Chronique | VOCIFERIAN - L'Os Qui Germe (Album, 2023)


Vociferian - L'Os Qui Germe (Album, 2023)

Tracklist :

01. Écorce Des Astres [Li Neûre Poye] - 15:39
02. De Nacre Se Sacre Le Temps [Fiv'lène] - 14:03
03. L'Homme-île - 02:52

Streaming intégral :

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Certains albums vous secouent d’une façon qui vous échappe. 
Alors, on cherche des raisons, comme si les émotions pouvaient en avoir une. Et puis finalement, on revient à l’essentiel : réécouter, ressentir, se projeter et entrer en phase avec l'œuvre. Tout ce qui est inaccessible à la compréhension.

Ce n’est pas supérieur, c’est un autre plan. Dès les premières secondes d’écoute de L’os qui germe de Vociferian, vous serez aspirés en vous. Je n’ai pas réussi à écrire cette chronique en l’écoutant, il m’a fallu à chaque fois différer les deux. Parce qu’à son écoute, L’os qui germe ne vous laisse pas l’occasion de lui échapper. Personne n’échappe à soi-même. Or la proposition d’Adrien Weber, homme derrière cette entité, exige que vous soyez intégralement dans l'œuvre. Car il a fait œuvre de lui à travers. À ce stade, je me suis demandé quel intérêt d’évoquer un éventuel genre musical quand celui-ci m’apparaît plus comme une affinité opportune pour exprimer quelque chose qui le surpasse totalement. Si vous aimez le metal, le black en général, vous devrez y trouver des réjouissances. Mais bien plus profondément, si vous aimez ressentir un être humain se livrer à lui-même puis à vous, si vous êtes apte à ressentir à travers la musique ce qu’elle offre de meilleur, le canal le plus puissant pour l’empathie, alors vous serez touché jusqu’aux tréfonds de votre être.

Et c’est ici que l’analyse musicale de cet album perdrait tout son sens, et c'est pourquoi je n’en ferai pas. Les formats eux-mêmes sont hors dimension, avec deux pistes d’une quinzaine de minutes se succédant. Pourtant, aucune longueur ne se ressent, puisqu’elles se déversent comme une litanie, leurs répétitions de motifs agissant comme un mantra, ou la succession des perles d’un chapelet intérieur. Le format devient donc nécessaire, évident.

On parle souvent de catharsis en musique. Chaque œuvre est cathartique, car toute œuvre coûte à la personne qui la crée. Chaque sortie représente un effort, un don de soi. On parle parfois de sacrifice. C’est bien mal connaître le sens et la portée du mot et de l’acte qu’il suggère. Plutôt qu’une étiquette, il m’a paru plus important et autrement plus difficile de chercher le mot rendant le mieux compte de l’intention d’Adrien à la conception de l’album. Et finalement, cette intention lui appartient, nous ne pouvons que la traduire par notre sensibilité. C’est sûrement la plus grande réussite de ce disque : écouter quelqu’un, la vibration d’un être plutôt qu’un enchaînement de titres. Résonner avec un être humain plutôt qu'avec un objet, le sortir des contextes de référence et d'influences. L’album brasse de toute façon tellement large que l’exercice est impossible. Quiconque a écouté de la musique hors format (plutôt que simplement extrême) depuis les années 90 aura des nuages de noms qui lui viendront jusqu’aux ères des fameuses étiquettes à suffixe "post".

L’os qui germe se révèle quasiment thérapeutique, mais ce serait réduire sa conception à une finalité : la sortie. Or, on ressent que tout ce qui compose ce disque, de son écriture à sa texture, a participé à cette recherche d’un mieux-être par la mise en musique. La musique permet de symboliser la souffrance, elle fixe en un instant les trois temps sur lesquels nous nous situons en permanence : ce passé qui nous pèse et dont nous voulons nous soulager, ce présent qu'il faut affranchir du passé, ce futur plein d’espoir, l’attente du mieux. La musique rassemble ces temps en un point et en cristallise les trois dimensions. C’est l’os qui germe, cette partie dure qui se reconstitue après une fracture. L’album offre alors plutôt l’implosion d’un être qui devient son œuvre, se reconstruisant non pas à travers mais en elle. On entend sidéré la volonté de renaissance, d’exorciser la douleur, l’envie de renaître tout en acceptant la souffrance comme part du processus.

C’est là que cet album est exigeant et demandera votre implication. Vous serez auditeur, humain, confronté à vous-même, et pour cela, il faut être prêt.

Il y a beaucoup d’albums qui sortent, mais peu d'œuvres sont totales. L’os qui germe est de celles qui n’ont pas de temps car elle participe de ce besoin qu’a l’humanité de symboliser douleur et espoir, d’externaliser cette part qui crie en nous pour s’en libérer et aider celles et ceux qui la croisent à faire de même. Tout au long, une seule référence m’est venue, c’est le cri de Munch, un des rares tableaux qui donne une illusion de mouvement. Face à lui, nous revivons tant d’épisodes, paralysés par l’angoisse et ses lignes qui semblent indiquer que la douleur distord le temps, du moins son ressenti.

Mais ce nouvel album de Vociferian ne se complaît pas dans sa propre douleur. Il cherche aussi une lumière, rappelant à quel point la musique extrême (stylistiquement ou thématiquement) a cette faculté d’aider dans les épreuves en les symbolisant dans une forme d’expression. Et L’os qui germe referme cette bulle en invitant le calme et le silence avec "L’homme île", titre intemporel qui fleure bon le bayou et la scène NOLA. Un apaisement après la décharge, le calme d’un petit moment à jouer de sa guitare, sécurisé par l’amour qui l’entoure (peut-on parler d’Adrien sans citer Christelle qui l’entoure de ses ailes, le soutient dans tout ce qu’il entreprend ?), retrouvant une part en soi plus vieille que lui-même, une musique de l’espace intérieur comme nulle autre que le blues ne peut faire ressentir au cœur.

C’est comme une auto-référence de son autre projet Roller World que nous ne pouvons que vous inviter à découvrir tant il montre, si vous ne le saviez pas, qu’Adrien Weber n’est pas un homme île, mais un archipel artistique complet où l’humain est au centre et l’art à son service.
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Barclau

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