Renaud Hantson (à gauche sur la photo), chanteur du groupe et Laurent Karila (à droite), parolier et co-producteur de Satan Jokers nous parlent de leurs innombrables projets et de leurs ambitions futures pour le groupe et poussent un véritable coup de gueule contre le « guetto du Metal français ».
- Pour commencer, à propos de l’évolution du groupe depuis le Hard Rock des années 1980, il semblerait que vos albums soient de plus en plus conceptuels, en particulier les deux derniers. Comment expliquez-vous cette évolution artistique ?
RH : Cette évolution est naturelle dans le sens où Satan Jokers était déjà un groupe assez technique dans les années 1980, je voulais donc avoir une équipe de rêve, une vraie « dream team » du Metal français avec Pascal Mulot à la basse, Michael Zurita à la guitare, Aurélien Ouzoulias à la batterie et moi-même au chant. Je pensais m’arrêter après Fetich X et mettre le groupe en standby, puisque nous avions atteint à peu près le même nombre d’années d’existence que le premier line-up. La mission semblait accomplie. Mais il y a eu cette rencontre avec Laurent Karila, ici présent, avec qui je suis rentré en thérapie, et qui m’a proposé cette idée absolument folle de faire un album concept sur l’addiction à la cocaïne, Addiction, dont il a écrit les textes. Tout est venu naturellement.Laurent, en plus d’écrire les textes des deux derniers opus, est également mon co-producteur. Nous avons désormais un cinquième membre du groupe qui n’est certes pas sur scène mais qui nous apporte beaucoup. L’évolution vient de l’intelligence des textes de Laurent. Nous ne parlons plus de sorcières, de dragons etc. car cela ne nous intéresse plus. Les sujets auxquels nous nous intéressons ne sont généralement pas abordés dans le Metal français. D’autres groupes diraient : « La drogue c’est bien,continuez! ».
LK : Contrairement à certains groupes de Metal qui encouragent la prise de drogue, nous délivrons un message préventif. Attention, nous ne disons pas que la drogue c’est mal : la diaboliser ne présenterait aucun intérêt. Dans cet album, l’idée était de raconter une histoire, celle d’une addiction et de ses évolutions au fur et à mesure de la prise de drogue. Il s’agit de prévenir des dangers de cette substance qu’est la cocaïne. Au contraire, Psychiatric ne traite pas d’un seul sujet mais de plusieurs maladies mentales pour déstigmatiser la psychiatrie qui fait flipper les gens, car ils ne la connaissent pas. Beaucoup de gens se reconnaîtront dans certaines portions de texte, particulièrement lorsque nous parlons des TOC, qui concernent tout le monde. Nous sommes tous névrosés et connaissons tous des crises d’angoisse. Ceux qui sont atteints de ces maladies sont des gens comme les autres. Ici, nous avons eu la chance d’utiliser le vocabulaire de la psychiatrie qui sonne Metal, en fin de compte.
- A ce propos, les termes qu’on entend dans ce nouvel album sorti en 2012 sont très techniques, comment les avez-vous adapté à la musique ?
RH : En effet, il y a un jargon médical très dur à chanter. Comme je le dis très souvent, cet album est le plus compliqué que j’aie enregistré vocalement, au niveau de l’interprétation, car je ne comprends rien à ce que je dis.
LK : Si, il comprend, d’ailleurs je vous demande de l’appeler professeur Hantson (rires)
- Laurent Karila, comment vivez-vous cette expérience atypique pour un psychiatre de travailler avec un groupe de Metal ?
LK : Je suis fan de Metal depuis que je suis petit –d’ailleurs on m’appelle Dr Metal maintenant- j’étais fan de Kiss, de Motley Crüe, d’Aerosmith… et Satan Jokers faisait partie de mon registre. J’écoutais ça dans ma chambre à l’âge de onze ans, j’ai quarante ans maintenant. J’ai rencontré Renaud via Facebook par hasard, je le respecte énormément pour sa carrière en tant que batteur/chanteur au sein de Satan Jokers mais je suis moins fan de sa carrière solo : les balades, ce n’est pas mon truc (rires).
