Chronique | KILLING JOKE - Outside The Gate (Album, 1988)

Killing Joke - Outside The Gate (Album, 1988)

Tracklist :

01. America - 03:47
02. My love of this land - 04:13
03. Stay one jump ahead - 03:10
04. Unto the ends of the earth - 06:08  
05. The calling - 04:45
06. Obsession - 03:35
07. Tiahuanaco - 03:27
08. Outside the gate - 08:47

Streaming intégral :


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Killing Joke, voilà un groupe qui fait globalement l'unanimité et a su gagner le respect d'un public très large! Que ce soit les fans de post-punk, les métalleux ou même le grand public qui s'est laissé séduire par le tube "Love Like Blood", tous s'accordent à dire que la bande menée par Jaz Coleman a lourdement compté dans l'histoire récente de la musique, et pas seulement celle de la new wave anglaise au vu de l'énorme étendue de sa sphère d'influence. Cependant, il y a une grosse ombre à ce tableau idyllique, un album qui a divisé et divise encore, et qui a failli signer la fin de l'aventure de la blague qui tue! Cet album, c'est Outside The Gate, sorti en 1988!

Resituons le contexte. En 1985, Killing Joke sortait Night Time, un disque qui conservait certes le côté martial et industriel de ses prédécesseurs, mais qui intégrait une dose substantielle de synthétiseurs et de sonorités synthpop contemporaines. La formule a été gagnante puisque l'album a récolté un succès planétaire et propulsé Killing Joke au rang de superstar, en grande partie grâce au charme irrésistible de "Love Like Blood" qui sonnait presque comme l'alter ego plus lourd des meilleurs tubes de U2 de l'époque! Sur sa lancée, le groupe a ensuite rapidement enchainé avec Brighter Than A Thousand Suns en 1986, qui amplifiait le côté synthpop amené sur Night Time. Cependant, malgré sa grande qualité, ce disque n'a pas reçu pas le même accueil, aussi bien populaire que critique, et des tensions ont ainsi commencé à apparaitre au sein de la bande. En 1987, les deux têtes pensantes Jaz Coleman et Geordie Walker entament un nouveau projet, originellement pensé comme parallèle à Killing Joke, et destiné à approfondir les sonorités synthpop des deux précédents disques, avec une approche plus mystico-expérimentale. Si le projet inclut au départ le bassiste Paul Raven et le batteur Paul Ferguson, ces derniers s'en écartent vite en raison des nombreuses disputes durant l'enregistrement. Aucune des pistes de batterie de Ferguson ne sera gardée, tandis que les pistes de basse de Raven le seront mais sans le créditer (à sa demande). Les sessions studios sont bouclées en aout 1987, mais des réenregistrements divers et variés sont progressivement ajoutés aux morceaux durant les mois suivants, ce qui retarde la sortie de l'album. Baptisé Outside The Gate, ce disque finit par sortir en juin 1988, et porte bien le nom de Killing Joke bien qu'originellement conçu comme un projet parallèle.

Autant le dire tout de suite, malgré les conditions houleuses dans lesquelles il a été enregistré, Outside The Gate est proprement génial! America ouvre les hostilités sur un ton plus tubesque que jamais, sorte de hard FM new wavisant rempli de riffs et de claviers séduisants, et doté d'un refrain hymnesque irrésistible où Coleman alterne à merveille entre chant post-punk élégant et cris presque gutturaux, ça commence très fort! Dans un registre similaire mais avec un tempo plus rapide, Obsession fait encore mieux et s'impose comme l'un des titres les plus addictifs de tout le répertoire du groupe! Originellement écrit pour Brighter Than a Thousand Suns, ce titre a tout du classique ultime, des mélodies entêtantes, un refrain épique, une personnalité unique, et une énergie redoutable qui prouve que même en intégrant des synthétiseurs, Killing Joke n'a rien perdu de sa rage punk, incompréhensible qu'un bijou pareil n'ait pas récolté plus de succès! Le groupe se permet même une petite incursion en territoires funk rock hip-hopisés avec "Stay One Jump Ahead", et se montre particulièrement adroit dans ce registre, offrant une véritable leçon de groove et de rage urbaine!

Mais Outside The Gate n'est pas seulement une machine à tubes surpuissants, c'est aussi et surtout un disque expérimental et mystique, gorgé de titres plus étranges et psychédéliques! Ainsi, comment ne pas se laisser charmer par les mélodies à la fois déroutantes et sublimes de "Unto The Ends Of The World", "The Calling", "Tiahuanaco" ou le morceau-titre "Outside The Gate", véritables monuments de beauté entre attrait synthpop, rêves acidulés et post-punk alambiqué! En plus d'une richesse musicale incroyable, ces titres montrent à quel point le chant de Coleman est complet, capable d'alterner entre douceur new wave séduisante et âpreté plus punk, et véhiculant ainsi une gamme incroyable d'émotions! Moment synthpop plus épuré, "My Love Of This Land" rappelle, à l'instar d'"A Southern Sky" sur l'album précédent, que Killing Joke sait aussi faire de la belle pop charmeuse et touchante, une teinte de plus à ajouter à l'immense palette sonore du groupe!

Enregistré dans des conditions chaotiques, massacré par les critiques et boudé par le public à sa sortie, Outside The Gate a tout du faux-pas à oublier, et c'est encore comme ça qu'il est perçu par certains fans et même membres du groupe eux-mêmes. Et pourtant, ce disque est juste colossal, poursuivant la direction synthpop tracée par "Brighter Than A Thousand Suns" mais avec une touche expérimentale qui le rend à la fois plus intéressant et plus difficile d'accès, mais aussi une dose de muscle qui a accouché de tubes dévastateurs qui auraient mérité un meilleur sort.

L'ambiance délétère et les ventes catastrophiques vont cependant plonger Killing Joke au bord de la rupture. Le groupe est ainsi renvoyé du label Virgin quelques temps après la sortie de l'album, et ne le promouvra même pas par une tournée, cherchant à vite tourner la page. Après une période d'instabilité, Jaz Coleman et Geordie Walker rappelleront le bassiste Paul Raven et recruteront l'ex-batteur de Public Image Ltd Martin Atkins, également impliqué chez Ministry à l'époque. Ce nouveau Killing Joke signera un retour fracassant au post-punk indus métallisant de leurs débuts avec Extremities, Dirt And Various Repressed Emotions en 1990, attirant alors vers eux un public plus jeune et amateur de metal industriel, un courant qu'ils ont profondément influencé.
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Mohamed Kaseb

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