Les 10 albums de Black Metal les plus médiévaux par Cervantes (DARKENHÖLD)


Charismatique frontman de Darkenhöld, Cervantes est la voix d'un temps médiéval lointain et fantastique. Découvert lors de mes premières années dans la cité portuaire de Nice, Darkenhöld fût le premier groupe à trouver sa place dans les pages de Scholomance au travers de ma toute première interview ! C'est donc de nombreuses années après et de manière naturelle que je suis allé trouver Cervantes pour qu'il nous plonge dans des histoires de chevaleries et de dragons. Laissons ce chanteur devenir conteur et nous faire vivre ses albums, aux inspirations historiques, légendaires et fabuleuses, voici le chemin tracé par ce guide.


"Répondre à l’invitation à composer une sélection de dix albums de Black Metal médiéval pour l’illustre webzine Scholomance, ce fut un plaisir. Mais aussi un sujet intense de réflexion : comment définir ce qu’est le Black Metal médiéval ? Faut-il rassembler un certain nombre de critères précis, peut-être arbitraires, pour accréditer l’appellation ? Est-il nécessaire d’inclure aux ingrédients de la formule Black Metal des instruments tels la vielle à roue ? La flûte ? Le luth ? Les tambours ? Les trompettes ? Le psaltérion ? La harpe ? S’agit-il de respecter l’esprit des partitions émanant des compositeurs de l’époque comme Guillaume de Machaux, Hildegarde de Bingen ou Adam de la Halle ? Le style requiert-il de s’adosser à une exactitude historique ou tolère-t-il la prévalence de contes et légendes ? Voire même de pures créations relevant davantage de la Fantasy et de représentations purement fantasmées de l’époque, au détriment de comptes-rendus rigoureux, nantis de la crédibilité accolés à la figure de l’érudit ou de l’amateur éclairé ? Avec, au bout de ces questionnements, le risque du débat laborieux entre différents dogmes, chacun se prévalant de détenir la vérité, crispant le plaisir d’un échange de points de vues subjectifs en arguant d’enjeux autour de l’exégèse.

Dans ce continuum un peu factice entre la prétendue pureté de l’approche et le droit réclamé de s’affranchir de toute orthodoxie, je revendique ici une aspiration à la liberté de l’interprétation. Il ne s’agira donc pas d’exposer une sélection ambitionnant l’expertise du cuistre, mais de proposer, très modestement, une petite sélection de dix albums qui, pour moi, célèbrent à leur manière l’époque médiévale, ou plutôt le Moyen-Âge pensé ou rêvé par chacun. Par définition, j’assujettis ainsi mon recueil à la volonté de chaque artiste de proposer sa vision personnelle du Moyen-Âge et de s’y immerger par l’entremise de la musique Black Metal. Cette sélection suivant l’ordre de parution desdits albums déplaira donc à certains, en étonnera d’autres, satisfera peut-être quelques lecteurs… mais au final, elle n’a d’autre prétention que de parler, avec enthousiasme, de dix albums qui retiennent mon attention, dont certains font clairement partie de mes opus préférés. Merci de m’accompagner sur ce chemin, et bonne lecture !"

POUR ÉCOUTER : Darkenhöld


SATYRICON « Dark Medieval Times » (1994)


"Un album fondamental… Animé par un esprit médiéval alors encore inédit, SATYRICON sculptait son premier opus de guitares grésillantes, de claviers ténébreux, enveloppants, et du martèlement sauvage de la batterie déjà intraitable de Frost. Dans l’écrin de paysages de glace et de mort, engourdis par le froid et battus par les mémoires du blizzard (l’instrumental « Min Hyllest Til Vinterland » dont les guitares acoustiques développent une quiétude gelée au cœur de l’album), le chant haineux et spectral de Satyr rôdait en oiseau de proie sur les forêts de pins ployant sous la neige, injectant une noirceur insondable. La musique de SATYRICON hantait alors ces terres de mille légendes où résonnaient les échos de grandes batailles, arrosant le blanc manteau du sang des heures sombres.