RH : Trop de balades, et il a des vomissements.
LK : Renaud m’a permis de réaliser un rêve de gosse : j’ai écrit deux albums, je les ai co-produits. J’ai donc allié mes deux passions, mon métier et le Hard Rock.
-Cette relation avec Satan Jokers a-t-elle un apport pour votre vie professionnelle ?
LK : Non, car j’aurais très bien pu ne pas le faire, cela a plutôt un apport pour ma vie personnelle, un vrai succès. Sans être présomptueux ni mégalo, beaucoup de personnes auraient rêvé de faire un album avec un grand groupe comme Satan Jokers ! Tous mes potes sont contents pour moi.
- Vous faites preuve dans l’écriture des albums d’un véritable talent littéraire, aviez-vous déjà écrit auparavant ?
RH: Laurent avait déjà écrit des livres, mais lorsqu’il m’a proposé l’écriture d’un album à la Nikki Sixx, je n’ai pas rejeté l’idée mais je lui ai confié l’écriture des textes. Quand il m’a envoyé le premier texte ‘Substance Récompense’, j’ai fondu en larmes en le lisant chez moi, et il se trouve que j’avais déjà dans mes tiroirs une mélodie qui correspondait au texte. Très rapidement, cela a relevé du challenge. Laurent m’envoyait un texte par jour et nous en mettions un par jour en musique. Tout est allé très vite : en treize jours, la composition était achevée. Ce n’est pas du marketing, c’est véridique : fusionnel et dans l’urgence. Mon talent a été de trouver les bons clivats sur les textes. Le challenge a été le même pour Psychiatric, où nous parlons de douze maladies mentales : le schéma est le même que sur Addiction, nous sommes partis des textes, élément central de l’album, pour le composer. Tout est plus facile lorsque nous nous organisons comme cela. J’éprouve par exemple en ce moment des difficultés pour écrire les paroles des mélodies de l’album que je prépare avec mon autre groupe Furious Zoo.
- Le texte est ainsi d’une importance capitale dans votre musique ?
RH : Mon challenge avec Satan Jokers et ce que j’essaye de faire au long de ma carrière musicale, c’est de laisser une trace de mon passage dans la musique. Ce qui m’intéresse, c’est d’arriver à communiquer cette musique à un public de plus en plus large : si à travers les textes, on arrive à toucher une autre forme d’auditeurs, l’objectif est atteint. Nous sommes toujours émus, Laurent et moi, quand une jeune femme qui va au bureau le matin nous dit qu’elle aimait pas le Hard Rock, mais qu’on lui a donné une patate pour aller bosser. Elle écoute aujourd’hui parce qu’à l’intérieur il y a des textes qui lui parlent et que les mélodies lui restent dans la tête. En bref, si je peux faire découvrir le Hard à un public extérieur à la niche, au ghetto du circuit du Hard français, la mission sera totalement accomplie. Ceux qui pensent que le Hard doit rester underground, ce sont juste des cons. Il y a des chanteurs et des guitaristes monstrueux dans le monde du Metal, il faut que le grand public le sache : c’est là qu’il y a les plus grands techniciens.
-Concernant la pochette du nouvel album, a-t-elle une signification particulière à vos yeux ?
RH : Eh bien, nous sommes très heureux d’avoir rencontré Patricia Parant-Milhem, qui à la base était une chanteuse et qui est devenue comme une frangine pour moi, qui fait partie de la famille. Elle a choisi de changer de métier pour devenir graphiste. Elle arrive à synthétiser ce qu’on a dans nos esprits tordus.
LK : Elle canalise cela en images.
RH : Patricia fait du bon boulot, parce que très longtemps j’ai pensé par rapport aux critiques des pochettes de Satan Jokers que c’était normal que celles ci soient mal faites. Elle a relevé le niveau, et ceux qui critiquent aujourd’hui sont à mon sens souvent des graphistes frustrés, ou des mecs qui voudraient avoir le job (rires).
- Qui s’est occupé de la promotion de Psychiatric ?
