Chronique | Savlonic – "Red" (Album, 2014)



Savlonic – Red (Album, 2014)

Tracklist :

01 – Electro Gypsy 2:47
02 – Android 3:05
03 – Computer Guy 3:18
04 – Spelunker 2:56
05 – Wandering Eye 3:53
06 – Girls 2:42
07 – Tiny Japenese Girl 3:06
08 – The Driver 3:50

09 – Android (Eqavox Remix) 3:34
10 – Tiny Japenese Girl (Mikko Lahti Remix) 5:04
11 – Wandering Eye (Rob Scallon Remix) 3:24
12 – Savlonic Supermix (Lil Deuce Deuce) 3:35
13 – Electro Gypsy (Aquila Destruction Remix) 4:42

Extrait en écoute :


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Si je vous dis « synthpop », il est fort à parier que vous me citeriez des groupes comme Depeche Mode, New Order, Alphaville, Visage, Talk Talk, a-ha, Tears For Fears, voire pour les plus connaisseurs, Orchestral manœuvres In The Dark, Frankie Goes To Hollywood ou bien encore The Covenant. Mais personne ne pensera à Savlonic.

Et pourtant Savlonic c'est un groupe créé en Angleterre en pleine explosion du genre au milieu des années 80. Les trois comparses de la bande se sont retrouvés autour de leur passion commune des instruments électroniques. Au chant on trouve le charismatique Roscoe Thunderpants, assisté au clavier par Evangeline D'isco, qui assure également la seconde voix. Mais la formation ne serait pas complète sans Kandi Flaus, celle qui, dans le milieu, est connue comme la batteuse la plus endormie du monde !


Savlonic c'est pour moi une découverte faite lors de mes recherches de nouvelles sonorités new wave. Un lien obscur et un clip tout en dessin animé m'ont tout de suite interpellé. Bien que le groupe traine ses guêtres depuis les années 80, ce n'est qu'en 2014, après la parution de plusieurs singles : « Electro Gypsy », « Tiny Japenese Girl » et « Wandering Eye » que le monde entier s'est mis à redécouvrir le son acidulé des trois anglais. Le projet d'un album se concrétise rapidement après une campagne Kickstarter menée tambour battant et portée par de nombreux fans qui attendaient depuis longtemps la concrétisation d'un tel projet.

Savlonic c'est un son, mais c'est aussi un visuel. Tous les clips sont des animations de très bonne qualité. Roscoe et sa moustache sont devenus assez célèbres dans le milieu. Sa fameuse moustache lui a d’ailleurs valu quelques problèmes, puisque les gens lui ont finalement donné les surnoms, au mieux du « Chaplin de la new wave », au pire de l'« Hitler de la synthpop ». Les incultes n'ont en effet pas vu la vraie référence, un hommage à Ron Mael, claviériste des Sparks. Les autres membres ne sont pas en reste en matière de bizarreries scéniques. Kandi, ne joue de sa batterie électronique qu'avec un seul bras et ne montre aucune expression sur son visage et Evangeline a souvent ses yeux cachés par sa frange blonde.

Les membres étant toujours habillés dans les tons noirs et rouges, « Red » fut tout trouvé afin de nommer leur premier disque. Sauf que... Poisson d'Avril... Savlonic n'existe pas ! Pas de Roscoe Thunderpants (Roscoe « pantalon éclair »), d'Evangeline « Disco » ni de Kandi Flaus (« Candy Floss » soit « Barbe à papa »). Tout comme pour Gorillaz, il s'agit d'un groupe virtuel. Tout cela n'est qu'une vaste blague orchestrée par un seul homme : Jonti Picking !