« Dark Medieval Times », ce sont les chœurs damnés, les cordes froides et les percussions saisissantes (en réalité un extrait repris du groupe WHEN et de son « Death in the blue lake ») qui introduisent le chef d’œuvre « Walk the path of sorrow » - huit minutes épiques inoubliables, soufflées d’atmosphères grises portées par les riffs magistraux de Satyr et les claviers messagers de vents sinistres. Ce sont également l’inquiétant « The dark castle in the deep forest » avec ses synthétiseurs maudits, un «Into the mighty forest » partagé entre furie et angoisse des sylves impénétrables, la conclusion « Taakeslottet » et son final frissonnant... Et si les somptueuses guitares acoustiques et les flûtes qui constellent les compositions allègent l’atmosphère ici ou là – comme sur le mémorable morceau titre au long développement entraînant, presque joyeux – ce sont bien les six cordes effilées et mugissantes, les fûts implacables et le chant épris d’obscurité qui règnent ici avec une authenticité Black Metal affirmée, impavide, altière.

Cinglante, habitée, « Dark Medieval Times » s’impose en œuvre séminale du Black dit médiéval, à l’accès difficile pour ceux dont l’oreille n’est guère familière des écorchures de guitares stridentes et d’une production tout sauf racoleuse, bien que parfaitement adaptée à la retranscription sincère de l’épopée. Au cœur de la seconde vague du Black Metal norvégien, SATYRICON signait là un disque fort et culte, inévitable pour qui souhaite embrasser les origines du Black Médiéval, et qui conserve plus d’un quart de siècle après sa sortie une puissance visuelle rare et toute son influence."

ABIGOR « Nachthymnen (From the Twilight Kingdom) » (1995)


"Les autrichiens d’ABIGOR sont de ces groupes de Black Metal à pouvoir se targuer de posséder une réelle signature sonore : La complexité des riffs inimitables de Peter K, saturés et épiques, le jeu de batterie de Thomas Tannenberger, spectaculaire et tellurique, le chant raclé, purement haineux de Silenius, également hurleur de SUMMONING, et une utilisation intelligente des claviers et des timbales parachevant l’ouvrage. Grandiose, souvent technique, féroce sans être abrutissant, mélodique mais intensément belliqueux et gorgé d’ambiances médiévales (le fabuleux « Scars in the landscape of god », "Revealed secrets of the whispering moon", "I face the eternal winter" tout en majesté, "As astral images darken reality" et son final solennel...), ouvert aux échappées apaisantes de l’acoustique ("A frozen soul in a wintershadow", "Reborn through the gates of three moons" et son accalmie venteuse...), « Nachthymnen (From the Twilight Kingdom) » passionne.

« Verwüstung – Invoke the Dark Age » (encore veiné de riffs primitifs à la CELTIC FROST) et le mini-album « Orkblut » partagé entre fureur et interludes atmosphériques, s’étaient fait une spécialité de ce Black Metal aux consonances moyenâgeuses ; « Nachthymnen (From the Twilight Kingdom) », troisième œuvre du groupe, hisse ABIGOR au sommet de son art. Avec cet opus encore plus élaboré et riche, fortifié d’une belle production naturelle, la formation déploie ici son brio dans les couloirs de compositions ambitieuses mais sans bouffissures, d’une suprême envergure, où les mélodies mémorables ne cèdent jamais au complaisant et se relancent sans cesse au fil d’une dynamique de breaks pertinents et de changements de riffs sans accrocs. Avec toujours dans le cœur cette sensibilité guerrière (le terrible morceau d’ouverture "Unleashed axe-age" pour ne prendre qu'un exemple) et cette vibration ancestrale envoûtante.

