Article | 1981, le Rock Prog fait peau neuve : Découvrez 5 albums qui ont « contemporanisé » le genre !


1981, le rock prog fait peau neuve !

Si on s'accorde généralement pour dire que l'âge d'or du rock progressif s'est achevé autour de 1976-1977, de nombreuses figures emblématiques de ce courant n'ont pas pour autant cessé leur activité. Au contraire, elles ont su faire évoluer leur formule en s'inspirant des courants contemporains. Après une période de transition entre 1978 et 1980, durant laquelle plusieurs groupes prog tels que Yes, Genesis, Moody Blues et Rush ont entamé une mutation certes perceptible mais encore discrète, c'est vraiment en 1981 que la plupart d'entre eux ont franchi définitivement le cap des années 80, souvent avec brio ! Cet article propose de revenir sur cinq albums de rock prog « contemporanisés » sortis en 1981.

____________________________

King Crimson - Discipline

L'événement le plus marquant de l'année 1981 pour le rock progressif est sans aucun doute le grand retour de l'un de ses principaux pionniers, King Crimson ! Au départ, la reformation n'était pas forcément au programme, et Robert Fripp souhaitait seulement entamer un nouveau projet nommé "Discipline". Finalement, Fripp décidera de renommer le projet King Crimson, bien que le seul rescapé de la dernière incarnation du groupe (dissoute en 1974) soit le batteur Bill Bruford. Le nom Discipline est tout de même retenu pour l'album, qui s'impose comme l'un des plus gigantesques albums de toute la discographie de King Crimson.

On y retrouve le riffage lourd et les dissonances typiques du King Crimson de 1973-1974, mais les développements ultérieurs de Fripp y sont inclus, en particulier les Frippertronics expérimentés avec Brian Eno depuis le milieu des années 70, ainsi qu'un côté plus post-punk funky entrevu sur son album solo Exposure en 1979, et notamment influencé par les Talking Heads dont Fripp raffolait. Encore aujourd'hui, ce disque est considéré comme l'un des plus grands coups de génie de l'histoire du rock progressif, et une parfaite illustration de comment s'adapter à l'esprit de son époque sans se compromettre !

King Crimson poussera par ailleurs la formule encore plus loin sur Beat en 1982, sans aucun doute l'album le plus new wave et dansant de toute la discographie du groupe.

____________________________

Genesis - Abacab

Devenu un trio depuis le départ de Steve Hackett en 1977, Genesis avait doucement glissé vers un format de chanson plus concis sur ses albums And Then There Were Three (1978) et Duke (1980). Bien que l'ambiance de ces disques restait proche des deux précédents, notamment grâce à la production de David Hentschel, Phil Collins avait entretemps sorti un premier album solo, "Face Value". Sa collaboration avec l'ingénieur-son Hugh Padgham l'a ouvert aux sonorités new wave du moment, notamment la fameuse "gated reverb", ce son de batterie massif plein de réverbération qui deviendra vite le symbole des productions des années 80.

C'est donc un Genesis notablement transformé qui sort "Abacab" en 1981, un disque qui certes ne tourne pas complètement le dos au rock progressif, mais où les influences de groupes comme The Police ou XTC ressortent nettement. On y retrouve également les sonorités soul Motown déjà audibles sur "Face Value", ainsi que le choix de Tony Banks d'utiliser des synthétiseurs numériques à la place des claviers plus typés des années 70 employés jusqu'à Duke.

Souvent considéré comme le premier album vraiment pop des années 80 de Genesis, Abacab est un disque que les fans du Genesis classique adorent détester. Cependant, il épate tout de même par sa créativité, la beauté de ses compositions et la qualité de son exécution. C'est le début d'une nouvelle ère pour le groupe, qui culminera en 1986 avec Invisible Touch.