Jonti Picking ! Allez quoi, faites un effort ! Non, toujours rien ? Peut-être le connaissez-vous sous le pseudonyme de Mr Weebl. Pour ceux qui auraient dormi dans une grotte sans se frotter au milieu de l'humour anglophone du web ces dix dernières années, Mr Weebl est un cartooniste, humoriste de l'absurde et du surréalisme, chanteur et surtout parodiste d'outre-Manche. Il se cache derrière de nombreux cartoons très populaires sur la toile comme « Amazing Horse », « Badger Badger », « Narwhals », « Owls » et bien d'autres encore. D'une imagination débordante, Mr Weebl c'est cette fois attaqué au monde de la new wave. En effet « Electro Gypsy » est une critique de ce dernier, remplie de pseudos hipsters méprisants la guitare.

À la base, derrière Roscoe se cache Mr Weebl en personne, Sarah Darling prête sa voix à D'isco et mademoiselle Kandi Flaus est interprétée par Katt Wade. Après le succès du premier titre, Picking se prend au jeu et met en ligne un deuxième titre « Tiny Japenese Girl » qui se moque gentillement de l’engouement pour la culture japonaise cette dernière décennie, avec un Roscoe Godzilla. Puis c'est au tour de « Wandering Eye ». Mr Weebl passe la réalisation du cartoon à Peabo pour se concentrer sur la partie musicale. Et c'est l'engrenage.

Savlonic n'existe donc pas. Mais comme j'aime bien vous retourner le cerveau, je vais vous révéler quelque chose : Poisson d'Avril ! Oui encore ! Car le « faux » groupe, qui ne devait être qu'une blague, a suscité un tel engouement, Weebl se prenant en plus au jeu, qu'il s'est transformé en véritable projet musical, tant et si bien que tout ce que je vous ai dit en introduction, hormis la date de création du groupe, est finalement vrai.

La campagne Kickstarter a permis à l'humoriste de sortir un album, réunissant les singles préexistants remastérisés pour l'occasion, de nouveaux titres et des remixes. Katt Wade est remplacée par la voix pitchée de Sarah Darling, qui, au passage, est la femme de Mr Weebl. La recette de l'album est la suivante : une boîtes à rythme minimaliste, des synthétiseurs acides, quelques effets sommaires, des refrains qui vous resteront dans la tête jusqu'au petit matin. Essayez rien qu'avec « Electro Gypsy » et vous chanterez « Yamayamaha ! Yamayamaha ! » tout fort sans vous en rendre compte pendant le reste de la soirée.

« Wandering Eye » et « Tiny Japenese Girl », au-delà de l'aspect humoristique, donnent envie de danser. On sent une implication forte dans le projet et pas juste une mauvaise plaisanterie étirée pour vendre un produit sous prétexte. Mais que vaut le reste de l'album, le contenu créé pour l'occasion ? Que cache cette pochette énigmatique où les regards des trois protagonistes virtuels nous visent au travers une vitre recouverte d'un liquide rouge, essuyée de la paume de la main par un Roscoe Thunderpants au visage résolument déterminé ?

« Android » reprend la recette sans en dévier une once. Ce titre reste une piste intéressante même si cela sent le réchauffé. Comme il s'agit de la deuxième piste, je me prends à penser que le disque risque d'être bien fade si le groupe se cantonne à ce registre de sonorités. Chose intéressante, on note une nouvelle thématique, celle des machines, de la robotique et de l'impact de celles-ci sur notre humanité. Le ton devient légèrement plus sérieux. « Computer Guy » confirme mes dires. Machines, voyage dans le temps, dystopie, tromperie, réalité virtuelle : l'ambiance se fait plus sombre et mes doutes se dissipent comme la brume du matin. La musique devient également moins minimaliste et plus technoïde. On vient de basculer de la blague au projet sérieux.

« Spelunker » est pour moi l'une des pistes les plus réussies. Mélange d'humour toujours présent et de charge émotionnelle forte portée par la voix d' « Evangeline ». On part dans les recoins sombres de la pensée humaine, de l'attachement, du sentiment amoureux et des monstres qui se cachent dans les recoins obscurs de nos souvenirs.

« Girls » marque un véritable interlude dans l'album. Complètement techno, cette piste est uniquement instrumentale. Ce titre est censé être uniquement composé et joué par les deux filles du groupe. Une sorte de cri féministe, montrant qu'elles sont aussi capables que n'importe qui de faire remuer le dancefloor !