Très visuel, complexe, porté par la qualité de ses arrangements et d’un travail de guitare d’un rare accomplissement dans l’univers Black Metal, ABIGOR s’élève sans trembler jusqu’à l’excellence et impose avec son « Nachthymnen (From the Twilight Kingdom) » rien moins, à mon sens, qu’un incontournable du genre. Tout resplendit d’obsidienne sur ce monument, qui s’abreuve à la fierté des rares élus capables de tutoyer l’éminence d’un EMPEROR tout en dégageant une intense personnalité. Un joyau de Black Metal aux atmosphères médiévales et épiques, une merveille sans le moindre morceau superfétatoire, gratifiée du sceau de l’authenticité et d’une puissante maturité."

GOLDEN DAWN « The Art of Dreaming » (1996)


"Qui pourrait croire, à la découverte de cette étrange pochette frappée d’un logo bien peu explicite, que ce “The Art of Dreaming” dissimulerait en ses méandres un Black Metal médiéval absolument unique, reconnu en son temps comme album du trimestre dans un célèbre magazine français extrême (et croyez moi, la concurrence était alors très rude et prestigieuse). Mû par un travail prononcé sur les ambiances, Dreamlord – alias Stefan Traunmüller, homme orchestre de ce projet – forgeait ici neuf pièces étonnantes, fertiles en rebondissements et généreusement agrémentées de claviers, percussions, guitares acoustiques, arrangements parfois inattendus et voix claires apportant un contre-point majestueux, solennel, au chant Black traditionnel arraché.
Dominent en ces lieux de prenantes et superbes atmosphères médiévales (l’ouverture agitée sur un « Ideosynchronicity » admirable, le guerrier et menaçant « My confession to war » à la première section martiale, toute la seconde partie de « Sub specie aeternitatis », les huit minutes variées de l’envoûtant « Per aspera ad astra » ou l’inoubliable morceau éponyme, chef d’œuvre de peinture moyenâgeuse très visuelle, émaillée de brusques accélérations Black triomphantes), mais s’immiscent également quelques surprenantes parties de pianos (« Nothing but the wind », l’instrumental « The majesty of my kingdom afar ») et des curiosités qui ajoutent à l’étrangeté du rêve dans lequel nous aspire GOLDEN DAWN : le tempo technoïde incongru sur la première moitié de « Sub specie aeternitatis » notamment, ou le passage orientalisant sur « Beyond the mortal shell » pour les citer !

Epique, jonché de nombreux passages très vivants, oniriques et enchanteurs, d’une maturité de composition et d’exécution rares pour un premier essai et un si jeune musicien, frais et abondant en ambiances captivantes, élégamment produit, GOLDEN DAWN déployait ici un talent hors norme. Il ciselait un art Black Metal d’inspiration médiévale très prononcée, soulignée de touches originales qui célébraient l’époque créative exaltante du milieu des 90’s ! Un trésor à découvrir ou ré-découvrir (attention, l’album a connu une ré-édition remasterisée avec une pochette différente). Et assurément un de mes albums de Black Metal préférés !"

GODKILLER « Rebirth of the Middle Ages » (1996)


"Difficile de s’égarer en supposant l’atmosphère pouvant imprégner la courte épopée proposée par ce mini album « Rebirth of the Middle Ages », flanqué d’une pochette idoine et explicite ! Avec toute la fougue d’un imaginaire mêlant le satanisme et l’appétence pour les châteaux, les chevaliers et le fracas de l’acier, le monégasque (oui, oui !) Duke Satanaël égrainait en quatre petits morceaux, précédés d’une courte introduction aux claviers, une véritable réussite de Black Metal médiéval très attachant, à recommander à tous les amateurs de vaillance et de sensations épiques.

Membre unique de GODKILLER, le tout jeune Duke Satanaël érigeait séant des morceaux plutôt complexes, truffés de breaks et changements soutenant intelligemment la dynamique des titres, habités de riffs bien troussés, lisibles et porteurs d’une signature Black guerrière et old school. Traversé de quelques passages en guitares acoustiques, nanti de synthés et autres arrangements vecteurs assumés d’images moyenâgeuses, GODKILLER conduisait ici fièrement son expédition avec vivacité mais sans violence facile, l’ensemble s’avérant très correctement produit et maîtrisé. Et si la présence d’une boîte à rythme plutôt convaincante en guise de batterie ne gâte pas le plaisir, elle confère à l’ensemble un petit lissage qui pourrait toutefois déplaire aux amateurs de sons plus crus. Mais ceux-ci se rattraperont en la matière avec la caractéristique clivante de ce mini album : le chant écorché et douloureux de Duke Satanaël, dans un esprit assez BURZUM. 

