Interview | Guillaume B. de XCIII (Avantgarde Rock / Metal - France)


XCIII, est le projet atypique de Guillaume B. et un des rares groupes qui passe pour la deuxième fois sous les questions de Scholomance. La raison est simple, le groupe est devenu un One-Man band, il a arrêté le Post-Black Metal, pour du Rock / Metal Atmosphérique et Avant-gardiste. Son association, Anesthetize est passée des concerts à la production de CD, LP, et livres.

6 ans après leur première interview, découvrez le parcourt atypique de ce musicien aux multi-facettes...

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Il y a déjà plusieurs années, à l'occasion de la sortie de ton premier album Like a Fiend in a Cloud (2013) chez Naturmacht Productions, tu étais passé par les pages de Scholomance. Qu'est-ce qui s'est passé depuis ?

C’est tout d’abord pour moi l’occasion de remercier Scholomance pour le suivi depuis toutes ces années. En effet, le premier album de XCIII est déjà sorti il y a 6 ans. A l’époque, il s’agissait encore d’un groupe avec une formation traditionnelle : deux guitaristes, un batteur, un claviériste et un bassiste-chanteur (moi, en l’occurrence). Aujourd’hui, ce n’est plus du tout le même line-up. Je compose, enregistre et joue seul en live. Ce fut le cas pour le deuxième album Enlighten (2016) ainsi que le troisième album Transiense (2018) et les EP Theanomie (2017) et Press Repeat (2018). Plusieurs vidéos ont accompagné ces sorties (Chloroform, Room of Lights. J’ai également repris les concerts. Bref, depuis 2013 il s’est passé énormément de choses et j’ai pu rencontrer ou revoir des personnes et des musiciens formidables, comme par exemple Renaud Fauconnier (ex-Borgia, Wormfood, Ketelo Tropo, ndlr), qui m’ont beaucoup apporté, tant sur le plan humain que musical. XCIII est un projet en évolution constante et c’est pour moi une grande satisfaction de ne jamais rester sur place, ne jamais me contenter de ce qui est, mais aspirer à ce qui pourrait être.





Aujourd’hui, comment présenterais-tu XCIII ?

XCIII est un one-man band de Rock et Metal atmosphérique à tendance avantgardiste. Je suis toujours un peu embêté lorsque j’utilise ce terme, puisqu’il désigne un courant très précis de l’histoire de la musique. Cependant, depuis presque 10 ans, les webzines, les proches, les amis et les fans n’ont jamais vraiment réussi à cataloguer la musique de XCIII, et le côté à la fois hermétique et réfléchi de la notion d’avant-garde me plaît particulièrement. Mais à l’inverse de ce courant, ma musique est tout de même plus répétitive, moins labyrinthique et aussi moins technique. Il s’agit davantage d’explorer des sonorités, mais aussi de construire une œuvre avec des morceaux qui communiquent entre eux, qui se répondent et se critiquent, se mettent en perspective. Tout est toujours très réfléchi et construit et nécessite, je pense, un certain nombre d’écoutes afin que l’on puisse saisir l’ensemble comme un tout, et non comme un travail morcelé. Au final, XCIII n’est pas le Gentle Giant du XXIe siècle, même s’il s’en rapproche par moment. Ce n’est pas du Black Metal alors que le mix a sûrement hérité de l’ambiance froide et chirurgicale. Ce n’est pas de la Trip-Hop de Massive Attack ou de Tycho même s’il y a des passages électroniques qui pourraient y faire penser. Ce n’est rien de tout cela et en même temps c’est un peu tout ça. Car tout cela me plaît et m’influence tous les jours.

À côté de ça, tu es passé de l’organisation de concert à un label et une maison d'édition, Qu'est-ce qui te pousse à vouloir te diversifier comme ça ?

La création d’un label et d’une maison d’édition correspondait dans un premier temps à la volonté de produire mes propres albums et ouvrages et, pour reprendre les mots de Walter Benjamin, que j’ai eu la chance de traduire, d’être à la fois auteur et producteur, se réapproprier la matière, pour qu’elle soit le moins altérée possible. Mais très vite j’ai voulu participer à mon échelle à l’éclosion de groupes et d’écrivains qui naviguent dans l’underground. Cela a depuis tous temps été le but affiché de l’association Anesthetize. Depuis 2010 nous avons produit un certain nombre de groupes, travaillé avec de nombreuses salles, avec des distributeurs etc. toujours dans un esprit DIY. Permettre aux groupes de se produire, rendre accessible cette culture parfois méconnue du grand public, est pour moi l’un des enjeux de notre époque, celui qui permettra à d’autres de progresser et de proposer à leur tour une vision éclairée du monde. En effet, on reste enfermé dans une culture subit, qui véhicule certaines images, certaines idées, et nous souhaitons que cela change. Nous demeurons profondément apolitique, mais nous pensons que la culture devrait permettre à tout un chacun d’élargir son horizon et de fait, de remettre en question certaines problématiques.

