Acte II : le Metal Noir québécois
On continue notre petit périple autour des scènes nationales du Metal extrême, et plus particulièrement le Canada avec cette deuxième partie consacrée au Metal Noir québécois. Le premier volet de ce dixième focus est toujours disponible | ICI |
Entouré de terres anglophones, que celles-ci soient canadiennes ou des Etats américains, le Québec est en lutte constante afin de préserver son identité, ce qui en fait un terreau de choix pour la dévotion artistique et spirituelle que l'on peut trouver au Black Metal. En effet, l'importance accordée à la préservation de la culture québécoise, constamment menacée par son américanisation, est une donnée omniprésente chez la plupart des artistes provenant de cette scène. Les thèmes abordés dans leurs textes font souvent référence aux traditions, au patriotisme et à l'histoire douloureuse du Québec. Sur ce point, le premier album de Forteresse, "Metal Noir Québécois", est un très bon manifeste de cet hommage empreint de nostalgie et de lutte constante :
"Une éternité achevée
Se dresse devant les portes
Sculptées du destin vengeur
D'un peuple sous l'emblème réuni"
(Forteresse, 'La Flamme et le Lys' - "Metal Noir Québécois", 2006)
Si ces thèmes ne sont pas toujours présents, les paroles sont le plus souvent chantées ou hurlées en français, ce qui témoigne d'un attachement à la langue française. D'ailleurs, cet amour de la langue française est fort bien mis en valeur puisqu'il se traduit par une exploitation poétique de cette langue, un travail étonnamment raffiné, illustré par une musique souvent éthérée et contemplative. Parmi les plus notables, je pense tout de suite au duo Gris et son album phare, "Il était une forêt", ou encore au one-man-band Sombres Forêts, dont les poèmes dépressifs et déchirants ont marqué tant d'esprits. Regorgeant de figures de styles et de métaphores puissantes, ces textes pourraient figurer dans des recueils de poésie tant ils sont travaillés et mis en valeur dans la musique de ces artistes :
"Des soleils mourants dans l'aube affaiblie
S'écoulant leur rayons, leur mélancolie
Morts sur les grèves comme des anges en enfer"
(Sombres Forêts, 'L'éther' - "La Mort du Soleil", 2013)
Musicalement, on peut toujours trouver au Metal Noir québécois des sonorités distinctives - les arrangements orchestraux empruntés à la musique "classique" (baroque, romantique) sont typiques de cette scène -, mais celles-ci ne concernent que quelques groupes, au final on y trouve des univers variés influencés par des sources diverses, s'appropriant à merveille les codes du Black Metal et l'adaptant à leur propre folklore, ce qui est bien souvent un gage de qualité. Citons Brume d'Automne parmi les plus dignes représentants du Folk Black Metal à la québécoise, patriotique et conquérant :
La scène québécoise est active et vivante, comme en témoignent l'activité de ses labels. Parmi les plus connus, on trouve Sepulchral Productions, Les Productions Hérétiques ou encore Tour de Garde, qui ne se bornent pas à signer des groupes québécois mais aussi des artistes venus de l'étranger. Le festival Messe des Morts, organisé depuis six ans à Montréal, en est une autre preuve. Cette année, la nouvelle édition prendra place du 24 au 26 novembre 2016 et accueillera des groupes d'horizons et de pays variés.
À présent, voici une sélection d'albums, EP et démos faite à partir de tout un florilège de chefs d'oeuvres; il a été difficile de faire des choix, nous avons préféré mettre l'accent sur la diversité de cette scène plutôt que de proposer des productions déjà bien mises en avant sur d'autres médias (et cela même si nous ne nous sommes pas privés d'y placer quelques pièces d'anthologie).
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Frozen Shadows - "Dans les Bras des Immortels" (Album, 1999)
Frozen Shadows est l'un des plus vieux groupes de Black Metal québécois que je connaisse. Après une démo parue en 1996, le groupe sort son premier album "Dans les Bras des Immortels" en 1999, une oeuvre qui se doit de faire école parmi les amateurs de Black Metal symphonique et atmosphérique, dans la veine de Burzum en ce qui concerne les vocaux de possédé qu'on peut y entendre. "Dans les Bras des Immortels" est typique de la fin des années 1990, avec des riffs et une production typiquement nordiques qui rappelle inévitablement Emperor et Satyricon dans l'utilisation des synthés et la mise en valeur de la section rythmique, que ce soit la basse ou la batterie.