On pourrait pointer ici, nonobstant, quelques rares passages un peu convenus ou dépourvus d’une touche de finesse (comme par exemple le break batterie/synthé de « Path to the unholy frozen empire »), mais dans l’ensemble ce manifeste expéditif de Black médiéval fait forte impression. Il s’en dégage un charme juvénile réel et on se laisse facilement happer par l’atmosphère qui s’y décline comme une errance solitaire dans les montagnes et forêts, l’esprit vagabondant dans un Moyen-âge rêvé autant que brutal. Une petite pépite du milieu des 90’s."

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WALLACHIA « From behind the light » (1999)


"Emanation de la seconde vague du Black Metal tendance atmosphérique, WALLACHIA – projet norvégien cornaqué depuis ses débuts par le multi-instrumentiste Lars Stavdal – s’était signalé dès 1996 par une première démo cassette puis l’année suivante par un mini-cd éponyme quatre titres orné d’une mémorable photo du château de Bran, en Transylvanie (érigé non loin de la Valachie, cohérence oblige…), et imprégné de références aux lieux, rivières et châteaux roumains (Arges, Fagaras…). Quatre compositions en norvégien que l’on retrouve disséminées sur ce premier effort longue durée du groupe, augmenté d’un quatuor de morceaux frais s’exprimant quant à eux en anglais. Logo et pochettes plantent un tableau clair pour ce « From behind the light » : vieilles pierres, souffle guerrier et prégnance du passé sont au programme du voyage… mais celui-ci, pour autant, n’en préserve pas moins une vraie originalité.

WALLACHIA frappe d’abord par le traitement franchement atypique – et rebutant pour certains – de la voix de Lars. Trafiquée et entrelaçant chant Black et grondement de démon un tantinet kitsch avec un étrange voile fantomatique étouffé, elle déambule comme une présence froide et désincarnée sur des compositions majoritairement mid-tempo. L’ensemble, innervé par un subtil maillage médiéval fantasmé, offre ainsi des moments baignés d’atmosphères mélancoliques (le vaporeux « Arges - Riul doamnei » et son intro dungeon synth, la superbe accalmie douce et moyenâgeuse de « Crucifictional disinfection »), oniriques (les hypnotiques et majestueux « Skjold mot guds lys » et « The last of my kind », sous domination des orgues et des choeurs célestes), et parfois même entrainants et épiques (un accrocheur « Manifesting the beast » aux riffs bagarreurs, « Knus den hellige and », les dix minutes de « Fullmane over Fagaras »traversés de passages Black acérés, et bien sûr le mémorable « The curse of Poenari », véritable « tube » ouvrant l’album sur un riff mélodique des plus enlevés, débouchant sur une succession de parties plus solennelles… un morceau par ailleurs repris en 2009 par un certain DARKENHÖLD…).   

Les huit morceaux qui composent ce « From behind the light » plutôt consistant s’imposent ainsi dans leur travail d’ambiance comme de véritables marqueurs d’un style où la primauté se situe dans la recherche du climat et non dans celle de la violence ou de la noirceur. WALLACHIA convoie l’esprit de l’auditeur en des terres hérissées de forêts, surplombées de vieilles ruines, le vent communiquant alentours sa tristesse de l’éphémère, sa fréquentation des paysages crépusculaires et le souvenir des batailles. Les nombreux claviers employées par Lars (nappes, orgues, chœurs, flûte…) s’entendent ainsi avec un travail varié sur les guitares (non dépourvues de certaines inflexions Death à l’occasion) et une basse bien présente dans le mix pour tresser des fresques oniriques secouées ici ou là de réveils plus agités. Au final, une autre lecture Black Metal inspirée par l’univers médiéval."

