Interview | Aleevok, BELORE (Epic Black Metal - France)


Salutations Aleevok, et merci d’avoir accepté de répondre à cette interview. C’est à l’occasion de la sortie de ton premier album Journey Through Mountains and Valleys où tu officies en solo sous le nom de Belore que nous t’avons proposé cette interview après notre chronique :

"Rien de torturé, d’angoissant ici, ni aucune souillure malsaine à l’horizon. Pourtant cette lumière ne nous promet en rien d’être franche, éclatante et joyeuse, il s’agit plutôt d’un jeu de rayons qui percent à travers les nuages, éclairant une partie du flanc des montagnes, pour dessiner devant nos yeux les splendeurs du soir. Cette danse subtile entre lumière et ténèbres, entre vie et mort, nous retourne vers un passé grandiose et révolu. Il semble que l’œuvre transpire la nostalgie de part en part, de celles qui nous ont réchauffé le cœur comme un brasier, durant les longues nuits d’hiver et dont l’on rêve encore pour se consoler. Il y a dans cet univers une notion d’idéal, où les temps médiévaux et les puissances de la nature revêtent des attributs légendaires.
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Nous pourrions situer ce premier album dans un univers heroic fantasy médiéval, peux-tu présenter pour nos lecteurs le projet et quelles ont été tes sources d'inspiration ? Comment est né cet univers et quelles œuvres t'ont marqué pour créer celui-ci ?

Bonjour à toi et merci de t'intéresser à Belore ! Cet album prend en effet place dans un univers médiéval fantastique. Il s'agit d'un style black metal assez épique, lumineux, qui permet à l'auditeur de s'évader à travers des terres oubliées où paysages glorieux, magie et batailles médiévales se côtoient. Ce thème m'est venu naturellement, ayant toujours baigné dans ce type d'ambiance via des supports vidéoludiques comme World of Warcraft (entre autres), mais aussi tout ce qu'à crée Tolkien, les légendes arthuriennes ou dans un sens plus terre à terre : l'Histoire, surtout médiévale. Je suis un vrai passionné du moyen-âge, et pratique le combat médiéval depuis plusieurs années maintenant. Je me suis donc inspiré de lectures historiques mais aussi d'expériences personnelles lors de rassemblements de médiévistes. Je n'ai surtout pas voulu reprendre un univers existant, quitte à créer ma propre musique, autant en faire de même pour le reste.

Parc National du Mercantour (France)


Ce premier album de Belore, Journey Through Mountains and Valleys, sorti en ce début 2020, a obtenu déjà de très bons retours. Est-ce que tu t'attendais à un aussi bon accueil de la part du public ? Peux-tu nous dire comment s'est déroulé l'enregistrement ?

Je ne m'attendais absolument pas à d'aussi bons retours. À la base, c'était un simple passe-temps de composition, qui s'est transformé en projet perso, puis en album à sortir pour les proches ou intéressés. Ce qui m'étonne le plus c'est l'ampleur « internationale » (si je peux parler de ça à mon échelle) que cela a pris. Mon album s'est vendu à travers tous les continents, c'est une chose que je n'aurais jamais pu imaginer il y a quelques mois de ça.
Concernant l'enregistrement, c'est du pur « home-made ». Les guitares/basse ont été faites dans mon salon, avec quelques achats de matos et une carte son, pareil pour le clavier. Pour le chant, j'ai du me rendre dans des locaux sur mon lieu de mon travail le week-end pour pouvoir hurler sans avoir de problèmes (mais j'ai quand même eu les lampes torches de la sécurité un samedi soir à 22h). Le mixage s'est ensuite fait chez moi, sur plusieurs mois car j'ai vraiment pris mon temps pour obtenir le résultat parfait que j'espérais (ce qui n'arrive jamais en réalité).

Belore est signé depuis l'an dernier chez Northen Silence, comment s'est faite cette collaboration ? Qu'est-ce que ça te fait d'être sur ce label aux côtés de Caladan Brood et Saor ?

C'est une énorme surprise. À vrai dire, ce sont précisément ces groupes (avec Emyn Muil) qui m'ont motivé à m'investir sérieusement dans Belore. J'avais prévu de démarcher une dizaine de labels, sans espérer de réponse, puis me lancer dans un crowfunding pour financer un pressage physique histoire d'avoir l'objet comme « récompense » de mon investissement. Un jour, avant de prendre le train, j'ai envoyé 2/3 mails pour lancer les démarches. Puis, 5h plus tard, j'ai reçu une réponse de Torsten (Northern Silence) me disant avoir adoré l'album et vouloir me signer. J'ai sauté de joie ! Être reconnu par ce label et côtoyer ses plus grandes influences, c'est vraiment plus que gratifiant. C'est ce qui m'a fait me rendre compte que je pouvais faire quelque chose, à mon niveau, avec Belore.

