Live Report | Steven Wilson le 25 mars 2015 à l'Olympia ("Hand. Cannot. Erase." Tour 2015)



"We say this every time we play in front of a seated audience : we're not a classical orchestra, nor a jazz quintet, but a rock band, and we rely on enthusiasm. So don't hold back."  ("On le dit chaque fois que l'on joue devant un public assis : nous ne sommes pas un orchestre classique, ni un quintet de jazz, mais bien un groupe de rock, et nous avons besoin de votre enthousiasme. Alors ne vous retenez pas.")


Ce soir, c'est un concert vivant que souhaite proposer Steven Wilson, icône incontournable du rock progressif des deux dernières décennies, à la foule parisienne sagement disposée dans le théâtre de l'Olympia, en dépit d'une configuration de salle qui prend le parti d'imposer une écoute quasi solennelle à un public couvrant toutes les générations. Nul risque de lassitude cependant ; l'artiste qui est ce soir à la barre, par la justesse de son exploitation des paramètres aussi bien sonores que visuels du spectacle, happe sans tarder l'audience dans son univers mouvant et audacieux, qui emporte à coup sûr l'imagination de chaque spectateur loin de son siège en velours. 


On comprend bien vite que la dernière production de Wilson, Hand. Cannot. Erase., va occuper une place de choix dans la setlist de la soirée : le groupe en aborde dans l'ordre les premières compositions et, accompagné des chaleureuses vidéos projetées sur le gigantesque écran placé en fond de scène, nous entraîne dans la première phase du concept-album, encore légère, principalement consacrée aux souvenirs idéalisés du personnage principal, une jeune citadine anonyme. Pas même un titre aux accents de complainte comme "Routine" ne chasse la sensation de bain de lumière que donne cette ouverture de concert, marquée par les riffs enjoués de "3 Years Older" ou la délicieuse efficacité pop du morceau-titre "Hand Cannot Erase". 





Coup de théâtre. Les couleurs s'enfuient afin que s'amorce une saisissante plongée pour le moins inattendue dans le monde angoissant et torturé des premiers travaux solo de Steven Wilson : avec l'infernale "Index", l'artiste emprunte un chemin aussi radical que fascinant pour mettre en lumière les vertigineux contrastes qui caractérisent son oeuvre. Les yeux s'écarquillent, quelques sourcils se froncent devant les lugubres bribes d'images frémissantes qui ont sur l'écran remplacé les films scintillants du début de spectacle. Le musicien britannique et sa talentueuse équipe nous prennent au dépourvu par l'habileté de leur mise en scène, tantôt accueillante, tantôt violemment sinistre, mais qui retourne parfois à une sobriété largement bénéfique à la mise en valeur de titres comme "Ancestral" - certainement la composition la plus aboutie du dernier album. Plus tard dans le concert, le groupe renouvelle même le pari (déjà relevé lors de la tournée précédente) de s'effacer derrière un grand voile transparent déroulé devant la scène afin d'attirer toute l'attention du public sur la macabre histoire de "The Watchmaker". 



Steven Wilson derrière le fin rideau du "Watchmaker"


Ce voile, nouveau support de projections picturales, illustre à merveille l'éblouissante diversité des textures visuelles du concert. Si ce rideau permet pour sa part d'introduire des jeux d'ombres mêlés aux statiques et inquiétantes illustrations du morceau qu'il accompagne, maintes autres techniques sont convoquées sur l'écran géant tout au long du spectacle, en allant des somptueux films de Lasse Hoile, Youssef Nassar et autres réalisateurs à l'animation très artisanale de "Routine", jusqu'au bouleversant clip du "Raven that Refused to Sing". Cette variété égalerait presque celle des genres musicaux abordés dans la soirée ; si Hand. Cannot. Erase. était déjà un véritable manifeste de la multiplicité des influences de Steven Wilson, comme l'a montré Tom dans sa chronique (ça se passe >> ici <<), le live lui permet de surenchérir à cette diversité en présentant plusieurs aperçus du kaléidoscope qu'est sa carrière, dont la richesse sans fin ne peut malgré tout pas être représentée en deux heures et demie. Le compositeur polyvalent qu'est Wilson n'oublie de satisfaire aucune frange de son fidèle public, en joignant instrumentaux tourmentés façon King Crimson, progressif mélodique et majestueux, tout en passant par des approches rock plus directes ou par les tortueux accents jazz de "Sectarian" - exclusivité de la tournée dont seuls les parisiens ont pour le moment profité. 





Irrésistible matériau en effet, si l'on considère en outre la forme de plénitude atteinte par le groupe grâce au naturel de l'exécution live des morceaux. Cette puissance teintée de souplesse est particulièrement manifeste dans le chant de Steven Wilson lors des morceaux les plus tendres. Toujours proche de la douceur extrême du studio, s'élève une voix brute, ouverte aux inflexions du texte, une voix dont la sincérité empêche le spectateur d'ignorer la pénétrante mélancolie des personnages qui s'expriment à travers le chanteur. Le son de l'Olympia, spécialement dans les aigus, n'aura malheureusement pas toujours été à la hauteur de cette voix, ni des époustouflants soli de Guthrie Govan. La virtuosité de ce dernier, tout comme celle des autres brillants instrumentistes (Marco Minneman à la batterie, Nick Beggs à la basse, Adam Holzman au clavier) dont a su s'entourer Wilson, n'en est pas moins partie intégrante du spectacle, bien que chaque musicien s'en tienne à une présence scénique ayant pour mots d'ordre décontraction, spontanéité et modestie. L'enthousiasme de l'audience amplement exaltée monte d'ailleurs d'un cran à chaque démonstration technique ("Regret #9"), tout comme au lancement de titres plutôt imprévus comme "Sleep Together", gracieux clin d'oeil aux nostalgiques de Porcupine Tree, un des groupes majeurs de Wilson, mis de côté depuis quelques années.



Guthrie Govan



Marco Minneman


Le public, réceptif et plus qu'accueillant, sait du début à la fin rendre justice à un artiste peinant à s'exprimer entre les morceaux tant les ovations se font insistantes. De brèves paroles d'introduction à quelques titres auront toutefois suffi à démontrer avec simplicité la cohérence de l'oeuvre éclectique présentée au long de la soirée. Les motifs de la perte, du regret et de l'enfance, développés dans le dernier album, invitent ainsi l'émouvante "Lazarus" de Porcupine Tree dans le set ; l'atmosphère glaciale de "Harmony Korine" apporte quant à elle une lumière alternative et bien plus lugubre à l'idée de mal-être évoquée avec intelligence au fil de Hand. Cannot. Erase.. Ce dernier opus, véritable trame du concert, semble finalement puiser son originalité dans le réalisme avec lequel y sont approchés les thèmes fétiches de son auteur. En projetant sa composition et sa réflexion vers le monde auquel chaque spectateur est confronté au quotidien, sans oublier de cultiver les contrastes constitutifs de son catalogue, Steven Wilson a ce soir subjugué une audience qui était certes conquise d'avance, mais qui se retire de l'Olympia les yeux brillants, et l'esprit enivré des démons et splendeurs de l'univers de cet artiste aux mille talents, l'un des plus accomplis de sa génération.



Report: Marion
Photographies: Marco Tchamp (site internet)


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Setlist :

First Regret
3 Years Older
Hand Cannot Erase
Perfect Life
Routine
Index
Home Invasion 
Regret #9
Lazarus
Harmony Korine
(Entracte)
Ancestral
Happy Returns
Ascendant Here On
The Watchmaker
Sleep Together
(Encore) 
Sectarian
The Raven That Refused To Sing



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