NERTHUS «  Black Medieval Art » (2003)


"« Pure Rough Medieval Black Metal from the Deep Mountains of Austria… to conjure up the dark medieval spirit » ! La déclaration d’intention proclamée au verso de la pochette de ce “Black Medieval Art” annonce la couleur sans ciller ! Les autrichiens de NERTHUS, vêtus de cottes de mailles, délivrent présentement pas moins de quatorze odes personnelles à l’art noir, harnachées d’un lexique sans ambiguïté et convoquant un imaginaire moyenâgeux envoûtant. Tout à leur tempérament exalté, les musiciens revendiquent ainsi fièrement l’influence des ancêtres barbares, la conduite des âmes noires et l’inspiration des ères sombres dont les émanations se fraient un chemin dans les plis d’un passé gonflé de gloire.

Quatorze partitions se succèdent ici tout du long sur le modèle d’une alternance presque inflexible entre morceaux Black Metal globalement installés dans un mid-tempo confortable (les morceaux aux chiffres pairs) et interludes entièrement dévolus à des peintures instrumentales aux claviers émulant – avec un charme désuet – flûtes, chifonies ou vielles à roues (les titres aux chiffres impairs), Clemens J.H. s’appliquant à maçonner notre toile mentale de ritournelles, mêlant éclats de conquêtes, nuages roulant sur la courbe du ciel et déclaration d’amour à Mère Nature. Seules les étapes treize et quatorze de cette fresque dérogent à la règle, inversant leur intentions afin de laisser l’auditeur sur la sérénité un tantinet frustrante, car trop laconique, du très beau « Where the eagles fly ».

Avec ce recueil, NERTHUS déroule une rêverie aiguisée de quelques rixes : si les morceaux Black Metal sont le terrain d’expression de vocaux extrêmes partagés en une dualité Black et Death, c’est un pas hypnotique, assez répétitif, qui règle la marche des chevaliers, les morceaux cheminant de riffs mélodiques et chantants et autres airs entêtants. Enjoués (« Battle song », « Dark triumphant hordes »), vifs (« Devising of black strategies », « Before the last battle »), ou ralentis d’une retenue plus mélancolique (« Masters of Steel and Masters of Fight ») et autres airs lancinants (« The era of pureness »), les morceaux se voient également cadencés par la présence assez inédite d’une guimbarde… d’aucuns goûteront d’ailleurs avec moult sourires – ou agacement peut-être ? – les jaillissements cocasses de cet instrument de bouche, mais force est de reconnaître qu’une touche d’originalité vient ainsi parer la musique du groupe. « Black Medieval Art », par sa conviction, sait emporter l’attention et propose ici davantage un voyage tout en fluctuations arrondies qu’une aventure intense faite de saillies et de gouffres. Une exploration à tenter."

AORLHAC « A la croisée des vents » (2008)


"Limité à 300 copies, ce premier essai de AORLHAC, groupe français dressé en porte–étendard de la belle et sauvage Auvergne, a résonné pour moi en authentique révélation de pur Black Metal, passionné de patrimoine, ceint d’un enlacement historique et du cachet des légendes locales. Couvrant de sa curiosité une période excédant les mille ans du Moyen Âge, AORLHAC demeure néanmoins pour moi majoritairement associé à cette période dans son imagerie comme dans la nature même d’un Black Metal enlevé et soutenu, armé de riffs mélodiques comme pugnaces, de mélodies vibrantes et d’un chant sans compromis, hurlé, mordant.

