L'atmosphère
est étrange en cette fin de soirée du 15 octobre. Les rues de
Montmartre sont moins bondées, les gens plus méfiants, je suis même
fouillé à l'entrée de la basilique, ma montre ayant fait sonner le
détecteur de métaux. Bref l'ambiance est étouffante. Quoi de mieux
pour me préparer à la soirée que je m’apprête à vivre. Une
affiche exceptionnelle concoctée par un Thierry Boucanier en pleine
forme. Il est 20h30, pratiquement personne à l'entrée du Bus
Palladium, je passe la porte. Un moment d'hésitation et me voilà
dans le sanctuaire. Les créatures de la nuit attendent paisiblement
assises. Elles attendent fébrilement Living In Texas et
surtout Modern English. Pas de performance pour cette fois,
mais on ne va pas se plaindre à la vue de l'affiche que l'on nous
propose. Les lumières tamisées se réduisent encore. Derniers
réglages sur le pied du micro. Nous y voilà.
Living
In Texas
Entre
en scène une créature hybride, un homme aux atours féminins et
occultes, cheveux noirs corbeau, lunettes de soleil et sourire
absent. La joie a quitté ce visage mortifère de sorcière depuis
bien longtemps. Le chanteur de Living In Texas,
Stephan James, est dans son personnage, une sorte de Andrew
Eldritch transgenre, à la voix grave. On nous regarde, on nous
scrute même. La boîte à rythme emboîte le pas à ce silence
glacé. Lourd. Je me dis que ça va être violent.
Se
présentent alors les comparses de cette farce. Daniel James, le
guitariste, tout d'abord, est en provenance direct d'une autre
époque, les années 80. Il a sauté dans le TARDIS et à atterri ici complètement désorienté. Veste trop large et pantalon droit
gris, tous deux imprimés de motifs divers dont de gros yeux, une
coiffure rétro, on aurait dit un avatar de David Byrne des Talking
Heads. Dans tous les cas le gars est à fond, trop à fond peut
être. Le show à peine commencé que le voilà parti dans un délire
psychédélique à sautiller sur la scène derrière le chanteur
comme s'il s'agissait d'un énorme show de rock'n'roll, contrastant
totalement avec l'attitude froide du chanteur.
Dans
le coin sombre entre le bassiste, élégant. Torse nu avec juste une
veste sur les épaules, pantalon droit, chapeau avec une plume. Le
tout en noir, sobre. Ce n'est qu'en s'approchant du bord de la scène
que je me rends compte de ma méprise. Il s'agit d'une femme. Living
In Texas aime apparemment jouer sur les frontières de genre. En
tout cas dédicace spéciale à cette musicienne hors pair qui manie
la basse comme personne. Mais cette dédicace n'est pas pour son jeu
mais pour son sang-froid. Un lourdaud vient lui caresser la jambe en
plein milieu du set. Elle se dégage avec élégance. À sa place
j'aurai été tenter de lui mettre un gros coup de ranger dans la
mâchoire.
Niveau
musique, je suis happé directement malgré quelques soucis
techniques. On peut en effet entendre une sorte de crissement,
peut-être un problème de prise jack, heureusement couvert par la
musique, mais bien présent entre les morceaux. Si le groupe a
réussi à m'attraper au premier morceau avec un rythme quasiment
martial, il me perd ensuite avec quelque chose de plus posé, de plus
calme, de plus pop. Mention spéciale également pour la voix, une de ces voix exceptionnelles, pouvant passer des graves les plus
abyssales aux aigus les plus inattendus. Le duo basse/voix fut
vraiment le point fort de ce set.
Maintenant
parlons des choses qui fâchent. Je n'aime absolument pas le
guitariste que je trouve toujours en dehors. Pas en rythme la plupart
du temps, complètement ailleurs, il ira même s’étaler dans le
public en passant par-dessus la scène, entraînant avec lui tout son
matériel, guitare, pédales d'effets, ampli... Il lui faut une
chanson entière avant de tout réinstaller et de se remettre à
jouer comme si de rien n'était. Heureusement que les gens l'ont
rattrapé au vol sinon j'imagine que la soirée aurait pris un
tournant légèrement différent.
