Focus I | Le Black Metal en Grèce




"Il fut un temps où le seul album de Black Metal dont j'étais vraiment fan était "Thy Mighty Contract" de Rotting Christ. L'atmosphère de celui-ci est vraiment unique, et les sonorités qui s'en dégagent sonnent différemment de celles, glaciales, de la scène scandinave." 


Cette citation de Blasphemer (Mayhem/Aura Noir) illustre bien les caractéristiques de la scène Black Metal hellène, surgie de pratiquement nulle part à la fin des années 1980 alors qu'il n'y avait quasiment pas de mouvement de ce type en Grèce, ou que celui-ci était resté dans l'oubli: un son chaud et généreux qui diffère en effet des atmosphères dépressives ou Thrash qui déferlaient sur la Seconde Wave norvégienne, ainsi que des ambiances riches en émotions et en mélodies rarement ressenties dans le genre auparavant. Des riffs tremolo flamboyants, associés à des rythmes classiques du Heavy Metal et des thèmes occultes captivants: voilà ce qu'est, au départ, la scène Black Metal grecque.







L'émergence de ce mouvement, à son commencement unique dans la Seconde Vague, doit sans doute beaucoup à Rotting Christ d'avoir défini une identité au mouvement et d'avoir influencé en grande partie les nouveaux groupes grâce aux différentes évolutions que cette formation légendaire a traversé. D'un Grindcore énervé incarné par ses deux demos Decline's Return et Leprosy of Death, Rotting Christ est passé par la case Black/Trash (ce qu'il appelle alors de l' "Abyssic Death Metal") avec une troisième demo intitulée  Satanas Tedeum, tout droit inspiré de l'album "The Return…" de Bathory. Après l'enregistrement de deux opus dont un mini-album - Passage To Arcturo -, la renommée du groupe explose avec la sortie en 1993 d'un album culte, Thy Mighty Contract, caractérisé par un son beaucoup moins agressif, mais au contraire plus profond et plus voluptueux que ce qu'on avait l'habitude d'entendre au début des années 1990. Son successeur Non Serviam se relève plus incisif tout en restant dans la même veine. Dans ces deux masterpieces, on découvre une musique chargée en émotions, ce qui était plutôt rare à l'époque du règne du Black/Thrash et du Raw Black Metal. D'ailleurs, la musique de Rotting Christ ne cesse de se transformer, testant ses limites à travers une approche davantage gothique et sombre au fur et à mesure de son évolution.








Cette introduction consacrée à Rotting Christ ne doit pas occulter les autres pionniers de cette scène qui ne tarde pas à prendre son envol avec Necromantia, formé un peu plus tard - en 1989 -, dont la production la plus notable est sans doute son album Scarlet Evil Witching Black paru en 1995. Varathron, Horrified, Death Courier… Autant de groupes qui, notamment autour du label Unisound Records, ont contribué à forger l'identité d'une scène étonnamment diversifiée. Celle-ci est présente dans le Black old-school comme dans le Black progressif, l'atmo et le Pagan, et renouvelée dans les années 1990 et 2000 par des formations telles que Kawir, sans oublier Acherontas et sa musique teintée de mysticisme et de spiritualité.





Au-delà de certaines caractéristiques fondamentales, on ne peut pas continuer à parler de la scène grecque sans y regarder de plus près, c'est pourquoi nous allons nous focaliser sur une dizaine de productions que nous avons jugées incontournables. Ce n'est pas un top mais une rétrospective non-exhaustive conçue selon nos goûts personnels.





Kawir - Isotheos (album, 2012) 


Formé à Athènes en 1993 par Thertonax, Kawir est l’un des groupes les plus anciens de la scène black metal Grecque. Alors qu’une des première sortie du groupe sera un Split enregistré en 1994 avec Sigh, leur dernier album en date « Isotheos » délivre un son Black Metal à la Himinbjorg à la grecque, avec un mélange de chœurs, de flûte et autres instruments traditionnels, traitant de thèmes chantés en grec ancien, de la Mythologie et du monde pré chrétien Païen.