Introduit par une guitare acoustique énergique, grimpant sur les murmures du vent, « La guillotine est fort expéditive » frappe très fort dès l’entame, décochant rythmiques batailleuses, blasts puissants et mélodies majestueuses (ce final intense !), lacérées du chant sauvage de Spellbound. Mais « La mort prédite » exalte encore davantage la bannière Black épique, les guitares découpant des riffs saisissants de ferveur, avec une belle atmosphère médiévale pénétrante (superbe accalmie acoustique), une voix possédée et, là encore, un final des plus accrocheurs. Un qualificatif également des plus adaptés à la véritable pépite qui se glisse dans ces sillons rouge sang : « Le charroi de Nîmes », excellent mid-tempo chargé de rougeoiement épique, s’avance avec la détermination d‘un riff purement Heavy Metal old school irrésistible, léché d’acoustique, et mandatant une nouvelle succession de riffs empreints de gloire, écorchés par la voix rageuse de Spellbound, jouxtée de chœurs guerriers.

Pour refermer cette courte demi-heure, AORLHAC ne relâche pas l’emprise sur la gorge de l’auditeur : tout d’abord, avec le redoutable « 1693-1694 – Famine et anthropophagie », morceau le plus sombre de ce mini-album, même si propice sur son final à la délivrance de riffs et chœurs fédérateurs teintés de Heavy traditionnel orageux ; ensuite avec l’hymne « Aorlhac », annoncé par sa mélodie épique, et galvanisé ensuite par la vigueur dynamique d’estocades Black, de belles mélodies doublées à l’acoustique, et d’un cœur rassembleur… pour mieux blasonner une conclusion valeureuse, les guitares et la voix assumant la passion des féroces chroniques d’Aurillac. Une éclatante entrée dans l’univers Black Metal ouvert à la puissance évocatrice du Moyen âge."

VEHEMENCE « Par le sang versé » (2019)


"VEHEMENCE, projet de Tulzcha, compositeur et multi-instrumentiste émérite, sortait en 2014 un premier opus assez confidentiel intitulé « Assiégé »… mais c’est véritablement avec ce « Par le sang versé » que le français, secondé ici par Hyvermor (HANTERNOZ, GRYLLE, mais également patron de Antiq Label, publiant l’album qui nous intéresse), voyait son talent étinceler ! Dès l’ouverture de ce manifeste de Black Metal médiéval au son de « Epopée – par le sang versé », la singularité de VEHEMENCE nous saisit : Des riffs empreints de hardiesse, épiques et exaltants, montent à l’assaut de l’auditeur, juchés sur une chevauchée de double grosse caisse et de roulements de toms, avant que la saillie de blasts intraitables ne libère la férocité guerrière, les déclamations rassembleuses… neuf premières minutes mémorables, scandées de mélodies glorieuses, d’accélérations tranchantes comme le fil meurtrier de l’épée des preux, d’entrelacs entêtants, de guitares et de toms hissant des poings conquérants dans les airs sillonnées de créatures fantastiques.  

L’art noir de VEHEMENCE s’exprime ainsi tout au long de cet opus magistral dans cette alchimie hypnotique tramée par la virulence des guitares, somptueuses et possédées d’ambitions épiques, la batterie implacable de Thomas Leitner (batteur de WALLACHIA depuis 2015) soutenant des tempi majoritairement très rapides, déboulant sur des breaks mobilisants et des accalmies immersives parsemées de guitare acoustique, flûtes et autres instruments traditionnels (psaltérion, fifres, nyckelharpa…). Ciselant des textes à l’avenant, Hyvermor et son chant arraché, possédé, délivre tout au long de ce recueil une prestation habitée, très vivante, impliquée et remarquable. L’ensemble brille de mille feux courroucés et s’étançonne de belles atmosphères sensibles, panachant d’émotion le tumulte. Ainsi « L’étrange clairière », diptyque à l’immersive partie I tout dévolue au chant sylvestre conjugué des guitares acoustiques et de la flûte, quand la partie II voit ses blasts et riffs acérés tempérés par instants de rythmiques alourdies de marches Doom tragiques, éclaircies des percées d’authentiques instruments d’antan. Ces inserts d’acoustique s’égrènent aussi tout au long d’un « Passage dans les douves » amorcé sur un tempo furieux et cuirassé d’un somptueux riff Heavy traditionnel rapidement secondé par la flûte pour un résultat intensément accrocheur et triomphant. 
   
