Chronique | Police des Mœurs & Essaie Pas – S/T (Split EP, 2014)



Police des Mœurs & Essaie Pas – S/T (Split EP, 2014)

Police des Mœurs

01 – Corps invisible 3:12
02 – Je te montrerai (featuring Donzelle) 4:07 
03 – Ombre 4:11




Essaie Pas

04 – De menthe liqueur (part II) 6:00 
05 – Retox 4:15
06 – ccaarrccaajjoouu 3:06



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Aujourd'hui je fais une pierre trois coups. D'un côté il s'agit de mon premier papier traitant de synthwave et de minimal, de l'autre c'est la première fois que je parle de musiques venant de nos amis québécois et pour finir il s'agit de mon premier article traitant d'un split. J'ai toujours été fasciné par ce format, le split. Ça a un goût spécial. Une sorte de collaboration sans mélanges, un partage, un voyage en train dans lequel chaque groupe possède son propre wagon.


Une fois n'est pas coutume je n'ai découvert les deux formations dont il est sujet ici sur Internet  mais par le biais de Fred, animateur à Radio Bro Gwened, qui nous sort souvent de grosses pépites dans ses deux émissions, entièrement consacrées au post-punk et à ses dérivés, aux sons des années 80, aux corbeaux de la première comme de la dernière heure.

Sorti sur le label Atelier Ciseaux le 17 juin 2014, ce split est partagé par les groupes Police des Mœurs d'une part et Essaie Pas de l'autre. Police des Mœurs tout d'abord. La formation se présente comme un groupe de pop synthétique. Il a été fondé en 2010 à Montréal par Francis Dugas. Les fantômes qui l'accompagnent se nomment Anouk, au chant, Fred aux synthétiseurs et Cristine. Toutes les paroles de l'EP ont été écrite par Francis Dugas, paroles qui sont enveloppées dans une musique froide qui cherche à nous emmener vers un monde post-technologique et post-écologique. Tout un programme. Essaie Pas, quand à lui, est un duo de Montréal composé du couple que forme Marie Davidson et de Pierre Guerineau.  « La réalité dépassée par le fantasme », voilà une description succincte. Ne cherchez pas à en savoir plus, vivez leur musique enveloppée  d'un voile de mystère.

En ce qui concerne la pochette, il s'agit d'un collage en noir et blanc de Brian Vu, représentant deux personnes, dont l'une sans visage, au fond d'un trou creusé dans le sable. Le tout est entouré par ce que je pense être de l'eau. Il s'en échappe une  forte impression d'étrangeté. Une certaine déshumanisation (le visage manquant) et une certaine claustrophobie (le trou et les vagues qui entourent les personnes) se dégagent de cette pochette. On ne s'attend pas à écouter quelque chose de particulièrement joyeux. Voilà une rapide présentation, pour un disque qui l'est tout autant, vous allez voir.

On commence donc avec les trois titres de Police des Mœurs. Et ça débute fort. Enfin « fort » n'est pas le mot. Disons que ça commence rapidement. Pas de douce introduction hypnotique nous permettant de nous glisser doucement dans le bain synthétique. Non. « Corps invisible » nous entraîne directement dans le feu de l'action. À la première écoute j'avoue que j'ai eu du mal à encaisser, mais à force d'habitude, ça ne me gène plus tant que ça. On n'est pas là pour se languir et la synthwave n'est pas toujours synonyme de guimauve après tout. Boîte à rythmes minimaliste, synthétiseurs lead et polyphoniques omniprésents, pour sûr, on est servi. Il y a un côté  electroclash à la Miss Kittin & The Hacker, en tout cas moi je vois une certaine filiation. Reste la voix, un peu trop en retrait. Ce premier titre est loin d'être le meilleur du split, et loin d'être celui que je préfère du groupe, que je trouve un peu à côté pour cette fois. Je m'attendais à mieux.

Pas le temps de se morfondre et on passe directement à « Je te montrerai ». Une piste bien plus mélodique que la précédente. J'aime ce mélange de synthétiseur et de voix récitée. Ça parle de malaise social, de terre qui s'écroule, de survivre. C'est gai. En tout cas cette piste fait résonner en moi quelque chose de nostalgique, bien plus en phase avec ce que j'attendais de ce split.

