Viol, c'est de l'art.



Avant de commencer l'écriture de cet article, nous tenons à préciser que le point de vue présenté dans cet article n'engage que l'auteur et non le webzine. Ce qui est défendu dans les lignes qui suivent est une  certaine conception de l'art et de la place de celui-ci au sein de la société. 



Il y a de cela 2500 ans, les cités grecques avaient fort bien compris ce que certains de nos contemporains ont aujourd'hui du mal à assimiler: la place polémique de l'art, sous toutes ses formes. Les tragédies avaient en effet pour but de représenter les actes les plus abjects, les plus fous, pour qu'ait lieu une purification. L'exemple le plus connu? Le parricide et l'inceste d'Oedipe. 

Pas besoin des Grecs pour comprendre ce qu'est l'art dans ses manifestations au sein de l'espace prévu à cet effet, que ce soit un théâtre ou une salle de concert: c'est un lieu symbolique où des choses immorales, injustes, inhumaines que la société doit ou souhaite bannir, sont représentées. C'est le lieu par excellence de la transgression symbolique qui a besoin d'exister pour que la catharsis ait effectivement lieu. Sachant cela, pourquoi ne pas en faire usage, et surtout, pourquoi interdire de telles manifestations?

Le groupe Viol a récemment fait les frais de ce qu'on pourrait voir comme un abus, une injustice, pour ne pas dire tout simplement de la censure. Rappelons que cette formation Punk nantaise dont on n'entendait absolument pas parler jusqu'à présent a fait l'objet d'une polémique, en raison de son nom ouvertement provocateur et des paroles d'une de leur chanson faisant, si on les prend au premier degré, l'apologie du viol. Voici ces propos:


« Petite bourge endimanchée,
Tu contournes les rues mal famées.
Préparée pour ton blaireau de copain,
Prépare-toi à encaisser mon gourdin !
Dans la rue tu m’as provoqué ;
Petite pute à souliers !
Tu pensais te faire sauter par ton mec,
Mais dans une poubelle je vais te prendre à sec !
Viens, connasse !
Ici, dans ta face !
Ouvre-toi, putain !
Le viol, mon instinct !
Comme c’est bon de te violer,
Toi qui ne m’étais pas destinée.
Tu chiales, affalée dans mon sperme !
C’est ta faute, alors tu la fermes ! » 


Viol devait se produire le 27 mars à Paris, pour un concert organisé à La mécanique ondulatoire, dans le onzième arrondissement. Ayant pris connaissance du nom du groupe - pas plus choquant que ne l'était celui des Sex Pistols dans l'Angleterre puritaine des années 1970/80 - , mais surtout du contenu de ces paroles indubitablement et volontairement déplaisantes, l'association féministe Les Effronté-e-s a dénoncé ce qu'elle voit comme la "chanson phare" du groupe. Précisons à ce propos qu'il ne s'agit en aucun cas de l'hymne des musiciens, qui n'ont jamais sorti ce morceau, qu'ils ne jouent plus depuis un moment et qu'ils n'avaient de toute façon pas l'intention d'interpréter le 27 mars. Voici la seule version disponible de 'Viol', écrit avec l'ancien batteur et sa copine en 2009:





Le 25 mars, les Effronté-e-s, grâce à leur polémique lancée sur Internet, ont fait pression sur la Mécanique Ondulatoire pour annuler le concert de Viol. Les membres de l'association ont tout d'abord alerté sur Twitter une élue parisienne, Hélène Bidard, pour "interdire la participation du groupe «VIOL» à cet évènement, pour interdire les productions d’un groupe qui porte comme nom une incitation au crime":






Ont-ils réellement perçu le véritable message du groupe Viol? Ont-ils vraiment cherché à le comprendre? De toute évidence, les Effronté-e-s, avec tout le respect qu'on leur doit - la défense des droits des femmes est une cause noble -, ont pris le message du texte au premier degré, qui peut être vu de différentes manières. En effet, si on creuse un peu et qu'on demande au groupe son avis sur la question, on tombe sur un message radicalement clair. NON, la chanson 'Viol' n'est pas une apologie du viol. Elle en est une dénonciation: les musiciens, dans leur texte, donnent la parole à celui qu'on a le moins l'habitude d'entendre: le violeur; un peu comme Charlie Chaplin dans son film "The Dictator", au final: on joue un personnage, mais cela ne veut pas dire qu'on pense vraiment ce que profère ce dernier. D'ailleurs, cela semble être la position du groupe, interviewé par Vice il y a quelques jours:

