Chronique | BLISS-ILLUSION - Shinrabansho (Album, 2018)


Bliss-Illusion | 虚极 - Shinrabansho | 森​罗​万​象 (Album, 2018)


Tracklist :

01. 7.23前夜(7.23 Eve) - 04:57
02. 空(Sunyata) - 03:33
03. 莩甲(Recovery Of All Things) - 04:43
04. 般若(Prajnā) - 05:05
05. 往生(Pass Away) - 06:02
06. 奈落(Naraka) - 04:31
07. 末法时代(The Age Of The Last Dharma) - 08:03
08. 无常(Impermanence) - 07:45
09. 般若(Prajnā)|(Re-Recorded) - 06:36
10. 我们(WE) - 02:18
11. 魅(Phantom) - 05:16

Streaming intégral :



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"Meditative post-black metal", cela peut prêter à sourire, tant cette appellation peut sembler incongrue. Pourtant, dans mon univers, et peut-être bientôt dans le vôtre, ce disque mérite amplement de faire partie de l’océan des musiques qui vous portent vers un état méditatif salutaire.

Mais reprenons dès le début, Bliss-Illusion est un groupe pékinois, formé en 2016 à l’initiative du chanteur Dryad (il officie aussi dans Tassi, autre projet de post-black conceptuel) et du guitariste compositeur Wang Xiao. Pour ce premier album, Shinrabansho, ils s’entourent du flûtiste Li Que et du batteur Tong Xiaotao.

L’album, et particulièrement la voix, peuvent paraître étranges à une oreille occidentale non avertie, mais une fois les politesses échangées et les esgourdes entraînées, l’auditeur découvre un monde de poésie tout en harmonie entre mélodies éthérées, lumineuses et passages sombres comme l’œil de la tempête. À l’image de cet univers bouddhiste que les musiciens mettent en avant, la musique de Shinrabansho, et de Bliss-Illusion particulièrement, est empreinte de cette force métamorphe harmonieuse du yin et du yang.

Le groupe parvient à mélanger parfaitement le côté charnu et empli de l’émotion du post-rock, le côté sombre, froid et agressif du black, avec la tranquillité et la poésie du zen ; vous trouverez l’exemple le plus parlant dans le morceau d’ouverture, "Eve". Piste lumineuse avec le son de flûte en fil de guide sur les chemins de l’ascension.

Ce qui est superbe avec ce disque, je l’avais dit, c’est son côté métamorphe, naviguant sans cesse entre le yin et le yang. Ici, nous avons "Sunyata", incantation de mantra, au son des instruments de méditation bouddhistes qui montent doucement, jusqu’à son apogée avec de forts riffs de guitare tranchants, même la flûte ne fait qu’appuyer le caractère martial de la composition. Sans crier gare, tout l’ensemble vous propulse directement dans la transe.

On pourrait croire que "Recovery of All Thing" est de nouveau une piste lumineuse, mais on se trompe puisque malgré des mélodies plus légères, il y a une lourdeur, quelque chose de chargé entoure l’ambiance de ce morceau : est-ce cette ligne de guitare épaisse qui est présente partout? Est-ce la batterie? Quoiqu’il en soit, avec beaucoup de beauté et de poésie, Bliss Illusion fait montre d’un rétablissement qui prend du temps, qui nécessite un véritable travail de convalescence et de résilience et cela s’entend dans ces arpèges graves et rampants.

La véritable ascension vient avec "Prajna" (sagesse transcendante en sanskrit), la poésie ici est de nouveau plus légère et les notes volent littéralement dans les airs. Même le growl qui peut paraître agressif ailleurs fait, ici, partie intégrante de cet ensemble de poésie flottante aux mélodies multiformes qui semble tracer sa route dans les nuages. Le travail de Li Que est magnifiquement remarquable sur ce morceau.

Redescendons vers les terres fermes avec "Pass Away", morceau grave et solennel qui nous invite dans le côté obscur de l’existence. Pourtant, là aussi, il est question de l’acceptation et de se libérer, autant que faire se peut, à grand renfort d’incantations ritualistes, de batterie hypnotique, et cette flûte, ah ! Cette flûte comme un oiseau éclaireur de chemin dans la nuit de l’existence ! La poésie ne quitte jamais le fil de l’album, même quand elle est sombre à se damner, jusqu’en enfer !

Restons dans le sombre, voulez-vous, puisqu’on parle de l’enfer ? "Naraka" (du sanskrit Naraka, signifiant enfer ou encore le monde souterrain), superbe morceau de black bouddhiste ; le terme prend tout son sens ici avec cette atmosphère désespérément sinistre et menaçante qui transpire à travers les incantations, la batterie effrénée et les riffs fous qui forment un ensemble cacophonique, comme le bruit même de l’enfer avec toutes les âmes perdues qui le peuplent. La traversée du monde souterrain peut être soit pénible, soit salvatrice, mais dans tous les cas, on en sort transformé.

Et cette transformation se traduit dans la tranquillité de la piste suivante, "The Age of the Last Dharma" (Dharma, ce terme polymorphe qui désigne tellement de chose… Considérons le ici comme substance, essence, réalité ou encore phénomène), tranquillité d’apparence puisque l’ensemble se muera dans une longue plainte avec tout ce qu’il y a de plus tragique, un abandon et un laisser-aller total à l’émotion qui déborde à travers les poumons et la gorge, comme un ultime chant du cygne qui vient s’évanouir dans les air, au son de la flûte.

"Impermanence" est un témoignage de l’acceptation, l’acceptation de notre propre caractère éphémère, du caractère changeant et cyclique de la vie, de l’univers. Les boucles hypnotiques des riffs nous rappellent que tout est en constant mouvement et que nous faisons partie de ce grand mouvent, alors autant s’y mouvoir avec calme et avec classe. Laissons-nous nous envoler aux notes de la flûte, laissons-nous porter par la belle voix de Dryad et entrons dans la danse de l’univers. Et comme il convient d’abuser des bonnes choses, vous reprendriez encore un peu de Prajna, au chant clair cette-fois-ci?

Un dernier sursaut vers les contrées sombres ? Prenez donc le chemin de la plage, une nuit sans lune, et tendez vos oreilles aux murmures des vagues. "We" arrive : avec son ambiance sombre et dense entre riffs épais foisonnants et growls caverneux plaintifs. Laissez-vous subjuguer par cette complainte avant d’accueillir l’atmosphère irréelle et glaçante de "Phantom". C’est comme un fil de fumée noire qui s’infiltre par tous les interstices. La guitare est fantasmagorique, ponctuée de temps à autre de rires d’enfant dans le lointain et autres effets sonores aussi irréels que chimériques, tout l’ensemble vous plonge dans un rêve éveillé où chaque pas vous mène à la fois partout et nulle part.

Découvrir Bliss-Illusion, c’est découvrir la poésie du yin et du yang en musique. Le mélange entre post-black/shoegaze et les instruments/l’esprit bouddhiste est fait avec une fluidité étonnante. C’est comme si tout cela allait de soi, c’est comme si leur musique ne pouvait pas être autrement, pas autre chose. Lumineuse, sombre, éthérée, passionnante, froide, poétique, tout cela à la fois. Cela semble beaucoup, mais c’est tellement léger à porter, comme le toucher d’une plume.

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Dee Cooper



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