Chronique | RIKA MADOBE - Infinite Window (Album, 2024)

Rika Madobe - Infinite Window (Album, 2024)

Tracklist :

01. Opening party - 03:29
02. 2045年問題 - 04:33
03. Ara=hill=imi=tci=tci - 05:05
04. XP-404 - 05:04
05. スープと雲 - 02:34
06. Lグミ - 03:48
07. Stille Nacht - 06:23
08. Ordinary days SNAFU - 06:49
09. Window moon - 03:34
10. Hypochondria (私世界言語ver) - 06:28
11. 理科 - 07:22
12. Félicette - 05:47

Streaming intégral :

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Infinite Window est né de l’esprit chaotique et virtuel de Rika Madobe 窓辺リカ. Premier album du Vtuber japonais, il est sorti chez Virgin Babylon Records et s’inscrit dans une démarche Hyperpop japonaise. Autrement dit, oubliez les voix autotunées de l’Hyperpop occidentale, et ouvrez la porte au vocaloïd et aux références Menhera メンヘラ. Pour mieux comprendre cette dernière référence, il est important de se plonger dans la culture Menhera, une tendance née à Harajuku et popularisée aux alentours de 2020.

Bien que partageant des éléments communs avec le Yami-Kawaii, comme on peut le voir chez des groupes comme Necronomidol (si on occulte leur facette ero guro エログロ des débuts) ou Vampillia, notamment le mélange d’éléments mignons à des aspects plus inquiétants pour créer une sensation de malaise, l’équilibrage est différent dans le Menhera – et donc chez Rika Madobe. L’imagerie (que l’on retrouve sur la pochette par exemple) met en avant la maladie, la fragilité émotionnelle ou plus généralement la mauvaise santé, qu’elle soit physique ou psychologique, le tout est enveloppé d’un voile d’étrangeté et de négativité. C’est ce que suggèrent des titres de morceaux tels que "2045年問題" (Problème de l'année 2045), reflet d’une inquiétude et d’une angoisse future, ou encore "XP-404" qui utilise le code associé à une erreur. "Hypochondria" aborde l'anxiété excessive concernant la santé, tandis que "Ordinary days SNAFU" intègre l'acronyme militaire "SNAFU" (Situation Normal: All Fucked Up) et suggère ainsi un désordre constant et une normalité perturbée. Dès la pochette et la lecture des titres, l’atmosphère se trouble, se fait plus confuse, et l’angoisse ainsi que la violence deviennent plus proches que jamais alors que débute Infinite Window.

Vous l’aurez compris, il ne s’agit donc pas ici d’un énième album de vocaloïd à la Hatsune Miku 初音ミク ou même de version plus Rock et Metal. Rika Madobe c’est pas seulement de l’Hyperpop un peu glauque passée par le prisme culturel japonais. C’est une expérimentation sonore extrême qui va puiser sa radicalité et sa souffrance non pas dans le DSBM comme l’aurait fait Al-Kamar (qui mélange le Post-Black / DSBM au vocaloïd) mais dans le Breakcore. Car au final, quoi de mieux que le Breakcore pour illustrer les tourments psychologiques et émotionnels ?
Autrement dit, on se retrouve avec ce premier album de Rika Madobe face à une démarche qui se rapprocherait de celle voulue par Al-Kamar mais qui aurait viré Igorrr (en plus expérimental) entre-temps, tout en gardant, grâce au chant vocaloïd, un côté pop malsain qui nous renvoie inexorablement à Vampillia. L’ombre de leur alter-égo VMO (Violent Magic Orchestra) n’est pas loin non plus, bien que les côtés Gabber et Black Metal de ces derniers soient absents et que leur facette Techno se rapproche plus ici de l’Intelligent Dance Music (IDM), car Rika Madobe reste indéfectiblement expérimentale et noisy. Une expérimentation qui n’est pas sans rappeler, sur le titre « XP-404 », les explorations sonores du collectif japonais Geinoh Yamashirogumi pour la musique du film Akira アキラ de Katsuhiro Ōtomo 大友 克洋. Certains titres plus « doux », comme "Ordinary days SNAFU", me rappellent le travail de Joe Hisaishi sur les films du Studio Ghibli, tant au niveau de l’utilisation du piano que des ambiances parfois surréalistes.

Continuer de chercher, d’énumérer les différentes influences et éléments issus de tel ou tel style pour un album aussi riche, expérimental et radical serait au mieux une perte de temps, au pire une quête vaine d'un décryptage exhaustif et inintéressant. C'est un peu comme essayer d'analyser chaque note d’"Hypochondria", qui me rappelle les premières notes du thème de Lavanville dans Pokémon alors qu’elles n’évoqueront rien pour un autre auditeur, et inversement d’autres qui ne seront pas frappées par cette ressemblance peuvent percevoir d'autres références et/ou émotions qui m'échappent totalement. La subjectivité de l’auditeur est un élément à part entière de l'expérience auditive et émotionnelle qu’est Infinite Window. Rika Madobe nous offre un album à la fois ultra-référencé et cryptique. À nous de décider si l’on souhaite se l'approprier, d'y insérer notre sensibilité, tout en sachant qu’il demandera un engagement éminemment important pour s’en saisir, ne serait-ce que partiellement.
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Morgan

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