Acrimonious - Sunyata (album, 2012)


Le titre de cet album est un mot bouddhiste pour exprimer la sensation d'absence et de vide, plus fort que la mort et la violence. Dense, sombre, mystique, le son d'Acrimonious se révèle typique de ce que l'on peut attendre d'un groupe typique de la scène grecque. Le deuxième opus de ce combo similaire à Acherontas ou à Heretic Cult Redeemer propose une musique évocatrice qui s'inspire de différentes mythologies. Difficiles à digérer au début, les huit morceaux de ce disque prennent du temps à révéler tout ce que les musiciens athéniens sont capables de créer, rappelant dans un premier temps les derniers Belphegor ou même le groove mardukien. Mais 'Vitalising the Red-Purple in Asher-Zemurium' est un concentré mélodique dont la complexité perdra l'auditeur dans l'univers du trio. Sunyata est un album puissant, immersif, avant-gardiste parfois. À écouter, voire posséder absolument. L'album est au prix d'un maxi Best Of sur Amazon. 








Dodsferd - A Breed of Parasites (album, 2013)


Avec seulement trente-deux minutes de contenu original, cet album de Dodsferd, groupe connu pour ses atmosphères typées Raw DSBM - surtout dans ses productions antérieures -, mais tout ce qui s'y passe absorbe l'auditeur dans une tristesse et une obscurité inquiétante, des atmosphères rarement aussi bien retranscrites et que l'on avait pas l'habitude de retrouver dans les précédents travaux de ce quatuor  formé en 2001. Dodsferd nous emmène dans des contrées froides, loin de l'Attique, où l'existence se confond avec la mélancolie, quand la lumière blanche du soleil peine à percer une épaisse couverture nuageuse. 







Spectral Lore - III (album, 2014)


Le quatrième album de Spectral Lore, c'est de l'Ambient Black Metal progressif à couper le souffle. Composé de deux parties, il rivalise avec les meilleures oeuvres de Darkspace pour son aptitude à nous envoyer dans différents univers parallèles aux confins du temps et de l'espace, offrant à l'auditeur un voyage épique et grandiose. Tout est concentré autour des mélodies, omniprésentes dans chaque pièce de l'opus. Variées, elles peuvent se révéler douces, longues et mélancoliques mais aussi agressives et tranchantes, comme chez un groupe américain très proche de la démarche d'Ayloss, Mare Cognitum, avec qui l'artiste a collaboré pour un split en 2013 (Sol) . Spectral Lore ne cesse de mélanger les atmosphères, soutenues par la sérénité des synthétiseurs, ou la colère des blast-beats. 







Zemial - Nikta (album, 2014)

Nykta de Zemial est une oeuvre étrange mélangeant le Rock progressif et le Black Metal avec des passages de Thrash old-school qui viennent donner des coups d'accélérateur sans pour autant s'intégrer complètement. Il peut être difficile d'imaginer que l'osmose ait lieu, mais la machine se met en route toute seule, il suffit de se laisser emporter et surprendre au fil de l'écoute. Très dur à appréhender d'entrée, l'opus nous ballotte entre des mélopées guitaristiques typiques des années 1960/1970 et du Black Metal pure souche tant dans l'instrumentation que dans le domaine des vocaux. Zemial arrive ici à nous livrer un produit final presque parfait qui est un témoignage de leur créativité et leur amour pour la musique . 







Impure Worship - S/T (EP, 2012)


Impure Worship pratique dans son EP éponyme un Black/Death orthodoxe qui tend vers le style de Black Witchery, tout en se servant de riffs de Thrash primitifs pour donner à son holocauste auditif corps et santé. Les Grecs aussi savent faire du Black/Death, et cet EP a sérieusement de quoi faire de l'ombre aux géants tels Archgoat. Un must-listen pour ceux qui veulent tester les limites de la violence et du blasphème. Primaire, sauvage, lourd et annihilant, cette oeuvre tout droit sortie des chiottes du Panthéon séduira les amateurs de musique sans concession.