RH : C’est Replica qui a fait la promotion de cet album. Ce sont eux qui ont permis à Satan Jokers de se reformer et de participer à l’édition 2009 du Hellfest. En plus d’être des amis, ce sont ceux qui bossent le mieux dans le Metal pour la promotion des artistes : ils ont un savoir-faire qui est supérieur et sont passionnés par ce qu’ils font.
- Vous êtes-vous inspirés d’autres artistes pour la création de cet album ?
RH : Satan Jokers s’est toujours situé entre Magma –un groupe de Fusion français- et Judas Priest, Black Sabbath. Ca a toujours été la fusion entre le Jazz Rock et le Hard Rock. Cependant, lorsque des journalistes des années 1980 nous disent qu’on a inventé la Fusion metal, je trouve que cela est un peu exagéré.
- Renaud, vous avez une carrière très prolifique, avec onze albums solo. Votre addiction à la cocaïne semble avoir été remplacé par une addiction au travail. Cherchez-vous à rattraper le temps perdu ?
RH : Oui, bien sûr qu’il y a de ça, bien sûr que j’aimerais laisser une trace, car j’ai l’impression d’avoir perdu pas mal d’années. Je me contente des ventes de mes albums, car je ‘ai jamais connu un succès comparables aux artistes qui jadis vendaient des centaines de milliers d’albums et qui maintenant n’en écoulent que quelques dizaines, à cause de l’état déplorable de l’industrie du disque. Etant mon propre producteur, je suis satisfait des 10 000, 20 000 albums que j’ai réussi à vendre, mais ce succès est loin d’être ce qu’il y a pour moi de plus important. Mon objectif est surtout de créer une œuvre. Cela peut paraître présomptueux, mais nous nous rappellerons peut-être pas de ceux qui sont actuellement dans le top 50 comme du travail que j’ai effectué dans la musique depuis quarante années, sachant qu’il me reste encore dix ou vingt ans d’activités. Glenn Hugues, qui est un de mes héros et qui revient du même chemin que moi, a vécu sept rechutes. J’ai fait moi-même quelques faux pas cette année, je ne me sens donc pas complètement sorti d’affaire, mais ça finira par le faire. Glenn aussi a une boulimie de travail qui est hallucinante. Il a 62 balais, j’en ai douze de moins, il faut donc que j’aille vite.
- Il semblerait que vous ayez un projet symphonique en tête, est-ce vrai ?
LK : Il ne s’agit pas réellement d’un projet symphonique, mais d’un sex opéra pour clore le tryptique entamé avec les deux derniers opus, c’est une idée qui est dans ma tête depuis longtemps, avant Psychiatric. J’en ai parlé à Renaud qui m’a dit « T’arrêtes, tu es fou », mais finalement l’idée a germé.
RH : Cela permettrait que le groupe n’arrête pas : Satan Jokers est mon bébé, mais je suis fatigué du circuit du Hard français, et il se trouve que nous n’avons ni producteur de spectacle, ni management. Je n’accepte pas les sommes dérisoires que certains groupes des années 1980 acceptent pour jouer en concert. Si j’arrive à avoir gain de cause, cela servira tous les groupes, en particulier ceux qui touchent aujourd’hui 300 euros dans un petit club : si cela continue comme ça les patrons de clubs donneront 125 euros dans cinq ans, il n’y aura plus de musiciens professionnels et ce sera la catastrophe ! Je me bats pour cela. On pense que c’est de l’arrogance, que c’est parce que » leur groupe bat de l’aile » mais le problème ne vient pas de là., nous n’avons jamais autant cartonné. Ce qui a tué le Metal dans les années 1980, c’est qu’il n’y a aucune solidarité, que l’on ne s’entraide pas, et c’est le même problème aujourd’hui. Ce n’était pas du tout ta question, mais c’est ma réponse.
LK : Pour revenir au sex opéra, celui-ci est un concept qui comme son nom l’indique tourne autour du sexe. Ce seront des addictions, des perversions avec du masochisme etc et du porno, tout cela mélangé dans ma tête et orchestré par Renaud. Nous pensons faire intervenir des chanteurs de Hard Rock et des stars du porno et espérons mener à bien ce projet en deux ans.