Tu as choisi de t'exprimer en anglais sur cet album. Pourquoi ce choix ? Est-ce que la langue française t'est apparue comme une option ou pas du tout ?

L'exercice de l'expression écrite est une première pour moi, je ne suis pas vraiment un homme de plume. J'ai commencé à écrire en français mais je n'ai jamais été satisfait du résultat, je trouve l'exercice plus difficile qu'en anglais et seuls peu le relèvent avec brio (comme mon collègue Cervantes de Darkenhöld par exemple). Je suis loin d'être bilingue, cela doit s'entendre dans mon chant (je ne suis pas objectif), j'ai fait relire mes paroles avant l'enregistrement, mais même après ça on m'a notifié quelques coquilles (insignifiantes). Je ferai plus attention la prochaine fois ce n'est pas grave.

Quand as-tu décidé de créer Belore ? Comment ce projet s'est-il créé ? Combien de temps t'as pris l'écriture de l'album ?

Comme expliqué un peu plus haut, ce projet est né d'un passe-temps. Cela fait de nombreuses années que je suis dans le milieu du black metal et j'avais envie de voir si j'étais capable de créer quelque chose par moi-même. L'écriture de l'album m'a pris environ 2 ans, car je m'y attelais uniquement lorsque l'envie me venait. Je n'avais aucune contrainte d'attente ou de contrat, il devait peut-être y avoir 6 personnes au courant de ce projet. Il arrivait des périodes de 3 mois sans toucher à la composition, mais si je me souviens bien, j'ai commencé ma première compo ("The Whispering Mountains") en octobre 2016.




Aleevok, tu as déjà joué dans de nombreux groupes, tels que Continuum dernièrement et tu es aussi bassiste dans le groupe Darkenhöld. Est-ce une autre façon de t’exprimer musicalement parlant ? Comment s’exprime ta personnalité à travers ce projet où tu es le seul maître à bord ?

Mon principal groupe avec lequel j'ai la chance de tourner depuis plus de 11 ans maintenant est Darkenhöld, où j'officie à la basse en live depuis les débuts. J'ai ensuite pas mal joué avec Continuum, le projet d'Aboth, batteur de Darkenhöld, dans un registre metal progressif particulier et unique. Mais cela fait plusieurs années que nous ne faisons plus de live.
C'est donc, en effet, une manière pour moi de m'exprimer pleinement en ayant une vision précise, et la main sur un projet dans son entièreté. Je peux faire parler mon perfectionnisme et les envies d'harmonies épiques qui somnolent en moi ! Plus je travaille sur ce projet, plus je me rends compte que j'ai une multitude d'envies et d'idées pour le faire grandir. C'est clairement devenu une passion !

J’aimerais avoir ton avis sur la scène black metal actuelle, notamment française. Selon toi, qu’est-ce que Belore apporte de spécifique au paysage actuel du black atmosphérique ? As-tu l’impression que quelque chose manquait ?

La scène black metal française est de plus en plus représentée. Beaucoup de groupes émergent et réussissent à se faire reconnaître hors de nos frontières, je trouve ça génial et mérité. Avoir un ou plusieurs groupes de BM français sur des affiches de gros ou petits festivals est de plus en plus fréquent. Cela devrait progresser dans les années à venir, grâce notamment à la multiplications de festivals/événements à travers le pays mais aussi à des labels, comme Les Acteurs de l'Ombre, qui se défoncent pour promouvoir le black et placer ses poulains sur de belles scènes.
Par contre, je ne pense pas que quelque chose manque en particulier concernant le black metal atmosphérique. C'est un style dont on a bien fait le tour et qui ne laisse pas une grande place à l'innovation. Par contre, avec Belore, j'ai essayé d'apporter une production un peu plus moderne au style, chose qui pèche, à mon goût, pour de nombreux groupes ou projets solo. Encore trop d'album sortent avec un son « crade parce qu'il faut que ça soit crade » au lieu de se poser la question et de savoir si ça sert vraiment la musique ? Alors qu'une production plus poussée (sans tomber dans du Dream Theater bien sûr), permettrait à certains d'apporter plus de détails et de richesse à leurs compositions.

Le mot « Belore » correspond bien à ta musique. Comment t’est venu ce nom ? Y a-t-il une signification particulière ?

Belore (qui se prononce 'Béloré') signifie « soleil » en Thalassien, une langue elfique tirée de l'univers de Warcraft (c'est la seule utilisation directe que je fais et ferai de cet univers). Ma musique étant lumineuse pour du black metal, avec la nature mise en avant, ce terme correspond parfaitement. Un soleil est d'ailleurs représenté dans le logo, crée par la talentueuse Claudine Kax alias 'kaxtaclysm', à l'intérieur du O. On peut aussi trouver un second sens au nom Belore avec le terme 'Lore' qui correspond à un ensemble d'histoires, dans un univers fictionnel. Les paroles de cet album racontant des suites d'événements au sein d'un univers commun.