Aenaon - Extance (album, 2014)


Aenaon, qui fête la dixième année de sa formation en 2015, est un quintette qui puise son influence chez Solefald, Enslaved, Dodheisgar mais aussi le groupe progressif formé par le membre fondateur d'Emperor, Ihsahn. Son côté avant-gardiste éclate au grand jour avec la sortie en 2014 d' Extance, un monument de 2014 mais aussi un OVNI musical incroyablement ambitieux. Il combine différents styles tels que le blues, le jazz, pulvérisant ainsi les frontières du Black Metal progressif. Cette oeuvre détermine l'identité unique de ce fer de lance actuel de la scène BM grecque dont la schizophrénie stylistique n'est plus à démontrer.







Hail Spirit Noir - Pneuma (album, 2012)


Hail Spirit Noir, l'un des seuls groupes de Black Metal bluesy aux accents typés Jethro Tull que je connaisse, est la preuve que la rencontre des styles ne peut être que bénéfique pour la créativité des artistes. Leur premier album Pneuma est une réussite remarquable; plus il progresse, plus l'auditeur est amené à se rappeler les derniers albums d'Opeth, mais c'est après plusieurs essais que Pneuma commence à s'emparer de notre âme pour ne plus jamais nous la rendre. On en découvre toujours plus après chaque écoute, et on ne se lasse pas du plat de résistance 'Into the Gates of Time', épique à souhait. La clarté de la production peut être vue comme un défaut, mais elle s'est avérée plus que nécessaire pour mettre en valeur les fabuleux passages acoustiques qui jalonnent l'oeuvre. 








Tatir - Fons Acheroni (demo, 1996)

La scène hellène a fait naître une flopée d'oeuvres légendaires, et Fons Acheroni, une précieuse demo  d'à peine deux titres, en fait partie. Les morceaux qu'elle contient sont deux bijoux épiques et folkloriques, des incontournables du genre, qui tirent partie des apports de Kawir et Varathron.

Tatir, formé au milieu des années 1990, a tardivement fait irruption dans l'émergence du Black Metal en Grèce. 'Mistress of the Mountains' constitue une réminiscence de la première demo de Kawir. Les choeurs et la guitare acoustique installent une ambiance épaisse et profonde, tandis que le riffing fait furieusement penser à l'univers Heavy Metal de King Diamond ou Mercyful Fate. Sur 'The Invitation of the Heralds', nous sommes enivrés de nappes de synthé obsédantes suivies d'un solo de guitare colérique et frénétique, le point culminant de cette demo. Alors que la cassette se termine, on en voudrait plus; le bouton re-play nous aide à nous y replonger. 







Thy Darkened Shade - Liber Lvcifer I : Khem Sedjet (album, 2014) 


 Black occulte, fondé en 1999, Thy Darkened Shade est quasiment inexistant les dix premières années de sa formation, le groupe nous offrira deux albums ces quatre dernières années. Si le style du premier opus était plutôt axé Thrash, cette sortie 2014 se veut plus Death, plus expérimentale. Le duo grec, ou l’on retrouve par ailleurs un ancien membre de Kawir à la composition musicale vous invite à vous transporter pas une scène sombre et occulte, sortez les rites et les incantations et laissez vous transporter.


 



Nous espérons avoir piqué votre curiosité ou avoir rappelé à vos oreilles quelques joyaux de la scène grecque grâce à cet article. Nous ne prétendons pas à l'exhaustivité ni à l'objectivité, mais nous avons pris du plaisir à partager nos coups de coeur avec nos lecteurs. C'est avec joie et curiosité que les rédacteurs échangerons avec vous si certains ont des trouvailles à partager avec le webzine sur ce sujet!



Auteurs: Tom/Chaosophia


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