"À aucun moment je ne pense que les paroles de la chanson « Viol » soient crédibles ou excitantes, au contraire, elles te dégoûtent et te font te poser des questions plus qu’autre chose. C’est un titre dans la lignée de morceaux comme « Sonia » de Komintern Sect ou « Salope » de Reich Orgasm…" (Samuel, guitariste et chanteur du groupe) 

Au vu des paroles de la chanson et de la réaction du groupe, nous sommes devant un texte polémique qui dénonce le viol. Pour rappel, Montesquieu a été accusé à tort de défendre l'esclavage lorsqu'il écrivit son texte ironique, De l'Esprit des Lois. Et, avouons-le, Charlie Hebdo a été également taxé de racisme et de misogynie par de nombreuses associations féministes pour une caricature sur les jeunes filles enlevées par Boko Haram au Nigeria

Que les Effront-é-es n'aient pas saisi la nuance et soient choquées, cela peut se concevoir. Ce qui me gêne dans ma conception de l'art, c'est la volonté de faire taire des artistes parce que leurs propos, encore une fois symboliques, choquent et dérangent. Un comportement parfaitement antidémocratique qui n'a l'air de choquer personne, un mois et demi après les journées de deuil national qui ont suivi le drame du 7 janvier 2015. Les tenants de la liberté d'expression peuvent s'en révolter. En effet, au lieu de s'en tenir à la dénonciation, parfaitement valable, de ces paroles, les Effront-é-es sont parvenus à leur objectif, qui était de bannir le groupe de la programmation du concert du 27 mars. François Vauglin, maire du deuxième arrondissement de la capitale, s'en félicite sur Twitter:



Tout cela s'est joué de manière parfaitement légale, mais aussi parfaitement anti-démocratique. Paradoxal, non? Certes, l'apologie du viol est  condamnée par la loi, c'est un fait. Mais si l'assoc' avait pris la peine d'essayer de comprendre le message du groupe, cela ne serait pas allé aussi loin.

Par ailleurs, cela remet en cause la liberté de l'art d'exprimer des choses qui font réfléchir… À la limite, cela ne m'aurait pas étonné que les Effronté-e-s portent plainte pour apologie au viol, mais là, leur démarche n'est pas crédible. On assiste au baillonnage d'un groupe... et de son public, par dessus le marché. Ce qui dérange est mis à la poubelle, sans autre forme de procès. 

De quoi a-t-on peur, sérieusement? Que tous ceux qui entendent 'Viol' deviennent des violeurs?  Si la situation n'était pas aussi attristante, les défenseurs de l'art riraient. Nous connaissons tous l'essence subversive de cette activité humaine, et ce n'est pas parce qu'on a lu l'Oedipe-Roi de Sophocle qu'on sera tous des parricides incestueux! L'inceste et le meurtre sont pourtant interdits par la loi, et à aucun moment on ne lit que cette pièce en fait l'apologie, bien au contraire. En empêchant Viol  de jouer, les Effronté-e-s et les élu-e-s qui ont collaboré avec eux (!!!) ont annulé tout un débat intéressant autour de la place des vices dans l'art, la manière dont ils sont représentés, mis sur le devant de la scène symboliquement pendant un instant… Il y a d'ailleurs, en ce moment même, une exposition sur "Les Bas-fonds du Baroque, la Rome du vice et de la misère" au Petit-Palais, à Paris. A-t-on vu des associations manifester pour je ne sais quelle cause (alcoolisme, prostitution) et lutter pour interdire l'exposition? Le viol n'est pas une exception, c'est bien sûr un acte abject mais si on en interdit la représentation, on peut interdire nombre de tableaux, comme celui-ci:


Titien, Le viol de Lucrèce


Plus qu'un abus, c'est une remise en cause de l'art comme subversion à laquelle nous assistons de plus en plus dans nos sociétés actuelles. Ce ne sont pas les femmes qui sont violées dans cette affaire, personne n'a été poussé au viol dans cette chanson… et d'ailleurs, si c'est le cas, la justice fait son travail, pas la peine de passer par des élus, n'est-ce pas? 

Qui sont les victimes dans l'histoire? Les femmes défendues par le groupe Viol ou les musiciens eux-mêmes?  Pour moi, c'est la liberté de l'art qui a été violée. Quoiqu'on en pense, dans toute l'histoire des musiques populaires, on a inévitablement toujours vu une interdiction de concert comme de la censure, et cela, espérons le, n'est pas prêt de changer. 


Tom



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