« La dernière chevauchée » se voit marquée elle aussi par un des ces plans signature de VEHEMENCE, matérialisés par ces longs tapis de double pédale sur lesquelles viennent se dresser des monticules de toms martiaux greffés de mélodies de guitare vibrantes, suspendues dans les airs tels des oriflammes. Mélodies nobles, emphatiques, harangue en latin, nous sommes plongés à l’aube rougeoyante d’une bataille décisive où s’entrechoqueront le fer, le bois et les idéaux chevaleresques, salués par les trompettes et les exhortations poignantes de Hyvermor. Et « Par le sang versé » de s’achever enfin sur l’apothéose de « La fronde des anges », véritable chef d’œuvre de plus de 8 minutes où se succèdent des plans et mélodies inoubliables, grisants, épiques à mourir, rehaussés en ouverture comme en conclusion de fins choeurs féminins angéliques. Un éblouissement que je range aisément parmi mes morceaux de Black préférés dans le genre. Drapez pour finir ce « Par le sang versé » d’un bel artwork et d’un livret soigné, l’ensemble s’enluminant d’une production pertinente signée Stefan Traunmüller (oui, l’homme orchestre de GOLDEN DAWN), et vous obtiendrez un incontournable – déjà ! - de l’Art Noir Médiéval, qui laisse augurer du meilleur pour la suite. Une heure magistrale d’épopée Black Metal !"

OBSEQUIAE « The palms of sorrowed kings » (2019)


"L’évocation de l’esprit médiéval, quand il infuse le Black Metal, nous paraît viscéralement attachée à l’Europe et ses châteaux forts, ses forêts aux mille secrets, ses édifices religieux, ses impitoyables engins de guerre et ses chevaliers, les maladies et épidémies ravageuses… on pourra alors s’étonner de voir s’épanouir un tel esprit en des terres américaines. Mais qu’importe, la fascination pour l’imagerie du Moyen-Âge imprègne les âmes et franchit barrières et océan. Et OBSEQUIAE, emmené par Tanner Anderson, saura fort justement vous saluer de sa main gantée de fer pour vous inviter à ouvrir grand votre âme sur une lecture personnelle du Black Metal avec ce « The palms of sorrowed kings ».  

Sitôt dépliées les notes délicates de l’introduction « L’autrier m’en Aloie », s’imposent d’emblée de lumineuses guitares harmonisées, étirées de réverbération. Véritable griffe du groupe, elles roulent leurs volutes dans le ciel et le dévalent de soli limpides, le chant Black apposant aussi son cachet atmosphérique en bénéficiant de ce traitement à l’avenant. Ainsi guidés, les morceaux éthérés d’OBSEQUIAE catapultent l’auditeur au sommet des montagnes, à l’aplomb des forêts, sur des promontoires escarpés où les vents viennent envelopper les silhouettes d’un frisson, polissent les armures et serpentent dans les ruines. Envoûtant « Ceres in emerald streams » qui écoule sa mélodie obsédante, entrelacs songeurs de « Morrigan », épique « Asleep in the bracken », majestueux morceau-titre aux accélérations Black réhaussées de choeurs fervents, vertiges aériens de « In the garden of hyacinths »… les compositions d’OBSEQUIAE chatoient et distillent une forme de plénitude élevée, délestée de paresse par des tempos alternant avec justesse les bourrasques de l’aquilon et le caresses cotonneuses du zéphyr.  

Autre caractéristique de la personnalité d’OBSEQUIAE, ces séquences gracieuses qui enjolivent le tableau, distillées par la harpe de Vicente La Camera Marino toute prolongée d’écho et récitant de véritables pièces inspirées du Moyen-Âge : songes mélancoliques et intimistes dans les jeux d’ombres d’un château, solitude d’une clairière ou d’une falaise offrant la nature au regard. Ces pièces subtiles, outre leur indéniable empreinte, ajoutent à la singularité attachante d’OBSEQUIAE qui présente avec ce « The palms of sorrowed kings » une collection aboutie de chansons et de promenades produites avec finesse et qui diligentent une respiration peu coutumière dans le genre. Expérience originale d’un Black Metal médiéval en apesanteur, peut-être un peu trop homogène pour certains dans ses intentions. Mais peu importe, apprécions le voyage et ses pauses. Un album beau et… apaisant."