RH : J’ai pensé à Stéphane Buriez pour prendre part au projet car il fait partie de la génération qui suit Satan Jokers, j’aimerais également qu’il fasse autre chose que ce qu’il fait habituellement –et je sais qu’il sait le faire- et qu’on échange des idées car c’est un bon producteur. Il a réalisé plein d’albums pour plein d’autres groupes, c’est un vrai tueur au niveau son.
- Pouvez-vous présenter à nos lecteurs chacun des membres de Satan Jokers ?
RH : Pascal Mulot à la basse, l’un des rares mecs qui aura fait des albums solos et qui aura autant fait avancer son instrument. C’est lui qui m’a poussé à remonter Satan Jokers, parce qu’il était ami avec Laurent Bernat, le bassiste d’origine qui est décédé il y a neuf ans maintenant.
Michaël Zurita à la guitare, tout simplement le meilleur guitariste du circuit actuel, un mélange entre Steve Vai et Zakk Wylde, un mec très calme : j’ai d’ailleurs un ami qui le surnomme Dracula, mais lorsqu’il joue il s’exprime vraiment.
Aurélien Ouzoulias à la batterie, actuel batteur de Lokura : il sait faire aux pieds ce que moi-même je sais faire aux mains, c’est un cyborg de la batterie, il sait tout faire. Il fallait un mec de ce niveau là pour Satan Jokers. Il n’est pas intervenu dans l’écriture des chansons pour l’instant mais je pense qu’il le fera sur le sex opéra., par contre l’apport de ce qu’il fait en tant que batteur est fondamental dans le résultat final des deux derniers albums.
Nous ne nous sommes jamais aussi bien entendus entre nous car je pense que tout le monde a sa place : AddictionS a radicalisé la formule du quatuor et a totalement stabilisé le line-up.
- Avez-vous des regrets par rapport au fait d’avoir abandonné la batterie pour vous consacrer uniquement au chant ?
RH : Non, pas du tout, surtout lorsqu’on engage un mec comme Aurel. J’ai joué une seule fois de la batterie sur une chanson du dernier album qui est une ballade : ‘Panique Hystérique’ que j’avais dans mes tiroirs depuis les années 1980. Mais Aurel est tellement excellent que je ne pouvais que lui laisser ma place. Je ne joue en tant que batteur que dans mes albums solos ou avec Furious Zoo.
- L’école de chant et de batterie que vous avez fondée rencontre-t-elle du succès ?
RH : Tout marche très bien, elle est ouverte le mercredi et le vendredi. Il y a beaucoup d’élèves et c’est ce qui me permet de produire des disques et d’envisager tous mes autres projets en sécurisant mes arrières. Donner des cours se révèle aussi être une très bonne thérapie pour moi, car je suis obligé de rester « carré » car je dois donner l’exemple.
- Quelques mots sur Furious Zoo ?
Furious Zoo, c’est mon projet de club, mon groupe de proximité. C’est une vraie éclatade : là, j’accepte de jouer pour 500 euros sans aucun souci car j’aime communiquer avec les fans et en live ce groupe est excellent. C’est moins technique, moins évolué que Satan Jokers mais nous avons Michaël Zurita à la guitare par exemple, le niveau est donc très bon. Julien est mon bassiste en solo et Joe est un vieux de la vieille qui a 57 ans, un killer malgré son âge. Il défie un peu la science.
- Et sur l’action caritative « Ensemble contre la sclérose en plaque » à laquelle vous avez participé ?
Je ne voulais pas que Laurent Karila soit le seul à aider les gens (rires). Plus sérieusement, cette maladie peut toucher n’importe qui à n’importe quel âge et je trouvais important de m’engager aux côtés d’autres artistes pour la combattre. J’ai commencé avec une première association qui n’existe plus aujourd’hui : « Tous en scène contre la sclérose en plaque ».
- Pour finir, quel est le premier album que vous ayez acheté ?
RH : Led Zeppelin II , sans aucune hésitation. J’avais six ans, nous étions en 1970.
LK : Creatures of the Night de Kiss.
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