Chronique | Saigon Blue Rain – "What I Don't See" (Album, 2014)



Saigon Blue Rain – "What I Don't See" (Album, 2014)

Tracklist :

1 – Queen Ephemeria 03:10
2 – So Cold 05:28 
3 – Corps Astral 03:42
4 – Borealis 03:39
5 – I Wanna Be You 03:54
6 – What I Don't See 04:08
7 – Beyond The Stone 03:29
8 – Break The Disease 03:19
9 – Lovelorn 03:22
10 – L'Offrande 04:45 

Extrait en écoute :




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« Il était une fois... » Stupid Bitch Reject, un projet musical parisien, composé de Franck et Ophelia. Ce projet musical, formé en septembre de l'année 2012, s'est vite orienté vers le label allemand Afmusic afin de sortir un premier EP éponyme, tournant autour de musiques post-punk et coldwave. Puis vint le temps de la maturité. Juin 2014, après avoir mieux défini leur univers, les deux musiciens renomment leur projet Saigon Blue Rain. Un nom qui sonne beaucoup plus enchanteur, n'ayons pas peur de le dire.




Reprenons donc. Il était une fois Saigon Blue Rain, ex Stupid Bitch Reject, un groupe aux sonorités coldwave façon The Cure, Joy Division ou And Also The Trees, mélangées à un bon tiers d'ethereal wave façon Cocteau Twins ou All About Eve, mais qui possède son individualité propre. Certes, je le concède, dans ce genre de milieu musical, difficile d'être original et de ne pas tomber dans la simple redite. C'est un écueil courant.

A vrai dire je ne connaissais absolument pas le duo avant de les voir en concert au Bar'Hic lors d'une soirée organisée par La Villa Diodati à Rennes. Il faut dire que la scène underground française est riche mais tellement inconsidérée dans l'hexagone. Je ne m'attendais donc à rien, préférant me faire ma propre opinion directement sur place. Je suis ressorti de là avec des étoiles plein la tête et l'album dédicacé en poche. Autant dire que la prestation m'a marquée. En même temps les influences sont là : The Chameleons, Depeche Mode, Bat For Lashes, Dum Dum Girls, 16 Horsepower, ou encore Warpaint.

« What I Don't See » est le premier album des parisiens, sorti sur le label Cold Insanity Music. Ophelia est au chant et au synthétiseur, Franck s'occupe du reste, ce qui comprend guitare, basse, un autre clavier, un kalimba et un banjo... Oui, vous avez bien lu. Un certain Gilles Facquet s'occupe également de la basse sur le titre « Corps Astral ». Le duo est décidé à nous livrer un album bien plus mélancolique que leur premier EP, avec un mélange coldwave, post-punk, ethereal wave, heavenly voices, shoegaze et new wave, avec une pointe de dark-synth. Rien que ça.

La pochette est le fait de Marie-Line Pochet. Elle est le pendant visuel du projet. Son travail est juste superbe. Elle s'est occupée de toutes les photographies du livret mais également des clips de Saigon Blue Rain, qui sont, n'ayons pas peur des mots, de véritables chefs-d’œuvre de noirceur, de mélancolie et de poésie. Tout simplement sublime, dans le sens kantien du terme. La pochette est composée de la photographie en noir et blanc du crâne d'un ongulé quelconque. Désolé mes connaissances en biologie sont somme toutes limitées. Les initiales du groupe sont superposées à la photographie et forment un triangle, pointe en bas. Avec l'esprit un peu tordu et une certaine connaissance des arts mystiques, on pourrait se dire si cela ne signifie pas une certaine volonté d'un retour à la terre. Et si ma dernière phrase n'a absolument aucun sens pour vous, recherchez par vous-même. C'est aussi ça l'ésotérisme.

Pour une fois, je ne ferai pas une présentation titre par titre, ça ne rimerait à rien. En effet, après écoute, je ne me suis pas senti transporté d'un point A à un point B, mais plutôt enveloppé d'une mélancolie réconfortante, bercé par les flots glacés de la réverbération des guitares, par l'acidité des synthétiseurs et la douceur de la voix d'Ophelia.

