Trouble Fait' – Comet Camden (Album, 2010)
Tracklist :
01 - A Bridge to Nowhere 04:05
02 - Northland 04:38
03 - Nightly Gleams 03:11
04 - The Walls Have Ears 04:4
05 - She Sleeps in a Pain 04:23
06 - Comet Camden 05:47
07 - A Voice Speaks From Nowhere 04:53
08 - Thunderstorm 03:52
09 - Arrogant Culture 04:38
10 - Boys of The Rain + piste fantôme 04:15 + 5:46
Extrait en écoute :
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Trouble Fait'. D'habitude je me souviens toujours avec exactitude du moment où je découvre un groupe. Là rien. Aucun souvenir du pourquoi ni du comment. À peine arrivé à la deuxième ligne et déjà le groupe porte bien son nom. Dans tous les cas il est vite devenu un incontournable de mes soirées, par sa musique tournant autour du post-punk, du rock alternatif, de la new wave et de la coldwave et par son univers gothiquo-punk assumé.
Bien que né en plein milieu des années 80 (1986 pour être précis), Trouble Fait' ne sort son premier album qu'en 2010. Parfois il faut le temps au projet de mûrir. Mais la formation n'a pas chômé entre ces deux dates, loin de là : split avec Rue Tabac Gars « L'Odeur Des Pavés » sorti en 96 et dont les bénéfices ont été reversé à un institut d'enfants en difficulté, puis deux EP « A Glowing Spark » en 1998 et « Sub Lumina Prima » en 2004. Tout cela sans parler de leurs nombreuses présences sur scène, du flot de contributions à diverses compilations et d'un certain nombre de reprises de groupes comme Joy Division, David Bowie, Siouxsie And The Banshees, Charles de Goal, ou bien encore DeVolanges.
Bien que le groupe français tourne autour de Jicé et Babeth Letter, la formation aux accents curistes n'a cessé de posséder un line-up aux changements fréquents (pas moins de sept bassistes passeront au sein de la formation). Ceci apporta finalement à Trouble Fait' une identité bâtarde mais puissante de nombreuses références punk et post-punk, allant de Bauhaus aux Stranglers en passant par Sisters Of Mercy et autres The Mission. À l'heure actuelle la formation de base comprend Jicé Letter au chant et à la guitare, Babeth Letter aux claviers, Dj Neurotic (Tusker Seed) à la basse, et Matt à la batterie.
Voici donc Comet Camden, le véritable premier album du groupe, qui aura mis le temps de la réflexion (me rappelant au passage l'histoire similaire des très célèbres Specimen). Le disque, sorti sur le label Rumors It Way en 2010, promet déjà énormément de par son titre. Son titre oui. Si certains ne sont pas familiers de l'histoire des contre-cultures musicales anglaises, Camden Town n'est autre qu'un haut lieu des cultures dites alternatives depuis les années 50, bien qu'aujourd'hui, existant encore, Camden ne soit devenu la Mecque des aficionados de fringues, dont le nombre de boutiques taguées « gothic » ou « punk » ferait s'arracher les cheveux aux crêteux hardcore et retourner dans leurs caveaux les corbeaux de la première heure, pleurant à chaudes larmes le concept de « Do It Yourself ».
Outre le fait que ce soit le premier album de la formation, il est à noter que celui-ci dénote également par d'autres aspects. La pochette, représentant un bout d'affiche déchirée sur un poteau de Camden (ou quelque chose du genre) est le fait de Loveless. Les photographies présentes dans le livret sont toutes de très bonne facture et ont été prise par Jicé et par une certaine JennY Letter, une parente je suppose. C'est donc aussi une histoire de famille. Au-delà de ça, il s'agit aussi d'une histoire d'amitiés, puisque plusieurs guests font leur apparition sur le disque, tel que Fred et Eddy de Disgrace, Federico Lovino de Popoï Sdioh, Sailor de Brotherhood of Pagans, et Necros de Dead Sexy Inc.
Si je ne me souviens plus comment j'ai découvert la formation, je me souviens par contre parfaitement que c'est « A Bridge to Nowhere » et sa coldwave lancinante qui m'a introduit le groupe. Basse en registre haut, guitare et voix claires, batterie minimaliste avec un brin de réverbération, tempo lent. Chanson nihiliste pour âmes en déroute. Un pont menant vers nulle part. Pas de promesse.
« Northland » nous compte une partie de l'histoire contre-culturelle du nord de la France. Chômage, ségrégation, alcoolisme, friches industrielles, sable noir, musique électronique belge, gothiques et nostalgie des années 80 sont au menu. Voilà un post-punk peu réjouissant mâtiné d'un brin d'industriel sur le refrain. Juste ce qu'il faut pour comprendre le désarroi qui se cache derrière cette composition. Peut-être le « nulle part » évoqué un peu avant.