Ce premier album nous fait penser à un voyage dans des contrées lointaines. Quel est ton rapport au monde actuel ? Cultives-tu des espoirs pour celui-ci, son devenir ?

J'avoue être assez pessimiste quant à l'avenir de l'Homme ainsi que de la plupart des espèces dans les décennies à venir. Et je ne pense pas que la crise actuelle du COVID-19 change grand chose. Le rapport entre économie mondiale et humain aura du mal à être inversé. Du moment que certaines entreprises (comme BlackRock, Bayer, …) seront présentes, il sera très difficile de faire bouger les choses. Je suis impliqué dans la cause animale, et dans certains aspects liés à l'écologie, mais je garde cela pour moi. J'évite d'ennuyer les gens avec ça, c'est un choix assez personnel.

Belore ainsi que tout ce qui touche aux univers fantastiques sont clairement une façon de s'évader. Le but ultime de mon album est que l'auditeur puisse se poser, fermer les yeux et s'imaginer son propre univers en écoutant ma musique. Si certains y arrivent, alors ma mission est accomplie !

Dans les paroles, on peut lire des histoires de héros morts au combat mais aussi de mémoire des ancêtres. Quel est ton rapport à la mort ? Quel est le rôle de la mémoire selon toi ? Créer des œuvres est-il un moyen pour toi de tromper la mort, de laisser une trace ?

Je n'ai pas de rapport particulier avec la mort, c'est une logique même de la vie, parfois attendue, parfois injuste, ça arrive c'est tout. Par contre, cela m'inspire des thèmes musicaux mélancoliques que j'utilise notamment pour "The Funeral's King" et qui raconte, comme pourrait le faire un tableau ou une œuvre d'art, le déroulement de funérailles royales. J'y associe la mort à une fin d'après-midi, sous la lumière d'un soleil couchant, dans des couleurs de feu, comme on peut le lire sur le premier couplet.
Pour moi, la création d’œuvre est un moyen de laisser une trace oui, pas de soi, mais d'une époque. Quand on écoute du baroque ou même lorsque l'on regarde une illustration/portrait de Hans Holbein, on y voit certes une touche de l'artiste, mais surtout une trace de la vie telle qu'elle était à ce moment donné. L'art ancien permet de voyager dans le temps, avec peu de moyens.


Quelle place la musique prend-elle dans ta vie ? Comment t’est venue cette passion ? Peux-tu nous en dire plus sur ton parcours de musicien multi-instrumentiste et de compositeur ? Et as-tu des idées pour la suite de ta carrière ?

La musique a une place primordiale dans ma vie, elle est plus qu'essentielle. J'en écoute au quotidien, au rythme de 2 à 3 albums par jour quand je le peux. Je crois que cette passion a débuté quand j'étais jeune. Mon père m'a donné un album de Dire Straits (Brothers in Arms je crois), c'est à ce moment que j'ai commencé à apprécier la musicalité des instruments et l'émotion que cela pouvait procurer. J'ai débuté la basse pour intégrer un groupe avec des amis, vers mes 15 ans, projet qui est tombé à l'eau après une répétition. Mais j'ai continué à m'intéresser à d'autres instruments, j'ai d'ailleurs acheté mon premier synthé avec ma toute première paie, suite à un job d'été. Je suis tombé amoureux du Korg X5D, sans savoir à l'époque que c'était un clavier emblématique dans le milieu black metal (notamment sur l'album Enthrone Darkness Triumphant de Dimmu Borgir). Depuis je pratique la guitare de temps à autre et essaie de progresser à la Tin Whistle. Mon rêve serait de savoir maîtriser plusieurs instruments médiévaux tels que la Vièle à Archer, le Psalterion, l'Hurdy Gurdy, le Kanoun et bien d'autres.

Je pense maintenant me concentrer sur Belore, travailler sur un second album et y consacrer encore plus d'énergie et d'attention, en m'entourant cette fois de personnes extérieures si le besoin se fait ressentir. J'aimerai aussi beaucoup sortir une édition vinyle, du merchandising (je sais déjà avec quelle illustratrice je vais travailler), mais tout ça dépendra aussi de Northern Silence.

Merci encore pour cette interview, est-ce que tu aurais un dernier mot pour conclure ?

Merci beaucoup à toi pour ces questions atypiques et intéressantes ! Ce fût un réel plaisir d'y répondre. Je souhaite remercier grandement Torsten, du label Northern Silence, pour avoir fait confiance à mon projet et m'avoir permis de le distribuer à une si grande échelle. Même si cela reste un projet underground, cela signifie beaucoup pour moi. Je souhaite ensuite remercier toutes les personnes qui suivent Belore depuis plusieurs mois, qui réagissent, commentent et me font des retours (positifs ou négatifs), j'y accorde une grande importance. J'espère que cet album ne sera que le début et continuera ainsi à faire voyager les auditeurs vers de lointaines contrées...

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Questions : Iviche et Taarna

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