Cet album est sans nul doute l'un des meilleurs représentants des classiques du Melodic Black Metal old-school parus sur le continent nord-américain. Puissant et bien produit, il ne souffre techniquement d'aucun point faible et dégage une aura mystique et glaciale. L'alternance de tempos et les passages atmosphériques qui jalonnent cet opus ne manqueront pas de charmer ceux qui sont en quête de rêveries entrecoupées par l'impétuosité des blast-beats, rappelant le caractère indomptable de l'hiver arctique et les souvenirs qui s'y enfouissent.
Eos - "L'Avalé" (Démo, 2014)
Un trio plus récent, j'ai nommé Eos et leur Black Metal atmosphérique aux ambiances cosmiques, à la fois aériennes et profondes. Leur unique démo porte bien son nom puisque c'est tout entier que l'auditeur se trouve happé par l'univers dystopique du groupe, un futur pessimiste comme le suggère la représentation d'un corbeau qui orne la pochette.
Eos propose une musique très arpégée et planante, mais non dénuée d'agressivité comme on le constate trop souvent dans les productions les plus récentes en matière de BM atmosphérique. L'approche minimaliste ne prend jamais le pas sur l'énergie et la furie exprimée par le rythme, cette furie nous évoque une tempête inspirant un sentiment d'anxiété et de perte de repères. Les trois morceaux proposés ici sont chacun extrêmement intenses, aucun risque de s'ennuyer pour peu que l'on aime se laisser emporter par le flot d'un avenir incertain.
Sanctuaire - "Le sang sur l'Acier" (EP, 2016)
One-man-band mené par le très prolifique Monarque Helserkr, qui a participé à d'innombrables projets au sein de la scène québécoise, Sanctuaire alterne entre des productions ambiantes et d'autres nettement plus Black Metal. Cette année, le musicien a sorti deux EPs, "Echo 2 - Les Esprits sont Étoiles aux cimes de la Victoire", et "Le Sang sur l'Acier", l'une à l'atmosphère Dungeon Synth et la seconde plus typée Black Metal.
Mixé par le Sorcier des Glaces, "Le Sang sur l'Acier" nous présente des mélodies conquérantes et épiques, avec des mélodies de lead guitars faisant penser à celles que l'on peut rencontrer dans les albums de Forteresse. C'est une oeuvre païenne et belliqueuse, rendant hommage à un glorieux passé. Avec cet EP, Sanctuaire gagne en puissance et en efficacité, érigeant au rang d'hymnes de guerre ses quatre nouveaux morceaux.
Mixé par le Sorcier des Glaces, "Le Sang sur l'Acier" nous présente des mélodies conquérantes et épiques, avec des mélodies de lead guitars faisant penser à celles que l'on peut rencontrer dans les albums de Forteresse. C'est une oeuvre païenne et belliqueuse, rendant hommage à un glorieux passé. Avec cet EP, Sanctuaire gagne en puissance et en efficacité, érigeant au rang d'hymnes de guerre ses quatre nouveaux morceaux.
Csejthe - "Réminiscence" (Album, 2013)
Csejthe, transcription de l'hongrois "Čachtice", renvoie au nom du lieu où habitait Elizabeth Bathory, et il ne fait pas de doute que le trio puise dans l'imaginaire qui entoure la légende de la "Comtesse Sanglante" pour construire son univers lyrique. 'Dorko, la Malveillante', morceau issu du second album du groupe, "Réminiscence", en est un exemple parmi d'autres puisqu'il parle d'une sorcière complice des atrocités commises par la comtesse.
Mélancolique et désespérée, en un mot romantique, l'atmosphère qui règne dans cet opus nous convie à la tragédie. Les riffs sont d'une grande qualité puisqu'ils se répètent inlassablement sur tempo lent et qu'on en redemande; avec simplicité, le groupe donne naissance à quelque chose de grandiose et prend le temps de construire ses ambiances oniriques. Csejthe ne sont pas les premiers à se montrer inspirés par la Comtesse dans la tradition du Metal extrême (Venom, Bathory, Tormentor...), mais cet album-concept demeure, à mon avis, une référence en la matière.
