétique ostensiblement païenne scandinave qui donnait déjà un indice sur l'orientation musicale de l'album.

Ce pressentiment est confirmé dès les premières minutes de l'album avec une introduction d'inspiration folk scandinave qui se distingue nettement des introductions plus démoniaques des 3 premiers albums. Quant à ce qui arrive ensuite, il n'existe pas de superlatif assez intense pour en décrire la grandeur ! À ses deux extrémités, l'album contient deux grandes pièces épiques, bâtissant sur les bases d'"Enter The Eternal Fire", mais en nettement plus soigné, inspiré, brillant. La première se nomme "A Fine Day To Die", une œuvre magistrale portée par un riff principal à la fois glacial et grandiloquent, et des lignes vocales certes toujours écorchées mais qui se montrent étonnamment mélodiques, le tout entrecoupé de moments plus acoustiques et aériens. Le morceau a beau durer plus de 8 minutes, impossible d'en jeter une miette tant tout y est exceptionnel, Quorthon surpasse à peu près tout ce qu'il a fait jusque-là, et définit une forme plus épique et paganisante de black metal qui fera des centaines d'émules dans les décennies à venir. Et que dire de la deuxième longue pièce de l'album, celle qui lui donne son nom, "Blood Fire Death" ! La formule est quasi-rigoureusement la même : des riffs froids mais frissonnant de beauté et emprunts d'une ambiance héroïque galvanisante, des lignes vocales conservant le côté brut et éraillé des précédents disques mais parvenant, on ne sait comment, à distiller des mélodies, et des coupures acoustiques sublimes qui renforcent l'atmosphère viking de l'ensemble. Signalons également de sublimes solos de guitare dans les deux morceaux, directement inspirés des grands guitaristes heavy metal des années 70-80 mais eux aussi trempés dans ce climat plus scandinave et médiéval, une approche du solo qu'on retrouvera également beaucoup chez les formations black metal ultérieures.

Si ces deux morceaux sont sans aucun doute les piliers de l'album, ce qui se trouve entre eux n'est certainement pas à négliger pour autant ! Dans cet espace laissé entre les deux monuments, Bathory choisit de renouer avec le speed-black metal plus brutal et rapide des albums précédents, mais là encore, le changement est palpable ! Car, au contraire du chaos presque grindcorisant des "Total Destruction", "Massacre" ou "Chariots Of Fire", références brutales des albums précédents, les "Pace Till Death", "The Golden Walls Of Heaven" ou "Holocaust" montrent un riffage plus cisaillant, plus précis, presque "thrash", même si la simple mention de ce mot aurait fait sauter au plafond le regretté Quorthon. Par moment, on croirait presque entendre du Artillery, formation speed-thrash du Danemark voisin, dont le batteur Carsten Nielsen avait par ailleurs été contacté par Quorthon en 1986 pour rejoindre Bathory, preuve que l'énigmatique Suédois gardait au moins une oreille sur ce qui se tramait de métallique en Scandinavie, bien qu'il ait souvent affirmé s'être tenu isolé des sorties contemporaines. Quoiqu'il en soit, ces thrasheries sont toutes d'une efficacité redoutable et prouvent que le tournant "viking" n'a pas fait perdre à Bathory ses côtés plus agressifs et nerveux. L'album n'élimine d'ailleurs pas totalement le registre chaotique et punk de ses prédécesseurs, comme le montre "Dies Irae", une véritable décharge de sauvagerie entrecoupée d'un moment mid-tempo plus lourd qui n'aurait pas fait tâche sur "Under The Sign Of The Black Mark", une sorte de fusion de "Massacre" et d'"Equimanthorn". Et en parlant d'"Equimanthorn", "For All Those Who Died" officie dans un registre assez similaire, soit un mid-tempo mordant sur l'épisme des longues pièces, mais plus court, plus rude et plus glacial, une sorte de barycentre de toutes les composantes de l'album en quelque sorte.

Quand un groupe sort à chaque fois un album meilleur que le précédent, on se demande toujours jusqu'où ça peut aller. Dans le cas de Bathory, c'est allé droit dans le panthéon du heavy metal au sens le plus large, et à une vitesse incroyable. On ne peut en effet qu'être impressionné par la manière dont Quorthon a rapidement fait évoluer son art, bâtissant à partir d'influences rock, metal et punk variées l'un des styles les plus novateurs de toute la décennie 80, définissant le black metal tel qu'on le connaîtra dans les années 90 dans toutes ses nuances, des plus brutales aux plus mélodiques. Car si la dite 1ère vague de black metal des Venom, Angel Witch, Mercyful Fate, Celtic Frost ou Sodom n'avait de black metal que le nom et doit plus être vue comme une matrice metal extrême indifférenciée ayant autant influencé le thrash que le death, le black ou même le grindcore, c'est bien Bathory qui a lourdement contribué à individualiser le black metal de cet ensemble indifférencié, et à en faire un courant à part entière.

Il va sans dire que Blood Fire Death a été encensé à sa sortie, d'abord par la presse spécialisée, mais aussi et surtout par les mini-scènes black metal qui émergeaient çà et là, aussi bien en Scandinavie qu'en Finlande (la Finlande n'étant pas un pays scandinave contrairement au Danemark, à la Suède et à la Norvège faut-il le rappeler) ou en Europe de l'Est. De son côté, Quorthon parvient grâce à cet album à atteindre un niveau de notoriété assez conséquent pour un artiste metal extrême, ce qui lui permet d'attirer l'attention du label allemand Noise, chez qui il enregistre l'album suivant Hammerheart durant l'été 1989. Ce disque poussera encore plus loin le tournant épique viking amorcé par Enter The Enter Fire en 1986 puis A Fine Day To Die et Blood Fire Death en 1988, jusqu'à inclure des lignes vocales claires, des sonorités folk scandinaves plus développées, des claviers plus prépondérants et une production plus propre. Ce disque sortira en avril 1990 et s'imposera comme un véritable triomphe pour Bathory, ouvrant une ère nettement plus orientée metal viking que black metal. Blood Fire Death est resté quant à lui un album particulièrement aimé des fans, notamment parce qu'il combine à merveille le côté plus agressif et extrême des débuts et le côté plus épique et mélodique d'après, une sorte de compromis entre tout ce que Bathory a fait de meilleur dans sa carrière.
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Mohamed Kaseb
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