Interview | INTROSPECT (Blackened Darksynth / Synthwave - France)

Introspect Live in Paris, Jan 4 2019 - Photo by Chloé & Floriane

Introspect c'est la rencontre dans une ruelle sombre éclairée aux néons du Black Metal et de la synthwave. Cette engeance diabolique est née en 2017 à Orléans avec son album Chicago Nights. Après de nombreuses expériences sonores poussant toujours plus loin l'obscurité qui l'habite, Introspect sort en 2019 son album Redemption.

L'ombre de Perturbator, Carpenter Brut, GosT et Kavinsky planent sans pour autant en faire une copie!

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Salut à Introspect ! Vous avez sorti en 2019 un nouvel album Redemption. Peux-tu présenter votre projet à nos lecteurs ?

Salut à toi ! Introspect est un projet de musique électronique que j'ai démarré en 2017, pour exprimer des thématiques personnelles avec un son à la fois sombre et énergique. C'est un projet très éclectique qui puise dans de nombreux styles, notamment la darksynth, la techno, le funk, et l'indus. Typiquement les morceaux mélangent des synthés typés retro avec des lignes de basses ou de guitares et sont conçus pour marcher aussi bien sur le dancefloor qu'en voiture, ou même tranquille chez soi.

À l’origine tu es plus connu pour ton travail au sein de la scène black metal et en tant que bassiste de Tan Kozh, et Les Chants de Nihil. Qu’est-ce qu’il t’a poussé à te lancer dans la synthwave ?

J'ai commencé à faire de la musique électronique peu après avoir quitté Les Chants de Nihil, à ce moment là je n'étais plus dans aucun groupe et je m'étais mis à écrire de la musique contemporaine, j'ai d'ailleurs étudié la composition pendant un an au Conservatoire de Lyon à cet effet. J'avais écrit une pièce de 15 minutes pour clarinette, vibraphone et basse et j'avais trouvé des musiciens pour jouer ça en concert, mais malheureusement, un des musiciens n'a pas pu apprendre la pièce avant le concert et la représentation n'a pas pu avoir lieu... C'était très décevant et assez vite après ça je me suis mis à faire de l'électro, je me disais qu'au moins dans ce style là, je n'aurais pas ce genre de pépin parce que je ferais tout moi-même. Il se trouve que j'ai bien accroché à ce style et j'ai donc continué à travailler ça, jusqu'à aujourd'hui !

INTROSPECT - Redemption (2019)

Entre Perturbator, GosT et en France We Are Magonia les liens entre le black metal et la synthwave ne sont plus à démontrer. Penses-tu que des concerts mêlant les deux verront bientôt le jour ?

Tout à fait, je pense même que ce genre de mélange s'est sans doute déjà produit sans que ce soit vraiment voulu, étant donné que les gros groupes de synthwave (et plus particulièrement de la branche plus agressive qu'on appelle souvent 'darksynth') sont souvent programmés dans les festivals et concerts de metal. Je dirais que là où la frontière entre synthwave et métal est la plus poreuse, c'est au niveau de l'industriel, parce qu'on a d'un côté des groupes de métal industriel, de l'autre des groupes de synthwave qui se rapprochent de plus en plus de l'indus, et au milieu, les groupes d'indus, d'EBM, etc. Pour ce qui est de mélanger black metal et synthwave sur une même affiche, je pense que le rapprochement n'est pas aussi évident, mais en discutant avec des amis qui organisent des concerts métal, j'entends des idées du type « concert de black metal jusqu'à minuit, puis after synthwave jusqu'à 3h » et je pense que c'est clairement un concept qui peut marcher. J'espère qu'on nous proposera un jour une date de ce type !

Qu’est-ce qui rapproche tant les deux styles ?

Je pense que pour le black metal en particulier, il y a un rapprochement qui s'opère au niveau de l'atmosphère très sombre de certains projets de darksynth. Quand tu écoutes Perturbator par exemple, tu sens dans l'atmosphère de certains morceaux que le gars a touché au black metal. Et dans le cas de GosT et We Are Magonia, on a en plus de ça l'influence très importante de John Carpenter et des films d'horreur old-school qui permet d'appuyer ce genre d'ambiance. Parmi les groupes que je connais bien, GosT est à mon avis le meilleur exemple de fusion synthwave / black metal parce qu'il a aussi un son très brut, un peu crade, et il a aussi expérimenté avec des blast beats et du chant hurlé sur ses dernières sorties. Mais à part ça, au fond je pense que la synthwave et le black metal (voire le metal en général) n'ont pas tant que ça de choses en commun, et quand j'y réfléchis, je n'arrive pas vraiment à trouver une explication logique au fait qu'autant de métalleux soient aussi friands de synthwave.