Grimoire - "À la lumière des cendres" (Album, 2011)
Grimoire est un one-man-band tenu par Fiel, batteur de Forteresse et de Csejthe, dans ce projet le multi-instrumentiste propose une musique envoûtante et émotionnelle, faisant la part belle aux instruments plus classiques comme le violon ou le piano. De plus, les paroles sont profondes, sombres, et sentimentales, elles accompagnent à merveille une musique douce, mélodieuse, mais pas calme et apaisée pour autant.
"À la lumière des cendres" est un album riche et poignant, partagé entre des morceaux chantés et d'autres purement instrumentaux, fortement influencés par la musique romantique. Un must-have tout comme l' "Aorasie des spectres rêveurs", l'EP sorti en 2015 !
Monarque - "Lys Noir" (Album, 2013)
« Mort du lever du soleil à la chute du jour, mais vivant durant les ombres de la nuit pour pouvoir être le complice des terrifiants destins de l’Ange Déchu »
Monarque est sans doute l'un des groupes qui vient le plus souvent à l'esprit lorsqu'on parle de Metal Noir québécois. Avec seulement trois albums enregistrés en treize ans parmi de nombreux EP et splits, le groupe prend son temps pour nous proposer à chaque fois des pépites de Black Metal direct et sans concession, dont la dernière en date, "Lys Noir", demeure ma favorite.
D'une durée relativement courte (38 minutes), cet opus est un concentré de haine abrupte, empli de musicalité et de violence, dynamique et énergique. C'est une oeuvre qui rappelle énormément l'art noir de Forteresse, à savoir l'alliance entre la furie haineuse et les mélodies les plus entêtantes. "Lys Noir" nous réserve son lot de soli épiques, de breaks acoustiques, de plages ambiantes, et son compositeur Helserkr prend un malin plaisir à nous laisser sur notre faim tant on sent que les morceaux pourraient être développés davantage. "Lys Noir", authentique et synthétique, respire la gloire, l'amertume et la nostalgie à la fois.
« il arrive quelquefois que Satan, grâce à la force de ses maléfices puisse vaincre la mort et se rire d’elle »
Sui Caedere - "Thrène" (Album, 2009)
Encore un projet auquel a participé Monarque, abandonné depuis avec un unique album à son actif, mais quel album ! Ici, l'accent est davantage mis sur la peine et la solitude, sur des ambiances dépressives, d'où le nom du groupe qui signifie "se suicider" en langue latine.
"Thrène" plaira aux amateurs de DSBM aux atmosphères "doomesques", quelque chose que l'on retrouve dans la discographie de Xasthur ou encore celle de Nortt. Les vocaux de Monarque sont cette fois-ci beaucoup plus orientés vers un rendu sépulchral, accompagnant des riffs de guitare amplement influencés par Burzum. Une persistante mélancolie émane de cet album, et les interludes de piano sont réminiscents du Black Metal néo-classique dans la veine de Pensées Nocturnes, sans rentrer dans l'identité burlesque propre au one-man-band francilien. "Thrène" est une véritable descente dans les abîmes de la folie et du délire.
Neige et Noirceur - "Hymnes de la Montagne Noire" (Album, 2011)
"Hymnes de la Montagne Noire", allégorie de l'hiver aux images fantastiques et folkloriques, est l'un des albums les plus directs et classiques que Neige et Noirceur a produit jusque là, le one-man-band étant connu pour son appétance pour le drone et l'ambient, souvent distillés avec génie dans ses morceaux. Là, c'est l'horreur, la frayeur et la détresse qui sont de mise avec des riffs dissonants nous menant au sommet d 'un mont sinistre, entouré par les glaces et les forêts hostiles, avec en prime une surprenante reprise - méconnaissable - de Bérurier Noir. Musicalement, la musique que propose le musicien plaira sans aucun doute aux fans de Black Metal mélodique à la sauce scandinave (Dissection, Windir), malgré la présence de quelques interludes ambiants propres à l'univers de l'artiste.