Que
retenir au final ? J'ai bien apprécié. Sans plus. Je
m'attendais à mieux bien qu'il y ait eu de très bons moments, comme
une des dernières compositions, avec moult effets de synthétiseurs
par exemple. Le groupe n'était pas revenu en session électrique
depuis plusieurs années, je salue donc quand même l'effort et reste
tolérant.
Modern
English
Une
petite pause, le temps pour les professionnels de changer le matériel
et pour nous, public, de nous remettre de nos émotions. J'observe la
scène et l'entrée des coulisses en essayant d'entrapercevoir les
musiciens de Modern
English.
Je sais bien que je vais les voir dans quelques minutes et que c'est
un peu débile mais je suis impatient. Modern
English
c'est quand même un grand nom dans le milieu.
Le
guitariste Gary
McDowell entre en scène, visage tatoué façon viking,
chapeau haut de forme, pantalon patte d'eph et babouches jaunes à
paillettes... On peut dire que le choc est grand. Mais pas le temps
de discuter, le bougre saute sur sa guitare et nous balance
directement, de la manière la plus brute qui soit, un de ces solos
capable de faire tomber les cheveux et les dents. Bon, cinq secondes et c'est déjà du lourd.
Les
autres musiciens, bien plus sobres dans leurs tenues, si on peut
qualifier une veste saumon de « sobre », entrent en scène
sous les applaudissements et se mettent en place. Le batteur Ric
Chandler frappe fort, le bassiste Michael Conroy manipule les cordes
de son instrument comme s'il jonglait et le claviériste Stephen
Walker se cache derrière ses synthétiseurs et les notes acides.
Arrive alors Robbie
Grey en t-shirt à l'effigie de feu David
Bowie,
entamant sans suspension le premier titre de cette soirée aux
accents résolument new wave.
Le
groupe a vieilli, oui. Leurs membres aussi, c'est un fait. Mais leur
musique elle, n'a pas pris une ride. Une new wave pop dans la veine
de Simple Minds et Duran Duran. A vrai dire, je n'ai
jamais été un gros fan de ces groupes. Je suis plus dans le
post-punk bien dark, le goth rock et ce genre de chose, mais force
est de constater que je m'éclate. Le groupe enchaîne morceaux sur
morceaux, compositions sur compositions, titres sur titres sans
jamais baisser de régime ni de niveau. C'est clair, sans fausses
notes, post-punk mais pas lourd, pop mais pas mièvre. Je suis
admiratif du travail, de cette alchimie qui se dégage de l'ensemble.
Je
danse frénétiquement pendant que Modern English joue leurs
chansons les plus rythmées, je plane sur leurs meilleurs titres
softs, comme « After The Snow » qui m'a
particulièrement enchanté. L’enchaînement est parfait et permet
de ne jamais s'ennuyer. Des points négatifs ? En fait comme ça,
je n'en vois pas. Après coup il est vrai que je ne jugerais pas la
performance comme le meilleur concert de ma vie c'est sur, mais sur
l'instant je suis bien, je vis la musique.
Évidemment
le public bat à tout rompre pour un rappel endiablé. Un public
aussi éclectique que pour le concert des Chameleons Vox, ce
qui n'est pas étonnant au vu des similarités entre les deux
formations. En tout cas ce public est heureux, ce public est conquis,
ce public repart avec des étoiles dans les yeux.
Les
gens partent assez vite cette fois et ne reste plus qu'une dizaines
de créatures à deux heures du matin vers la fin du mixset. Un set
bien meilleur cette fois que celui après le concert de Skeletal
Family. Je m'en vais alors boire un coup en ville, me remémorer
cette soirée, encore une fois riche en souvenirs.
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