« Though I run against the dark Sure
I'll moan about old times
Though the clock outlives our hearts
Still I hope I shall not die »

Avec « Queen Ephemeria » on plonge dans le bain tout de suite. Un titre qui possède vraiment un côté Cocteau Twins avec, comme je le disais, une guitare pleine de réverbérations et un côté All About Eve dans la façon de chanter. Cette voix, mes amis, pourrait charmer les plus vils démons de l'enfer. Ophelia serait-elle une sirène nous amenant droit dans un piège ? Avec mon papier sur Essaie Pas, ça fait deux fois de rang que j'utilise cette image. Serais-je en plein délire, en pleine confusion ? Sûrement. Et tant qu'à être dans un rêve, autant le prolonger avec « So Cold » qui reprend exactement les mêmes ingrédients, étendant l'expérience onirique plus loin encore, avec ce bruit sur la fin, comme une machine à vapeur, un peu noise. Avec «Borealis » c'est la consécration de la guitare avec des riffs puissants et glacés en guise de conclusion. Nous approcherions nous du cauchemar ?

Bon certes, les guitares c'est bien, mais c'est commun dans un groupe de coldwave. Alors où est l'originalité ? Et bien, hormis le fait que ces instruments sont parfaitement utilisés, sans trop, ni trop peu, le duo sait également s'orienter vers d'autres horizons. Avec « What I Don't See », on plonge justement dans le cauchemar. Celui-ci est illustré par des éléments de dark-synth de toute beauté. Il s'agit d'un hymne à l'invisible, au secret, au caché, à ce qui ne peut être que perçu fugacement entre deux battements de paupières, du coin de l’œil. C'est le souffle du vent sur notre peau, c'est la subtile chaleur d'un rayon de soleil, c'est le son étouffé des esprits qui murmurent çà et là. Et ce n'est pas « Lovelorn », avec sa touche synthétique et sa voix modulée qui m'enlèvera cette dernière idée de la tête.

« I Wanna Be You » montre un côté plus doux du groupe avec son rythme totalement new wave/synthpop. Un titre en apparence plus léger. Car c'est aussi ça Saigon Blue Rain, des chansons qui tirent sur un côté plus pop. Ce n'est pas parce que le projet est coldwave qu'il se doit d'être suintant de mélancolie à ne plus pouvoir respirer, de noirceur à ne plus pouvoir y voir. Justement si l'album se nomme « What I Don't See », n'y pouvons-nous y déceler une volonté d'y voir justement. L'album est sûrement cathartique, mais il va au-delà. C'est une lanterne dans cette obscurité, un petit phare dans le noir. Et puis des titres comme « Corps Astral », « Beyond The Stone » ou « Break The Disease », ne sont-ils pas des indices sur cette volonté de se défaire des fardeaux que nous nous construisons nous-même, des prisons dans lesquelles on s'enferme ? Suivons donc encore la voix envoûtante d'Ophelia, pour sortir de la nuit.

« L'Offrande », dernière piste de l'album, reprends les guitares et les réverbérations, un rythme lent. Le piano donne un sentiment de tristesse. On plonge dans le deuil. On retourne à l'ethereal du début. On finit là où nous avons commencé. Tel l’ouroboros, la boucle est bouclée. Un voyage a pris fin, un autre commence.

Avec tant de mélancolie et ce son coldwave omniprésent, le groupe était à deux doigts de tomber dans le même piège que les lyonnais de Love In Prague que j'avais trouvé trop constants d'une composition à l'autre dans leur dernier album, avec une impression d'entendre toujours le même morceau. L’écueil évoqué au début de cet article a été évité par l'intégration d'éléments disparates provenant d'autres univers musicaux. Les paroles, je m'y suis peu penché c'est vrai, sont tout simplement superbement écrites et traduisent vraiment bien les sentiments du duo. Pour en savoir plus n'hésitez pas à aller discuter directement avec Ophelia et Franck si vous avez la chance de les voir en concert. Ils sont certes un peu timides mais d'une très grande gentillesse.

Chamanique, la musique de « What I Don't See » est à l'image de la photo de cette plaine à l'intérieur de la pochette. Glacée. L'arbre qui s'y tient nous représente probablement, nous tenant debout encore et toujours malgré les épreuves qui creusent notre écorce. Nous nous enracinons en nous restons sur place. Mais c'est aussi un symbole de sagesse. Notre tronc devient plus fort, nos branches multiples et nos feuilles captent le moindre rayon de lumière. C'est ça la musique de Saigon Blue Rain. Et je ne vois pas quoi rajouter d'autre sans devenir franchement redondant. « Et ils vécurent heureux... »


Alors avancez, trompez-vous, tombez, souffrez et relevez-vous. Extériorisez. Apprenez. Devenez plus sage. Vivez. Cette musique n'est pas uniquement le reflet d'âmes en souffrance, c'est une musique d'espoir.

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 Aladiah





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