Tu es toi même auteur, quelle est la différence pour toi entre écrire un livre, le traduire et écrire un album ?

Je n’ai pas vraiment à proprement parlé écrit d’ouvrage, seulement des articles. Le passage à l’écrit est pour moi très difficile. Je suis plutôt une personne qui utilise l’oralité pour faire passer un message. La musique comme vecteur organique me permet davantage de m’exprimer que l’écriture. La traduction quant à elle me permet de comprendre certains auteurs qui me semblent essentiels pour mon développement personnel, mais aussi pour affiner mon écriture. Bien qu’au final on ne puisse pas dire que je sois auteur, je trouve cela pourtant très important d’imbriquer les différentes manières de s’exprimer. On retrouve dans la musique de XCIII nombre de concepts et idées, et la musique s’inspire de différents romans, mais pas que : d’autres formes d’art s’y retrouvent aussi, comme la mode dans le dernier album. Tout est alors remis en question, analysé, afin de comprendre pourquoi tel style, tel genre, telle manière de créer peut apporter quelque chose à l’histoire déjà écrite ou celle que nous allons écrire. C’est la raison pour laquelle je souhaite que XCIII demeure évolutif : il y a tellement de choses à explorer qu’on ne peut pas se restreindre à une seule catégorie.

Justement, revenons un peu à XCIII, ton premier album et l'EP qui suivait était très pictural. Tes dernières sorties utilisent des photos plus « urbaines » qu'est ce qui t'as poussé à faire ce changement d'ambiances ?

Je suis attiré par énormément d’ambiances et il est souvent difficile pour moi de faire un choix. La pochette de Like a Fiend in a Cloud (par Metalex, ndlr) est en effet plus picturale et reflète en quelque sorte un flou, comme un rêve, ou bien un paradis artificiel. L’utilisation de la photo pour le dernier album (par Juliette Poulain, ndlr) est pour moi un moyen de réinjecter du réel. Mais un réel qui a subi une transformation, qui n’est donc pas lisse. Au-delà, cela fait aussi tout simplement référence au milieu de la mode, qui use et qui abuse de la photographie pour enfermer des modèles dans un idéal éphémère. Nous revoilà en quelque sorte au point de départ. Ainsi, dans mon esprit, il n’y a pas tant de différences entre les pochettes. Elles ont toutes quelque chose d’éthérée, elles sont toutes en quelque sorte absente. Ce qui prédomine par contre, c’est la femme. Celle représentée sur la pochette de Transience est d’ailleurs, dans mon esprit, la même que celle que l’on voit sur Like a Fiend in a Cloud. Elle s’est rapprochée. Elle est désormais reconnaissable. A l’imaginaire des débuts s’impose une réalité. Mais la femme est-elle alors plus belle, puisque présente à nos yeux ? Ou bien a-t-elle plutôt perdu de son attrait ? Une mélancolie demeure, mais maintenant qu’elle est dans le monde et non plus une sublimation, elle a peut-être perdu la capacité à être belle. Se pose alors la question de la beauté. Qu’est-ce ? Ou peut-on la trouver ? Quel est son message. Bref, le changement d’ambiances est dû à cette incessante recherche et mettent ainsi en scène mes réponses. Partielles, puisqu’elles vont continuer à évoluer, afin de se rapprocher encore un peu plus d’une vérité objective. Même si je doute très fortement que je pourrais l’atteindre un jour.




Tu es passé d'un Post-Black très romantique sur ta première démo, Majestic Grief (2010) à un mélange de Rock / Metal Avantgardiste aux touches Trip-Hop. Comment expliques-tu cette évolution ?