Fantasmagorique, le récit de Zifond est celui d'une quête vagabonde, où le risque de l'anesthésie est omniprésent. Tourmenté par le vent glacial, notre chemin est jalonné de surprises et de rencontres de créatures chimériques (des mages, des sorcières) nous guidant vers l'immortelle et triomphante reine des neiges.
Miserere Luminis - S/T (Collaboration, 2009)
"Miserere Luminis" est le fruit de la collaboration entre Icare et Neptune de Gris et Annatar de Sombres Forêts. Attention, il ne s'agit pas d'un split mais bien d'une entité à part entière, une sorte de pont éphémère entre les deux formations, qui possède un univers qui lui est propre et qui, avouons le, n'a rien à envier aux projets précédemment cités en matière de composition.
"Miserere Luminis" n'est pas une oeuvre facile d'accès, c'est quelque chose d'assez étrange au premier abord, convoquant des éléments que l'on avait pas forcément l'habitude d'attendre auparavant de la part de ses créateurs, même si on a toujours ce côté lancinant et mélancolique. On est subjugué par les chants d'écorchés vifs d'Icare et d'Annatar, produits chacun à leur manière, associés au Black dépressif typique de Sombres Forêts et aux instruments classiques (violon et piano) qui avaient fait le succès de "Il était une forêt". On a aussi des surprises assez marquantes comme cette introduction de "IV" qui démarre sur un riff carrément rock'n'roll, avant de nous mener vers l'apothéose sur un long instrumental. C'est ce qu'on pourrait retenir de cette collaboration, mais celle-ci est beaucoup plus que cela et très difficile à retranscrire dans une chronique aussi courte. "Miserere Luminis" est un Dédale inextricable, extrêmement élaboré, un chef d'oeuvre intouchable, qui a eu un impact évident sur les productions ultérieures des trois musiciens dans leurs projets respectifs.
Akitsa - "Goétie" (Album, 2001)
Parmi tous les groupes mentionnés jusqu'ici, Akitsa se démarque franchement, de par le côté raw de son Black Metal associé à des influences RAC et noise. Leur premier album "Goétie" ne contient rien de superflu, ses riffs sont très simples, directs, produisant un fond sonore lo-fi propice aux hurlements de O.T. et Néant, laissant parfois place à des voix claires sur des passages plus typés pagan.
Carrément cradingue, cet album est devenu une pierre angulaire du Black Metal nord-américain, une mandale à la fois influencée par le Metal et par les facettes les plus extrêmes de la musique électronique (harsh noise, power electronics...), quelque chose que ne renierait peut-être pas Mikko Aspa de Clandestine Blaze, connaissant les side-projects du musicien. L'univers d'Akitsa est à mille lieues de l'ivresse onirique et enchantée d'un Neige et Noirceur, c'est un monde misanthrope, terre à terre, concentré sur le réel et sa noirceur.
Chätiment - "Sang des Carpathes" (Album, 2012)
Avec une unique démo provenant des tréfonds de l'underground québécois, Chätiment est le projet d'Oeildefeu. Les cinq titres qui composent "Sang des Carpathes" sont un voyage occulte dans le passé, une remémoration de vieilles légendes médiévales rappelant Vlad Tepes l'Empaleur, le titre de la démo parle de lui-même. Grâce à un son raw, des riffs entrainants, et une présence du clavier rajoutant une aura mystique, cette oeuvre old-school ne propose rien d'original mais sa qualité est inestimable. Pour les fans de Medieval Black Metal !
Sorcier des Glaces - "Moonrise in Total Darkness" (Album, 1998)
Sorcier des Glaces, avec Frozen Shadows, est l'un des pionniers du Black Metal québécois. "Moonrise in Total Darkness" possède le son froid et brumeux typique des années 1990, la voix de 'Roby' possède la hargne que l'on observe chez des vocalistes comme Rob Darken, et elle est soutenue par des mélodies mélancoliques aux claviers, au piano, et aux leads guitars. Ce second album n'est en aucun cas linéaire, il contient de nombreux apartés, des havres de repos pour les oreilles mais pas pour l'âme, tant les airs qui sont joués expriment tristesse et solitude. Tout en se préservant de certaines longueurs, cet album conserve toute sa puissance.
Si vous cherchez un Black Metal traditionnel exploité de façon personnelle, SDG est en la matière un projet d'une rare qualité !
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T.
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