Que t’apporte la synthwave par rapport au black metal ?

Personnellement, ce sont deux expériences très différentes en grande partie parce qu'en black metal, j'ai toujours été juste bassiste, alors qu'en synthwave je suis le membre principal qui écrit et produit toute la musique. J'avais déjà pensé à écrire des morceaux black metal mais ça ne s'est jamais vraiment fait, j'ai toujours laissé la composition des morceaux à mes amis qui avaient plus d'expérience là-dedans et qui étaient plus à fond dans le black que moi. Avec la synthwave j'ai enfin pu découvrir ce que c'était que d'écrire des morceaux, les enregistrer, les mixer et masteriser et enfin les sortir, faire de la comm', etc., et j'en suis hyper content ! Mais malgré tout j'apprécie toujours beaucoup faire partie d'un groupe et faire juste de la basse (et c'est pour ça que j'ai rejoint Tan Kozh récemment), dans ces moments là je profite de pouvoir juste m'éclater en jouant de mon instrument, sans avoir à gérer tous les aspects non-musicaux du projet.




Les deux styles ont des codifications bien établies, comment en joues tu ?

Dans certains de mes morceaux, je me suis amusé à mélanger les deux pour créer un ensemble surprenant. Par exemple dans ma reprise de 'For Whom The Bell Tolls', je m'étais dit que ce serait une bonne idée de demander à mon ami Sven (le chanteur de Tan Kozh) de faire le chant dans un pur style black metal, pour 'durcir' le son du morceau de ce côté là, et de l'autre de jouer les leads de guitare avec des synthés ultra retro. Dans 'Soumets-Toi' qui est sur mon dernier album 'Redemption', je voulais avoir un son très brut et un peu crade, et je me suis aussi amusé à mettre un blast beat à un moment, mais toutes les lignes de basse et les mélodies sont hyper funky.
Donc, quand je puise dans le black metal, je n'hésite pas à faire quelque chose d'assez typique parce que je veux que le côté black soit vraiment évident. Par contre, jouer avec les codifications de la synthwave sans faire quelque chose de cliché, je trouve ça plus difficile. Il y a une façon typique d'écrire de la synthwave, qui repose sur des mélodies, des accords et des rythmes qui sont très efficaces mais qu'on a malheureusement déjà entendues et ré-entendues. En général, j'évite ce problème en mélangeant une base synthwave avec d'autres styles.

Quelles sont tes inspirations pour Introspect ? Cinématographiques, musicales et bien sûr BO (oui c’est de la musique mais ça va avec des films donc j’aimerais savoir ce que tu penses du lien entre l’esthétique synthwave et la musique qui existe dans des films comme Blade Runner)

Au niveau musical, j'ai énormément d'inspirations différentes, mais bien sûr je citerai les grands groupes de darksynth comme Perturbator et GosT ; je m'inspire aussi parfois de musique French Touch (Vitalic, Justice), de techno sombre type Gesaffelstein, et au niveau metal je dirais Nine Inch Nails dont je suis fan depuis très longtemps. Au niveau cinématographique je citerai trois de mes réalisateurs favoris, Nicolas Refn pour ses films 'neon-noir', David Lynch pour ses atmosphères bizarres et mystérieuses et David Cronenberg pour le côté viscéral de son œuvre. Au niveau musique de film, ce sont clairement les films de Refn qui ont eu le plus d'impact sur moi, j'ai découvert la synthwave avec 'Drive' et j'ai aussi énormément flashé sur la musique de The Neon Demon. Et bien entendu, la musique du jeu vidéo 'Hotline Miami' m'a également beaucoup marqué, c'est un peu avec elle que je me suis décidé à faire de la synthwave.




Si il devait y avoir un film ou un jeu vidéo avec en BO Introspect tu le verrais comment ?

Pour mon premier album 'Chicago Nights', ce serait clairement un film un peu dans le style de 'Drive' de Nicolas Refn, qui se passerait à Chicago et qui se déroulerait au cours d'une seule soirée, au cours de laquelle le personnage principal irait d'endroits en endroits, avec parfois des moments d'extase, parfois des moments de doute, et qui se terminerait avec notre personnage quittant la ville en voiture au lever du soleil. Pour mon deuxième album 'Redemption', ce serait plutôt une virée en boîte qui virerait peu à peu au délire psychédélique alors que les personnes qui dansent dans la boîte se révèlent être des êtres démoniaques et qu'on découvre que l'ensemble des éléments de la boîte—les murs, les stroboscopes, la boule à facette—sont faits de chair et animés d'une vie propre... À ce moment là notre protagoniste comprend que la seule issue est de rivaliser d'énergie avec les démons et de toujours danser, ce qui mènera au final à un affrontement entre les différentes facettes de sa personnalité. En version jeu vidéo, je pense que ça pourrait faire un jeu de rythme plutôt stylé aussi !