Le temps file à toute vitesse, pourtant 7:19 minutes viennent de s'écouler. J'ai une drôle de sensation, comme si le temps lui-même se déformait. Bref, on passe vite à « Ombre ». La voix féminine fait place à celle d'un homme, noyée dans les effets, donnant un petit côté industriel à la composition. Il y a une petite boucle de synthétiseur que je trouve très sympathique. Le titre est assez musicalement joyeux malgré son nom. Boucle arpégée et batterie synthétique et martiale en guise de conclusion. Même s'il ne s'agit pas du meilleur de Police des Mœurs, ces trois titres restent assez agréables à écouter. À sortir de temps en temps en soirée pour faire se déhancher les amateurs de sonorités froides et électroniques.

Pour ce qui était des trois titres de Police des Mœurs, je n'ai pas entendu l'utilisation de pads, ces synthétiseurs qui donnent un son si planant. En ce qui concerne Essaie Pas par contre, ça va être le mot d'ordre, « planant », pas « pads », entendons-nous bien. Il est temps d'ouvrir grand son âme au terrible « De menthe liqueur (part II) ». C'est une batterie minimaliste qui nous accueille sur ce titre. Puis vient cette boucle hypnotique, ces synthétiseurs qui nous murmures à l' oreille : « viens, sombre avec nous ». C'est ce que j'ai ressenti dès la première écoute. Car il s'agit bien de cela, ne pas écouter, mais ressentir. La voix de Marie Davidson, douce et suave avec une pointe d'acidité, un je-ne-sais-quoi qui donne envie de basculer, nous accompagne pour ce voyage. Et quel voyage ! Part II, mais où est la Part I ? Qu'en sais-je et qu'importe, j'espère seulement qu'elle sera aussi bien que la deuxième, avec ses basses parfaites, et son ambiance nous invitant à la transe, à l'évasion, au dépassement des frontières du réel. « La réalité dépassée par le fantasme », je comprends bien mieux cette phrase maintenant...

Voilà que six minutes sont passées en un claquement de doigt et que résonnent les sirènes de « Retox ». Que dire de plus ? À ce point ça touche quasiment au génie. Je sais que j'ai toujours été grandement attiré par les sons et les musiques électroniques. Pour un gamin qui a été gavé de Jean Michel Jarre, de Vangelis, de Kraftwerk et de new wave, qui s'est shooté à la techno et à la trance pendant son adolescence puis à l'industriel, sachez que je ne mâche pas mes mots. Essayez Essaie Pas ! Les paroles ne sont, là encore, pas chantées, à croire qu'ils se sont donné le mot avec Police des Mœurs. « Retox » c'est une blessure enrobée de mélancolie, un fragment de mémoire qui s'échappe et  auquel on essaye de se rattacher, c'est une certaine dose de violence contenue que l'on retourne contre nous-même. Un souvenir à la fois douloureux et salvateur. C'est une femme que l'on a perdue. Je ne pouvais que lâcher prise face à ce titre.

On finit en beauté avec « ccaarrccaajjoouu », titre dont le seul mot est « carcajou », étiré, susurré continuellement sur toute la durée de la piste. La musique est douce et donne envie de dormir du sommeil éternel. La basse électronique est grave et rocailleuse, ce qui accentue l'effet sus-cité. On a l'impression d'écouter les sirènes suaves de la mythologie grecque, accroché au mat de notre navire, tout comme Ulysse. Mais même si ce titre est planant, cela ne signifie pas que c'est de la guimauve comme je le disais au début de cet article. Loin de là. C'est une caresse. Essaie Pas sait y faire dans les ambiances hypnotiques et enchanteresses.

Que penser de ce split au final ? Deux faces totalement différentes d'un même genre musical, l'une sèche et froide avec Police des Mœurs et l'autre douillette et envoûtante avec Essaie Pas. J'avoue que ma préférence va vers ce dernier, mais ne boudez pas votre plaisir et n'hésitez pas à passer ce split dans une fin de soirée légèrement éthanolée. Vos invités n'en reviendront jamais. Car comme le dit si bien Pierre Guerineau sur « Retox » : « Il est de ses nuits dont tu ressors exsangue ». Alors faites vous vite vampiriser.


Aladiah





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