____________________________

The Moody Blues - Long Distance Voyager

Pionnier du rock progressif, encore plus ancien que King Crimson, The Moody Blues avait signé un retour impressionnant en 1978 avec l'album "Octave", en gardant l'essence du groupe tout en intégrant des synthétiseurs et un côté plus direct dans les compositions. Trois ans plus tard, les Moodies transforment l'essai avec le sublime "Long Distance Voyager" et prouvent définitivement qu'ils ne sont pas un groupe du passé, bien qu'on les réduise trop souvent à Nights In White Satin. L'essence folk rock orchestrale est toujours audible, mais l'utilisation de claviers plus modernes et d'une batterie plus percutante, conjuguée à une intelligence de composition particulièrement fine, font de ce disque un véritable chef-d'œuvre, un vrai plaisir pour les oreilles qui surpasse même plusieurs albums de la période classique de 1967 à 1972.

Cette cohabitation surprenante entre le bucolisme des anciens albums et une orientation presque synthpop sur certains titres était pour le moins risquée, car elle pouvait rebuter les fans nostalgiques sans pour autant séduire le public plus jeune. Cependant, l'album réussit au contraire son coup et offre au Moody Blues un regain de popularité conséquent. Cela démontre une fois de plus que le rock progressif pouvait encore plaire au grand public au début des années 80.


____________________________

Rush - Moving Pictures

Sans tout chambouler, Rush avait opéré une discrète modernisation sur Permanent Waves en 1980, ce qui se traduisait par une utilisation plus importante des synthétiseurs (déjà présents depuis le milieu des années 70), des chansons moins longues en moyenne, et même une première incursion en terrain reggae sur une courte section. Ces idées, encore un peu marginales sur "Permanent Waves", sont développées de manière nettement plus conséquente sur "Moving Pictures" en 1981, que beaucoup considèrent comme le premier vrai album des années 80 de Rush.

Cette fois, les claviers deviennent beaucoup plus prépondérants (moins que sur le suivant Signals cependant), et l'influence reggae, qui était plus un clin d'œil qu'autre chose sur le précédent disque, prend ici une place centrale, se mêlant à merveille avec le hard prog originel du groupe. Si le format des chansons devient également plus concis par rapport aux mastodontes de 20 minutes des années 75-77, il est difficile de parler de compromission pour "Moving Pictures", et ce pour une raison simple : l'album est magistral du début à la fin, et surtout incroyablement original !

Rush y développe en effet un style suffisamment attrayant pour séduire le grand public, mais pas « facile » pour autant. Les structures sont complexes, les sonorités riches, et le côté reggae ajoute une touche de groove et de magie totalement inattendue, un coup de génie qui ouvrira la voie à une série d'autres chefs-d'œuvre dans la décennie, Signals et Grace Under Pressure en tête !


____________________________

Saga - Worlds Apart

Pour Saga, la situation est nettement différente de celle des autres groupes mentionnés. En effet, le groupe n'a pas connu le pic de popularité du rock progressif et émerge plutôt en 1978, à une époque où le genre est déjà en pleine mutation. Leurs trois premiers albums, sortis entre 1978 et 1980, s'inspiraient certes du rock progressif classique, mais étaient fortement teintés des sonorités new wave de la fin des années 70.

Cependant, le saut stylistique et sonore est nettement perceptible sur Worlds Apart en 1981, à l'instar des autres groupes cités. Pour cet album, Saga bascule dans la cour des grands en enregistrant dans le prestigieux studio anglais The Farmyard, sous la houlette de Ruppert Hine, une figure de l'ombre du rock progressif anglais. Gorgé de tubes et assumant davantage son croisement art rock-synthpop, l'album est servi par une production plus solide. Worlds Apart propulse Saga de discrète formation canadienne à quasi-star mondiale, bénéficiant d'une promotion active sur MTV. Bien que cette notoriété soit de courte durée aux États-Unis, elle se maintient durablement en Europe, en particulier en Allemagne et en Scandinavie, où le groupe enchaîne les succès tout au long de la décennie.

Saga confirmera d'ailleurs avec brio les promesses de Worlds Apart en signant un autre album tout aussi sublime intitulé Heads Or Tales en 1983.


____________________________
Mohamed Kaseb

Commentaires