Chronique | BIRUSHANAH - Mushi No Rougoku | 蟲ノ牢獄 (Album, 2022)


Birushanah - Mushi No Rougoku | 蟲ノ牢獄 (Album, 2022)

Tracklist :

01. 明滅 (Meimetsu) - 09:35
02. 獣流れ弾鉄屑の瓦礫の山の上から (Kedamno Nagaredama) - 05:00
03. 廃坑 (Haikou) - 06:01
04. 死崩落喰らう星 (Shihourakukurauhoshi) - 05:15
05. 君影草 (Kimikagesou) - 03:42
06. 蟲ノ牢獄 (Mushi no rougoku) feat Menkuro Manji - 10:46
07. 三千世界行進曲-Sanzensekai Koushinkyoku - 06:09

Streaming intégral :


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Birushanah, nom qui fait référence à un bouddha représentant l’essence ultime du bouddhisme. Derrière cette incarnation se trouve un trio japonais, originaire d’Osaka. D’abord un duo, formé par Sougyo, (basse, taiko, chant) et John (batterie) en 2002, proposant une musique qui mélange le côté heavy et expérimental, en ajoutant des percussions traditionnelles et industrielles ; ils seront rejoints par Iso (guitare et chant) et Wakki sur la percussion métallique, qui sera remplacé plus tard par Sano, toujours membre du groupe actuellement. Le groupe subit plusieurs changements de line-up avec John, qui quitte la formation assez tôt, puis en 2010 Sougyo quitte aussi le groupe. Finalement, Birushanah se stabilise avec un trio constitué d’Iso, Sano et Mokkun à la batterie.

Avec la contribution d’Iso, le son du groupe, bien que restant toujours très expérimental, adopte une dimension encore plus indus et noisy, fortement influencée par des pionniers de l’indus japonais comme Der Eisenrost et son frontman Chu Ishikawa, mais aussi de la noise comme Hanatarashi, ou encore par le groupe de thrash progressif Doom. Le groupe garde aussi une influence folk, à travers le feeling que les musiciens mettent dans leur travail de composition et l’utilisation des techniques du taiko, transposées sur les percussions métalliques.

La musique de Birushanah est avant tout un mélange de plusieurs techniques, c'est une volonté féroce de faire transparaître la vibe traditionnelle de la musique à travers des compositions très expérimentales, très noisy et toujours plus métalliques. Bien que très technique, ils privilégient aussi un travail de composition qui laisse une grande place au feeling, et c’est peut-être pour cela que même en ne découvrant le groupe que tardivement, avec leur 4ème album qu’est "Mushi No Rougoku", je m’étais laissée happée par cet orchestre totalement barré, à la fois organique et puissant.

Vacillant, "Meimetsu" ne l’est peut-être pas totalement, mais c’est une très légère mise en bouche pour ce superbe opus, on peut déjà entendre la percussion en nappe épaisse qui pave ce morceau et ouvre la route à l’incantation énergique chantée par Iso. L’ensemble peut sembler dissonant pour les oreilles non averties ; pourtant, la cohérence harmonique est criante, à travers les montées et la progression des arpèges. Le point d’orgue de la percussion explose dès la 6ème minute, accompagné par un riff de guitare gras et épais, le tout se transforme en un majestueux feu de forêt, si tout n'avait été qu'une petite flamme vacillante, au commencement.

Après le feu, les voilà en train de toiser le monde, du haut des ruines. Avec "Kedamno Nagaredama", la percussion métallique, véritable âme de Birushanah, se fait ici martiale, grave et sombre comme la mort, elle crée une toile de fond pour le chant, qui lui est utilisé parfaitement comme un instrument parmi tout le reste et qui rappelle le chant de nô, soliloque qui éclate de temps à autre dans un hurlement métallique, superbe piste pour appréhender l’essence du mélange étonnant que nous offre Birushanah.

"Haikou" est le morceau de l’étincelle, le départ est aussi acéré et froid que du silex issu de quelques mines abandonnées. La musique démarre avec des arpèges hachurés, le trio (ici quatorze avec Tessu à la basse) nous offre un morceau constitué de grappes d’étincelles qui se lancent les unes après les autres avant de s’embraser sur le point d’orgue final, où la batterie, la percussion, et la basse tracent la voie à une guitare fantasmagorique qui rampe vers le ciel, enveloppée d'un chant plaintif. C’est lourd, c’est sombre, c’est gras, c’est magnifique !

Cette guitare organique, une fois montée vers le ciel, se transforme en un trou noir, une étoile de la mort qui dévore tout sur son passage et son apparition est accentuée par cet ensemble de percussions vivantes, ondulantes et brûlantes, sons métalliques qui martèlent même sur la folie ! "Shi Houraku Kurau Hoshi" est le morceau sludge rampant et menaçant par excellence, doté d’une ligne de guitare véloce et menaçante, évoluant à l’intérieur d'une tempête de percussions démentielles.

"Kimikage Sou", petite interlude toute calme et toute en folklore fantasmagorique, pour se remettre du fléau de l’étoile noire. N’espérez pourtant pas de trouver de l’apaisement, c’est une magnifique interlude toute en dissonance avec un shakuhachi (flûte japonaise) dont le son est rendu irréel par la composition singulière, comme venant des mondes parallèles.

Le morceau titre, magnifique, arrive à grand renforcement mélodique, toujours dissonant avec l’aide de la percussion métallique. Mais ici, le ton est dramatique. L’élément doom prédomine avec un chant plaintif et déchirant qui devient plus présent. L’ensemble est une tragédie lyrique avec tout ce qu’il comporte de dramatique, depuis le chant, la guitare mélancolique, jusqu’à la percussion sans relâche qui évolue comme un volcan et qui, d’abord, gris de cendres sous un ciel désolé se mue en géant cracheur de lave. Et c’est dans la lave que nous terminerons cette majestueuse piste, devenue du sludge dissonant et rampant, avec une voix incantatoire à couper le souffle, aussi brûlante que les braises de l’enfer.

Enfin, c’est avec un très énergique, noisy et passionné "Sanzensekai Koushinkyoku" que Birushanah clôture ce magnifique opus. Si vous y prêtez assez attention, vous ressentirez tous les éléments de la musique folk du japon cachés dans chaque interstice de la construction de ce morceau progressif à souhait.

Ce n’est pas une prétention quand Sano et Iso parlent de « feeling » des sons traditionnels dans leur musique : Birushanah réussit le pari haut la main dans ce que les profanes pourraient appeler une cacophonie, cacophonie de compositions où seules une oreille avertie trouvera une harmonie extrêmement organisée et précise, qui ondule et qui multiplie ses formes, à force de percussions puissantes, organiques, de riffs de guitare lourds, épais et d’une voix passionnément expressive. Vraiment un gros coup de cœur de l’année 2022 !

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Dee Cooper

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