On finit les titres originaux avec « The Driver » et sa sonorité plutôt joyeuse avec juste ce qu'il faut de mélancolie. Roscoe y chante qu'il a volé la voiture d'Evangeline en guise de vengeance pour lui avoir volé son cœur. Je trouve cela un brin surréaliste mais particulièrement touchant, surtout quand on sait quels protagonistes se cachent derrière ces deux avatars.

En règle général, les remixes n'ont pas vraiment beaucoup d'intérêt hormis de prolonger la durée d'un album ou bien de donner des versions des titres faites pour la piste de danse comme « Tiny Japenese Girl (Mikko Lahti Remix) ». Cette fois, je vais m'y attarder car au-delà de ça, « Red » possède des remixes qui sont de véritables réinterprétations.

« Android (Eqavox Remix) », vous arrachera des larmes. Ni plus, ni moins. Au revoir les boucles de synthétiseurs, au revoir la boîte à rythmes sèche et minimaliste. Roscoe nous livre ici tout l'étendue de son talent vocal. Ce remix me déprime comme le ferait une boîte à musique.

« Wandering Eye (Rob Scallon Remix) » est une reprise uniquement instrumentale. La particularité ici c'est que tout est fait avec des instruments à cordes, de type violons, insufflant une nouvelle dimension à Savlonic. Un coup de pied dans la fourmilière pour ceux qui pensent que musiques électroniques et musiques savantes ne sont pas compatibles. Oui, je te vise, toi, si tu lis cette chronique. Parenthèse personnelle fermée.

Le « Savlonic Supermix (Lil Deuce Deuce) » est plutôt réussi, mêlant avec succès « Electro Gypsy », « Wandering Eye », « The Driver », « Tiny Japenese Girl », « Spelunker », « Girls » et « Computer Guy » en un seul titre, non pas en une succession de passages tirés de l'un puis de l'autre des chansons. Le travail sur cette piste est juste exceptionnel.

On finit l'album en beauté. Je le dis tout de suite, à tous les fans de big beat, tenez votre pantalon, car Roscoe Thunderpants est dans la place et va électriser le dancefloor. « Electro Gypsy (Aquila Destruction Remix) » est une reprise du premier single de Savlonic, possédant un son proche d'un The Prodigy, période « Invaders Must Die ».

Impossible de parler de Savlonic sans citer les moult références et multiples clins d’œil (à Matrix, Tron, Godzilla, Ron Mael, aux meilleurs contributeurs de leur campagne Kickstarter Damian Bevan et Andrew Neidig,  et bien à d'autres encore) que le « faux » groupe brasse au fil des titres. Des chansons qui sont évidemment indissociables de leurs animations. Fouillez sur  le net, ça vaut vraiment le coup. Le groupe possède, grâce notamment à Peabo, une patte visuelle très particulière, qui permet de reconnaître Savlonic au premier coup d’œil.

Je suis moi-même un grand fan de Mr Weebl depuis la période « Amazing Horse » et « Narwhals ». Jonti Picking sait y faire pour imprimer nos cerveaux et y graver des mélodies, tout en mêlant messages forts, allant de la protection animale au végétarisme en passant par les contes de fées, les questions politiques et de société et l'être humain, et éléments humoristiques absurdes, grotesques et résolument désopilants. « Narwhals, Narwhals, swimming in the ocean, causing a commotion 'coz they are so awwwwwesome ! ! » Voilà que ça me reprend...

Savlonic est dans la lignée du Weebl's Stuff et réussit le pari de faire la critique des machines et d'un genre aux clichés éculés avec la musique qui compose ce genre, sans faire un pet de travers, sans jamais dévier de sa route, en restant toujours cohérent, comique, touchant, et incroyablement prenant. Et si vous vous demandez ce que va devenir le projet maintenant qu'un premier album est réalisé, je vous répondrai probablement bientôt avec le futur nouveau venu, répondant au doux nom de « Neon ». Les années 80 n'ont qu'à bien se tenir !

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Aladiah

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