CREPUSCULE D’HIVER « Par delà Noireglaces et Brumes-sinistres » (2020)



"Fraîchement adoubé en ses terres de Bourgogne et Franche-Comté, le chevalier Sturrm révèle avec ce « Par delà Noireglaces et Brumes-Sinistres » son premier haut fait musical, et celui-ci ne manquera pas d’aiguiser l’attention admirative des seigneurs alentours tout en jetant le trouble dans les coeurs de malandrins tentés de lui chercher querelle. Artisan aux multiples talents, compositeur et manieur de mots, Sturrm s’arroge les guitares, les claviers et le chant, déléguant à son acolyte N.K.L.S .le soin d’impulser le rythme et de creuser les fondations de la basse, décochant les flèches des guitares solo. A deux, ces forgerons délivrent séant plus d‘une heure de riche aventure Black Metal encapée d’un allant médiéval avéré, dense et exigeant. Une œuvre qui ne fait pas l’économie du plaisir esthète de la forme, glissée qu’elle est dans le fourreau d’un digipack très soigné et accompagné d’un livret simplement magnifique.

Point ici de compositions immédiates taillées pour enflammer les tavernes d’un air vigoureux ; pas de mélodies tricotées de mailles faciles pour satisfaire les appétits fugaces. « Par-delà Noireglaces et Brumes sinistres » se mérite : c’est un pavé où les cinq pièces Black Metal – accompagnées de deux courtes compositions instrumentales dépliant leurs synthés et arrangements aux influences « Donjon Synth » délicieusement nostalgiques –, s’étirent sur plus de huit minutes creusées de méandres et recoins, le final éponyme culminant même à vingt minutes. Un sacrifice tentaculaire multipliant les « corridors lugubres et délabrés », à la maigre lueur « des chandeliers projetant sur les tapisseries brodées les ombres ondoyantes et agitées des armures à l’acier terni », et autres percées dans les murs de pierre qui dominent « le ventre de la forêt sans fin ». Mais si ces vingt minutes écrasantes marquent l’esprit, les autres morceaux ne sont pas en reste et assènent fort dignement leurs arguments, réservant à l’auditeur de passionnantes écoutes.  

Nourris de claviers variés et autres arrangements (cloches, timbales…) qui installent un véritable cadre médiéval fantastique prenant, immersif, old school (SUMMONING n’est pas loin parfois) et ce dès la superbe ouverture de ce recueil, les morceaux de CREPUSCULE D’HIVER étendent leurs intentions épiques (« Le sang sur ma lame » en impose), saturent l’espace de guitares faisant naître givre et brouillard inquiétants, entremêlant riffs évocateurs, claviers atmosphériques et chant râpeux en une alliance de fureur, d’accalmies et de majesté (« Le souffle de la guerre »), traversée d’éclats parcimonieux mais non négligeables (comme sur le somptueux « Tyran de la tour immaculée » ou sur « Héraut de l’infamie »). Le tout serti d’une production naturelle, maculée de rouille et de sang séché, sans fioriture mais lisible et pourvoyeuse d’ambiance, parfaitement adaptée à l’authenticité requise quoi qu’il en soit. La longueur et la densité des partitions favorisent changements de rythmes et de climats et on se laisse ainsi guider dans les circonvolutions d’un univers qui rend un hommage appuyé au Black Metal des 90’s et au Donjon Synth, ceux des châteaux hérissant leurs tours aux écharpes brumeuses dans des forêts mantelées de neige. « Que gloire soit nôtre ! », entonnait CREPUSCULE D’HIVER en ouverture de ces presque soixante dix minutes ambitieuses, généreuses en secrets… c’est bien le destin que l’on peut lui souhaiter !"


Darkenhöld 


Descriptions et photos : Cervantes
Article : Morgan

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