Revenons à Redemption. L’album est sorti alors que les albums de synthwave s’enchaînent depuis plusieurs années maintenant avec l’explosion de Carpenter Brut et Perturbator. Comment vois-tu cette évolution ?

Je suis content que le style soit de plus en plus populaire, ça nous permet d'avoir un public à nos concerts ! Et même si le style n'est plus tout jeune non plus, il le reste quand même pas mal en comparaison à ce qu'on écoute aujourd'hui. Finalement il n'y a pas tant que ça de styles musicaux qui sont nés après 2000 ! Et je trouve qu'il y a eu beaucoup de choses intéressantes de faites dans ce style quand on prend en compte qu'il existe depuis peu.

Comment fais-tu pour t’en démarquer alors que les productions s’uniformisent de plus en plus ?

C'est vrai qu'il y a un style synthwave classique et que ce qui sort aujourd'hui n'apporte parfois pas grand chose par rapport à ce qui a déjà été fait. Quand tu ajoutes à ça le fait que beaucoup de projets synthwave utilisent les mêmes codes esthétiques—les palmiers, les néons, les graphismes style 'Tron', la technologie, etc—ça peut vite faire répétitif. Mais d'un autre côté je trouve qu'il y a beaucoup de gens dans ce style qui font des choses très intéressantes et pour le coup très originales, que ce soit Perturbator qui penche vers l'indus, GosT vers le black metal et la coldwave... C'est peut-être juste lié au fait de faire partie de ce milieu, mais de mon côté je trouve qu'il y a beaucoup d'artistes qui ont leur patte bien à eux et repoussent petit à petit les limites du style, que ce soit Sierra, Dav Dralleon, Salvation... De mon côté, j'essaye d'incorporer plein d'influences dans ce que je fais et je pense que mon côté funky et le fait de jouer de la basse sur mes morceaux est ce qui me permet de me démarquer le plus.

Tu décris Introspect comme « funky », mais comment rendre l’obscurité disco ?

Justement, c'est lié avec la question précédente, c'est ce genre de mélange qui fait la spécificité du projet. Je voulais faire avec 'Redemption' quelque chose à la fois sombre et violent mais aussi très funky c'est quelque chose que j'avais envie de faire depuis très longtemps, avant même d'avoir commencé Introspect. Ça fonctionne différemment selon les morceaux, mais en général, ça consiste à utiliser des rythmes et des mélodies très funk ou disco, mais de les faire jouer par des sons sombres ou agressifs ; les morceaux 'Breathing Strobe et 'Soumets-Toi' sont de bons exemples de ça. D'autres fois j'utilise juste un rythme très funky avec une gamme qu'on entendrait plus dans du métal ou de l'indus, comme dans 'The Flayed Dancer'. C'est un mélange vraiment particulier et je me suis bien éclaté à expérimenter autour de ça !





Comment expliques tu cette vague de nostalgie qui a donné naissance à la synthwave ?

Honnêtement, je ne crois pas avoir d'explication si dingue que ça, je dirais juste que ça fait partie du cours des choses, les choses tombent dans l'oubli puis redeviennent à la mode sous une autre forme, les générations précédentes adulaient les années 60 et les années 70 avant nous et puis ça a été le tour des années 80 (oui désolé, c'est un peu chiant comme explication) ! Et de mon côté, j'attends avec impatience un revival années 90, même si j'ai assez peur de ce que ça pourrait donner niveau musique !

Faire du true black metal en 2020 c’est presque pareil non ? 

Oui, je pense que faire du true black aujourd'hui, c'est un peu faire de la musique retro, d'une certaine façon ! Surtout si on parle d'avoir volontairement un son crade ou d'utiliser volontairement du matos d'enregistrement bas de gamme. Dans ce cas là on est pas si éloigné de la fascination des artistes de synthwave pour les vieux synthés des années 80 ! Mais ce que j'aime dans la synthwave c'est que le style a réussi à faire quelque chose de nouveau avec du vieux, et quand tu en écoutes, tu te rends vite compte que ce n'est pas la même chose que la musique des années 80. En ce qui me concerne, un peu comme avec la synthwave, niveau black metal je ne suis pas très friand de true black et je préfère les choses un peu plus aventureuses et novatrices, un peu comme ce que fait Ihsahn par exemple.

Je te laisse le mot de la fin !

Keep it dark, keep it raw, keep it funky ! Et n'oubliez pas vos 5 fruits et légumes par jour !



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Questions : Morgan

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