Andrew Lee (RIPPED TO SHREDS) s’exprime sur la lutte contre les stéréotypes racistes envers les Asiatiques dans le Metal

Illustration par Mike Wohlberg

Que vous suiviez Scholomance depuis des années ou simplement quelques jours, vous avez pu constater que l'on apportait une attention toute particulière à parler du Metal en Asie, une scène souvent méconnue. Nous avons la chance d'avoir un public qui a été respectif à cette démarche de découverte mais ce n'est malheureusement pas une généralité. La scène asiatique est encore vue comme une simple scène "exotique" avec tous les préjugés et les réflexions racistes qui vont avec et c'est ce qui s'est passé avec la sortie du dernier morceau de Brujeria et surtout du communiqué qui l'accompagnait.

Andrew Lee est le leader des groupes de death metal Ripped to Shreds, Skullmasher ainsi que de nombreux autres groupes underground de metal extrême, il a publié une tribune sur Decibel Magazine, et nous l'avons contacté pour partager sa traduction française.

"Si t’es né avec un faciès jaune et les yeux bridés en Amérique, tu n’es pas Américain. Tu restes un perpétuel étranger, sujet au regard des autres, aux messes basses moqueuses et au si célèbre « ni-hao » en guise de salutation, quels que soient ta langue maternelle ou le pays d’origine de tes parents. T’es un prodige du violon, un magicien des maths, un geek émasculé sans jeu, une prostituée séduisante avec la chatte de travers et un tricheur sans créativité juste bon à copier. Et pire que tout, tu es silencieux. Tu es apolitique, tu travailles dur, étudies avec acharnement et tu la fermes sur les sujets politiques.
Lors de la pandémie, de vieux stéréotypes racistes à propos des Chinois et de leur cuisine « exotique » ont été remis au goût du jour. Les Chinois sont des mangeurs de chiens, de vermines, des barbares qui consomment tout ce qui a quatre pattes. Ce sont les bouffeurs de chauves-souris qui ont déclenché une vague d’épidémie à cause de leur palais dégueulasse. Les pays du monde entier les appelle à fermer leurs « marchés aux poissons » à travers la Chine, des marchés qui n’ont aucune différence avec les marchés agricoles de n’importe quelle ville aux Etats-Unis. La diffusion du COVID-19 a induit une montée du racisme anti-Asiatique ainsi que de la violence, mais tu ne peux pas faire visuellement la différence entre un Chinois, un Vietnamien ou un Coréen, parce qu’on se ressemble tous.
Voir le post Facebook de Brujeria à propos de leur nouveau single a été un véritable coup de pied dans le ventre. « Le Coronavirus est la peste du Diable envoyée pour purger toute l’humanité ! […] Venant de Chine où manger des chauves-souris est aussi normal que de prendre un tacos au camion garé à la station essence de ton quartier ». Les commentaires acclamaient le groupe pour l’avoir dit ainsi, clamant haut et fort la vérité taboue selon laquelle les Chinois et leurs pratiques alimentaires sont responsables de la pandémie. Pourtant personne n’attribue un nom de pays aux autres maladies nées de la nourriture. La crise de la vache folle n’est pas le « virus britannique » et personne n’a blâmé les Blancs d’avoir forcé les vaches au cannibalisme pour qu’elles consomment leurs congénères morts. Et bien qu’il soit vrai que parfois certains consomment des chauves-souris dans les zones rurales, les raton-laveurs, les opossums et les animelles des montagnes Rocheuses le sont aussi aux Etats-Unis, et pourtant personne n’appelle les Américains les « mangeurs de couilles ». Je ne suis pas tant frustré par Brujeria que par le reste de la communauté metal sur Internet qui a passé les quatre dernières semaines à dénoncer le racisme, les violences policières et l’injustice, mais qui reste silencieuse à ce sujet. Metalsucks a posté récemment le single de Brujeria, omettant volontairement le descriptif du groupe malgré le fait qu’ils aient affirmé être pour la justice sociale. Nuclear Blast USA et Blabbermouth ont tous deux supprimé le commentaire raciste lorsqu’ils ont partagé la vidéo, en indiquant qu’ils savaient pertinemment que c’était inacceptable, mais n’ont rien fait pour l’arrêter. Ou peut-être Brujeria a-t-il ajouté ce commentaire de son côté et envoyé une version « clean » à Nuclear Blast, puis a par la suite intentionnellement ajouté la pique raciste sur sa propre page Facebook. Je ne sais pas vraiment quel scénario est le pire.

Les incurables misanthropes irritables du black metal mis à part, le metal prétend être une force positive, unissant les métalleux du monde entier au travers d’un partage de l’amour de la musique. Le consommateur de metal exige des groupes asiatiques exotiques et orientaux parqués soigneusement dans des petites boîtes. Les groupes japonais de grind et de hardcore font simplement mieux les choses parce que les Japonais sont fous et intenses ; c’est quelque chose dans l’eau. Les groupes chinois doivent jouer du twangy guqin, du erhu et autres instruments folkloriques. Les groupes indonésiens font du slam brutal. La Thaïland, Singapour ou la Corée peuvent tout aussi bien ne pas exister. À la base de ces divisions se trouve la perception que ces groupes exotiques sont intéressants et uniques en raison de leur origine, et cette perception façonne la façon dont les Asiatiques vivant dans les pays occidentaux sont perçus. Herman Li est un shredder de dingue parce que le dicton dit qu’ « il y a toujours un Asiatique qui le fait mieux ». Cole Kakimoto de Gulch fait du grind influencé Japcore parce qu’il y a écrit « C. Kakimoto » en bas. Si tu ne corresponds pas aux boîtes, les gens sont perdus. Si un chroniqueur sait que je joue chez Ripped to Shreds, il va me demander pourquoi il n’y a pas d’instrument folklorique ou de fioriture orientale appropriée pour qu’on sache que la musique a été faite par un chinetoque. Souvent ils vont dire un truc du genre, « Je pensais que c’était un groupe japonais », parce que les Asiatiques américains ne font pas de metal.
Le Metal devrait s’unir, car il y a de la puissance dans la communauté et dans l’expérience partagée. La vérité c’est que le metal est divisé selon les frontières nationales. Il n’y a rien de mal à catégoriser le metal selon les scènes ; le death metal suédois ayant son truc à lui comparé au death metal norvégien ou de Floride, et ainsi de suite. Mais les Blancs ont l’avantage de pouvoir se fondre visuellement dans la masse : on n’attendra pas d’un Suédois américain qu’il joue des riffs d’Entombed, ni d’un Norvégien américain qu’il soit un clone de Darkthone. Quelqu’un sait d’où viennent les grands-parents de Mike Scalzi ? Ça intéresse quelqu’un ? Les Blancs sont libres d’êtres des Américains jouant le style de metal qu’ils veulent. Le commentaire raciste de Brujeria ce n’est pas « juste » Juan Brujo étant ignorant et blessant. C’est un symptôme de la perception endémique des Asiatiques vus comme d’autres personnes, comme des boucs émissaires, comme de perpétuels étrangers. Si nous Asiatiques nous répondons à ces stéréotypes racistes, on nous dit de nous détendre, que c’est juste une blague, juste une satire. Ce n’est pas comme ça que vos compatriotes américains devraient être traités, et ce n’est pas comment n’importe quelle autre ethnie devrait être traitée en Amérique."


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