Alors que l'on pensait toucher le fond, arrive « Nightly Gleams » et sa douceur étrange. Douceur en apparence seulement, car en jetant un œil aux paroles on se rend vite compte que Trouble Fait' possède cette capacité à chanté des « textes sombres ou mystérieux [...] parfois en contradiction sur des mélodies enjouées ». Je confirme les propos du groupe.
Alors que nous sombrions dans un rêve éthéré et dérangeant, voici venir « The Walls Have Ears » et sa rythmique punk rafraîchissante. Le chant se fait plus agressif et traduit une parenté avec les groupes de l'époque, terribles Clash, provocants Sex Pistols, sombres Damned, envoûtante Siouxsie. Du moins une façon très anglaise d'appréhender la musique rock. Saviez-vous d'ailleurs qu'à Londres, les murs avaient des oreilles... Littéralement ?
« She Sleeps in a Pain » se fait encore une fois plus sombre. Un titre au tempo lent, guitares distordues et ce « bip » omniprésent. Un mélange de The Cure, PiL ou bien encore Virgin Prunes avec un je-ne-sais-quoi... Je n'arrive pas vraiment à mettre le doigt sur ce à quoi ça me fait penser, comme si un souvenir ne voulait pas se rappeler à moi. En tout cas la voix est punk. Jicé sait y faire.
Je parlais de rock à la sauce londonienne, et bien nous y voici. « Comet Camden » et son son post-punk hypnotique et glauque à souhait. On y refait ici l'histoire du quartier de Camden, on y cite le peintre Walter Sickert, les Clash, les biopunks, les crêtes multicolores, les Pistols, et même le fameux Electric Ballroom. Ce titre aurait pu être un bon titre punk si le tempo n'était pas si lent et si la composition faisait moins de 3 minutes. Mais autant dire qu'avec un titre qui s'étire sur plus de 5, on est plutôt en présence d'un pur joyau du post-punk façon vieille école. Désespéré.
Avec « A Voice Speaks From Nowhere » on revient à la douceur. On y évoque ma Bretagne natale en hiver dans un titre me faisant étrangement penser à du Jesus And Mary Chains. Arrivé dans ce fameux « nulle part » du début, voici qu'une voix s'y élève et murmure. Mais cette douceur est vite remplacée par la puissance de « Thunderstorm », un titre presque metal de par ses guitares, très rythmé, presque industriel dans l'approche. Un chant quasi récité comme pour un rituel contre le soleil. Une ode au tonnerre, aux nuages, aux tempêtes et à la pluie.
On revient vers un son post-punk plus classique au fort accent new wave, avec gimmick simple de guitare et moult nappes de synthétiseur sur « Arrogant Culture ». On y parle de « donner de la substance à ma culture », des « clowns de mon cirque », d'être « fou d'art bizarre », de « jouer avec le choix, comme un enfant ». Personnellement je pense que ce titre doit parler indubitablement à tous les punks, skinheads, rivetheads, gothiques, néo-romantiques, cybers, emos, grunges, rockabillies, etc... et toute personne ayant un jour ou l'autre côtoyé de près les contre-cultures. Peut être un avertissement même. Ou une auto-critique.
C'est sur une composition aux accents peu joyeux que l'album se conclut. Viens le retour à la pluie avec « Boys of the Rain », comme un fantôme du précédant « Thunderstorm ». Une chanson cryptique parlant de jeunes gens de la pluie, dans des rues sans noms, ne cherchant aucune gloire. Attitude punk, quand tu nous tiens... Vers la fin, tout s'enflamme et laisse la place à une composition, piste fantôme, où tout n'est plus que cendres des temps anciens. À la manière du travail de Kurt Harland d'Infomation Society sur Soul Reaver, tout ne devient que lamentations spectrales et désespoir de ne pouvoir retrouver une certaine innocence passée, une douce insouciance depuis longtemps perdue. Des rires d'enfants se font entendre de « nulle part », le rideau se ferme.
Trouble Fait' porte bien son nom. Les membres du groupe ne sont pas là pour adoucir vos nuits, mais bien pour apporter ce petit grain de sable qui enrayera votre tête bien huilée. Mêlant, avec une aisance agaçante, les différents genres du post-punk et de forts relents d'une identité punk toujours bien présente. La référence à Camden Town n'est pas là par hasard. On plonge sans cesse dans une ambiance que personnellement je croyais perdue à jamais. On retrace, chanson après chanson, la lente agonie d'une utopie brisée, un Camden devenu la Mecque des aficionados de fringues, etc...
Avec un album cohérent et intense, qui sait exactement à quels moments respirer, le groupe a forgé son identité propre au sein d'une culture dans laquelle il n'est pas rare de ne rencontrer qu'une multitude de clones des grands représentants du genre. Trouble Fait' a réussi à sortir son épingle (à nourrice) du jeu.
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