La musique accompagne les images. Les débuts étaient très marqués par Baudelaire, et je suis désormais davantage attiré par la littérature de la décadence du début du XXe siècle ainsi que par le post-modernisme, le post-structuralisme. Mais ce qui m’intéresse surtout, c’est comment le monde est façonné. L’un ou l’autre, Baudelaire ou bien Thomas Mann, Roland Barthes et Derrida, ont en commun de s’être interrogés sur ce monde dans lequel nous vivons. Et tous ont un point en commun : rien n’est tout à fait clair, tout est brouillé par une entité tierce que l’on arrive pas à découvrir. Il s’agit donc d’un chemin, d’un cheminement.
Musicalement, il y a certainement eu des changements, notamment l’ajout d’une chanteuse (Maélise Vallez, ndlr), avec qui je souhaiterais continuer de travailler puisque j’aime énormément sa voix ; mais j’ai au final gardé les ambiances alambiquées, voilés par une aura mystérieuse. Le Post-Black n’est à cet effet pas si éloigné de la musique électronique, en outre la Trip Hop. Cette dernière a des accents plus joyeux par moments, mais ne l’est qu’en surface. Au contraire, c’est glauque, poisseux. Les ambiances demeurent atmosphériques, répétitives. Le Rock est peut-être un peu différent puisqu’il apporte une immédiateté. Il réveille car il est plus direct et se rapproche ainsi davantage du Black Metal traditionnel que j’aimerais réintégrer également.
Au final, j’ai cette incroyable chance de ne pas avoir à me limiter. C’est souvent le cas dans la scène Metal et Black Metal où il faut absolument sonner comme ci ou comme cela. Pourquoi un mélange entre Post-Black et Trip Hop ne serait-il pas possible ? C’est pas trve, bien sûr, mais ça intéresse qui d’être trve finalement, à part les trve eux-mêmes. La musique de XCIII est pourtant, je l’espère, loin d’être du easy-listening, de la musique d’ascenseur créée pour la radio.

Tu as depuis repris les concerts sous forme de one-man band. Comment conçois-tu le passage sur scène de ta musique.

J’ai en effet ce besoin pressant de reprendre les lives et, ne trouvant pas de musiciens (ne les cherchant pas avec assiduité d’ailleurs), je me suis demandé comment je pourrais faire en étant complètement autonome. Je ne voulais pas faire du DJing, que je trouve soporifique en live. Je ne voulais pas non plus jouer seul sur scène avec une guitare et des samples. J’avais vu en concert un musicien qui faisait ça. La musique n’était pas désagréable, mais il passait quand même une bonne partie de son temps à danser plutôt que de jouer. Je voulais que le passage en live se rapproche d’une performance artistique, c’est-à-dire un moment intense où finalement tout peut arriver. Notamment l’accident. Faire des erreurs en direct et trouver des solutions en direct confère à la musique cet aspect évolutif que je recherche. Parfois, il faut le dire, c’est raté. Mais d’autres fois, c’est intéressant, c’est inspirant, c’est autre chose. Ainsi, chaque concert est réellement un moment unique. Pour le côté technique, je sample les batteries et les nappes avec mon ordinateur via Ableton live relié à une carte son externe, elle-même reliée à la table de mix ; et je loop la guitare, la basse et le chant en direct avec le Ditto x4 de TC Electronique. Tout reste synchro grâce à la connexion Midi. En 2019 je souhaite également intégrer des percussions jouées en lives sur Samplepad 4 de Alesis ainsi que des clips vidéos en arrière-plan, pour un résultat lancinant et cinématographique, se rapprochant aussi par moment de la chorégraphie, car les mouvements sont étudiés, appris, répétés et s’enchaînent, je l’espère, avec le plus de grâce possible. Tout cela demeure encore en phase test, mais la petite dizaine de concerts que j’ai fait depuis l’année dernière m’a permis d’améliorer ladite performance et de suppléer à des difficultés que je n’imaginais pas.



Ta vision du Black Metal a changé depuis tes débuts à Nice ?

