Chronique | DIAVOL STRAÎN - Todo El Caos Habita Aquí (Album, 2018)


Diavol Straîn - Todo El Caos Habita Aqui (Album, 2018)

Tracklist :

01. La Magia del Caos - 03:32
02. Furia 04:10
03. En las Tinieblas Inmóviles 02:52
04. Éter 03:27
05. Autoexilio 04:20
06. Neptuno 04:05
07. Sturm und Drang 03:40
08. Wroclaw 04:48
09. Todo el Caos Habita Aquí 04:37
10. Más allá del Muro del Sueño 04:30

Extrait en écoute :

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Imaginez un monde où le milieu goth ne serait pas cette vision fantasmée d'une « grande famille ». Imaginez un monde dans lequel la plupart des artistes se réclameraient d'un apolitisme de facilité. Imaginez un monde où l'un des cinéastes les plus influents du style dirait que les personnes noires ne collent pas à son esthétisme.

Imaginez un monde où certaines des plus grandes figures de l'alternatif laisseraient ouvertement paraître leur homophobie et leur transphobie ; où la misogynie et blâmer les victimes d'abus serait une normalité ; où les théories du complot seraient validées ; où un ponte du post-punk serait xénophobe et continuerait tranquillement à être cité ; où des artistes de goth rock porteraient fièrement les couleurs du drapeau confédéré ; où des figures montantes feraient du grooming ou collaboreraient avec des groupes clairement néo-nazis; où le fascisme ne se cacherait même plus. Un monde où nous fermerions les yeux, où nous séparerions l’œuvre de l'artiste, et où nous leur trouverions des excuses.

Il serait rafraîchissant que dans un tel monde nous trouvions des groupes goths militants, féministes, antifascistes, bref des formations qui osent porter leurs gonades face à un milieu mou de la politique. Diavol Straîn pourrait être de ceux-là.

Diavol Straîn est un duo non-binaire chilien de « Riot Wave », composé de Lau M (basse, chant, synthés) et Ignacia Strâin (guitare et chœurs). La formation, créée en 2015 est un savant mélange de sonorités des années 80, de coldwave, de post-punk résolument tourné vers le Riot grrrl avec un soupçon de deathrock. Iels ont la volonté de promouvoir par leur musique et de mettre en valeur les femmes et toutes les personnes LGBTQIA+ dans la scène alternative, les arts et la culture en général.

Leur premier EP de 2017, sobrement intitulé Demonio, portait déjà en lui tous les germes et les ingrédients indispensables d'un groupe du genre : guitare dissonante, basse claire mais un peu crasseuse au mix, percussions pleines d'effet d'écho, cris ; paysage sonore minimaliste et lugubre dans la plus pure tradition.

Un an plus tard sort sur le label Young and Cold Records, le premier album Todo El Caos Habita Aquí, qui reprend peu ou prou la même formule déjà bien rodée, voire épuisée jusqu'à la corde. Mais si vous me lisez, vous savez probablement que je me contrefiche de l'originalité ou non d'un projet, à la condition que ce dernier me procure une certaine dose d'adrénaline et me prenne aux tripes.

Le titre "La Magia del Caos" nous accueille avec une fausse promesse ; le calme avant la tempête. Un titre instrumental avec chœurs, dans la continuité du travail précédent. L'ambiance y est étrange et annonciatrice de mauvais augures, avec son ton lancinant et ses percussions finales, qui tranchent dans l'espace, comme des coups de tonnerre lointains.

Mais si l'on pouvait s'attendre à ce que tout cela s’enflamme, il n'en est rien. Cette première piste est une introduction à l'album mais également au deuxième titre, "Furia". Si la « furie » n'est pas particulièrement là, on peut en tous cas noter une chose importante : le son. En effet, celui-ci n'est plus aussi ronronnant que sur l'EP et le tout est plus clair, moins fouillis. Une petite dose de The Cure en bonus, que l'on retrouvera également sur d'autres titres tels que "Autoexilio" ou le plus post-punk "Wroclaw".

Heureusement d'autres titres diffusent leur dose de rage deathrock. "En Las Tinieblas Inmóviles", "Éter", et le titre éponyme "Todo El Caos Habita Aquí" avec lequel j'ai découvert le duo, font partie de ceux-là. Les sonorités de la basse et de la guitare sont ciselées. Le rythme est percutant. La production léchée. Et si le tout ne réinvente pas la roue, il est clair que l'énergie que mettent les deux comparses dans leur musique vous donnera envie de danser, mais aussi de réfléchir. Simple mais terriblement efficace.

L'album possède également son lot de petites curiosités sonores, comme le sombre "Neptuno" et ses relents de musique de vieille série d'horreur ou des films du Universal Monsters.

J'aurais bien fini l'ensemble sur la mélancolie tempétueuse de "Sturm Und Drang", mais les artistes ont préféré une note d'optimisme, avec "Más Allá Del Muro Del Sueño" et ses accents de rêveries new wave. Une bonne façon de dire que finalement, tout ce chaos dont il est question n'existe que dans nos têtes. On nous avait d'ailleurs prévenu dès la pochette, avec ce dessin d'un système nerveux central humain.

On comprend très vite dès la première écoute, que la construction de l'album n'a rien d'aléatoire ; ultime paradoxe par rapport au thème général. Et pourtant tout cela fonctionne parfaitement. Todo El Caos Habita Aquí est une œuvre qui parle de nos ténèbres intérieures, qui se nourrissent inlassablement, devenant « tempête » avant d'éclater comme une bulle de savon en faisant vibrer nos connexions neuronales. C'est un pamphlet musical qui dénonce notre propre être, c'est une contemplation sombre de notre humanité. C'est aussi une invitation au changement.

Imaginez un monde où l'on pourrait faire bouger les choses... Le chaos est en nous-mêmes. C'est à nous de le régler.


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Aladiah

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