Chronique | Kylmässä - Umbria (EP, 2016)

Kylmässä - "Umbria" (EP, 2016)

Tracklist :

01. Knighting For the Fearless
02. Born From the Light of Nihil
03. Archaic Defense Mechanism
04. The Feathered Bards of Propertius


Écoute intégrale :



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"Et veniunt ederae sponte sua melius, surgit et in solis formosior arbutus antris, et volucres nulla dulcius arte canunt" (Et le lierre vient mieux de lui-même, et l'arbousier croît plus beau dans les antres solitaires, et les oiseaux, sans art, n'en ont qu'un chant plus doux). Dans son essai XXXI, Montaigne nous rappelle les mots de Properce, ici chantre d'une nature indépendante, simple, fertile avant tout. Afin de la respecter, nulle voix humaine ne viendra troubler Umbria, EP du one-man band Kylmässä, séduisante invitation au voyage en Ombrie, région où le poète élégiaque a vu le jour au premier siècle avant notre ère. Ce poème instrumental sincère et spontané rend un hommage loyal aux mots de Properce.

L'oreille s'accoutume aisément à cette escapade dans le temps et dans l'espace. "Knighting for the Fearless" nous cueille doucement avec ses sons électroniques évanescents, d'influence ambient, auxquels se joignent avec une grande cohérence un moteur black metal semble-t-il inarrêtable. Kylmässä nous promène dans des harmonies lentes qui viennent soutenir un son black paradoxalement accueillant, où la résonance occupe une place primordiale. Les graves grondent, et font souffler des tourbillons qui enveloppent le voyageur, et lui rappellent sans doute les vents de l'univers de Mgla avec une batterie toutefois moins ciselée car en grande partie samplée. La rythmique, un peu (parfois trop) en retrait, confère une grande légèreté à une instrumentation pourtant dense, et laisse ainsi les guitares métamorphoser notre paysage mental avec assurance.

Avec "Born From the Light of Nihil", un son plus puissant et enfoncé apparaît, coloré par une écriture à présent résolument mélodique, soutenue par d'impeccables et toujours charmeuses guitares harmonisées. Les lignes sont humbles, sincères, et se déploient avec l'authenticité du lierre de Properce. L'émotion d'un souvenir d'enfance se glisse ici le long des murs de pierre. Cette nostalgie teintée d'enthousiasme est vaguement troublée par un solo dont les quelques dissonances ne sont peut-être pas toutes à leur place ; l'enchantement reste cependant intact.

La tendre chaleur des rayons lumineux de ce titre ne se dérobe qu'avec l'infernale "Archaic Defense Mechanism", dont la brusque violence est amorcée avec habileté et subtilité harmonique. L'instrumentation presque motorisée évoquée précédemment se fait davantage automatique, froide, agressive ; presque en vain. Elle est rattrapée par le chant élancé des guitares, spontané, naturel, sans doute hérité de ces mélodies qui surgissent dans Reinkaos de Dissection. Ce mélange des tons des plus réussis trouve écho dans le solo final, distant, plaintif, tel le cri d'une nature qui lutte pour se faire entendre, pour exister.

Le voyage touche à sa fin sur les notes plus rêveuses des "Feathered Bards of Propertius". Une longue résonance s'étire, le temps se suspend, l'horizon d'Ombrie se déploie. Le son ambiant de départ noie à moitié des guitares acoustiques songeuses qui dessinent par petites touches un lyrisme fin, en retenue. Un dernier regard nostalgique se pose sur la terre méditerranéenne. L'oeil qui s'est posé vingt minutes durant sur les temps antiques se referme, temps vers lesquels nous avons été menés avec tant d'aisance. L'absence de mots ne s'est pas un seul instant faite sentir. Quelques vers, quelques notes bien senties, une atmosphère qui stimule notre imaginaire : nul doute, Kylmässä sait où trouver le peu d'art qui suffit à sublimer le chant des oiseaux.

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Marion




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