Lorsque j’habitais Nice et que j’étais plus jeune, le Black Metal véhiculait ce quelque chose de différent, de mystérieux, de fascinant. J’ai toujours été attiré par les moments plus calmes que par la violence pure, mais celle-ci m’interrogeait également. Aujourd’hui, quand je vois un concert de Black Metal, cela me fait surtout sourire. Mysticum qui chante Satan 666 pendant tout le set, Behemoth qui met en œuvre une grandiose scénographie à la gloire de Satan … Que dire ? C’est du show-biz ! C’est vraiment sympa à voir, mais c’est du show-biz !
J’avais écrit un article, publié dans Scholomance, qui expliquait, en s’appuyant sur une interview de Ulver, que le Black Metal (norvégien) est mort. La musique existe toujours, mais l’esprit a disparu à partir du moment où cette musique est devenue en quelque sorte populaire. On ne peut pas se dire trve quand on met en scène quelque chose, puis qu’on divulgue tous ses secrets qui font son mystère. Quand Varg Vikernes a divulgué à la presse que lui et ses camarades brûlaient des églises, tuaient des personnes, il a réussi à faire connaître le trve Black Metal à grande échelle, mais il a alors également et paradoxalement participé à gommer le trve. Résultat : Mayhem donne une de ses premières interviews pour le magazine Kerrang et devient un groupe connu à l’international. Ce que je veux dire, c’est que sans ces macabres mises en scène (on pense aussi à la photo de Dead suicidé qui a servi à faire une pochette de Mayhem), la musique n’aurait peut-être jamais trouvé le chemin jusqu’à nous. J’aime beaucoup la musique de Mayhem, mais celle-ci est indéniablement partie intégrante de l’industrie culturelle que Mayhem voulait pourtant combattre au-départ. L’invention de personnages, le maquillage, ont participé à la fétichisation du mouvement, qui est désormais suivi par une fan base active, qui a fait des musiciens des stars. Cette idolâtrie n’est pas si distincte de celle que l’on connaît dans la musique populaire. Certes, ce ne sont pas des gamines qui s’exclament devant un blondinet, mais des adultes qui beuglent devant le corpse paint. L’effet, assez pathétique en soi, est le même. Quand je lis alors les commentaires sur la chaine YouTube de Varg Vikernes, j’ai l’impression de lire les fanzouzes de Hanouna. Ça ne vole pas haut. Dans tous les cas, les réseaux sociaux ont ainsi fini par achever l’esprit communautaire du Black Metal. Il n’y a plus vraiment de scène comme à l’époque, c’est plutôt un mélange de personnes qui viennent de tous bords, les uns critiquent les autres de ne pas être authentiques, les autres répondent que les premiers vivent une illusion. J’aimerais être au-dessus de cette polémique de bagatelle, et me dire que ce qui compte avant tout, c’est la musique, et non pas des problématiques totalement subsidiaires comme « il faut s’habiller ainsi » ou « il faut penser comme ça » et surtout : « commenter ou critiquer l’histoire du BM, c’est blasphémer. »




Comment vois-tu le futur de ton label ? Et de XCIII ?

Avec Anesthetize nous souhaitons continuer notre progression en terme d’investissement et de vente. Depuis 2016 nous multiplions chaque année l’un et l’autre par deux. 2019 ne fera pas exception. Nous allons sortir notre premier vinyle en mars (un split entre Klymt et l’Orchidée Cosmique, ndlr), de nouveaux groupes sur CD (Dev8, Bliss Illusion, ndlr), ainsi que plusieurs ouvrages (sur la mode et le ballet, sur le jazz, ndlr). On va également essayer d’élargir notre équipe afin d’être plus performant pour la promo et la distribution. Cela prend du temps, surtout que nous sommes tous bénévoles et que nous avons un travail et des familles à gérer. Bref, de beaux projets en perspectives, mais chaque chose en son temps.
Pour XCIII j’ai également d’innombrables projets en tête, et trop peu de temps pour les réaliser dans l’immédiat. Mais je vais partir en tournée à plusieurs reprises cette année, je vais réenregistrer le deuxième album Enlighten, je souhaiterais enfin enregistrer un EP acoustique, dans la veine du White Album de Agalloch. Puis dans un futur proche, j’aimerais enregistrer un DVD live, en one-man band mais avec plusieurs chanteuses, un peu comme Pink Floyd à l’époque. Il faut cependant que le set soit parfait et suffisamment long avant de pouvoir envisager cela. Mais d’ici à 2020 je pense que ce sera tout à fait possible.

Je te laisses le mot de la fin.

Merci à Scholomance de me suivre avec une telle assiduité. J’adore ce que vous faites, car vous travaillez tous avec passion, et ça se voit !

Merci ensuite à tous ceux qui suivent et qui soutiennent d’une manière ou d’une autre Anesthetize et XCIII. Et pour ceux qui en entendent parler pour la première fois, n’hésitez pas à nous rejoindre sur les réseaux.

La musique avant tout.
A bientôt !



Questions : Morgan
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