Interview | BIOLLANTE (Trap Metal / Dark Hip-Hop - France) collectif composé de NON SERVIAM et GOBSCREW



Fort de l'influence de groupes tels que Death Grips, IC3PEAK, Swans, Atari Teenage Riot, Techno Animal, The Bug ou Scorn, Biollante naît en 2020 comme un side-project du collectif anonyme de Black Metal/Indus/Baroque parisien Non Serviam dans l'urgence immédiate de la composition d'une chanson à offrir à un ami récemment incarcéré (« Le monde me revient crié »). Un morceau qui associe toutes celles et tous ceux (une douzaine de personnes) qui ont alors voulu exprimer leur solidarité dans un genre qui échappait jusque là de fait à l'éclectisme du collectif : le Hip Hop, dans son expression la plus sombre et industrielle.

La collaboration avec, entres autres, un jeune collectif de rappeurs, le Gobscrew, se poursuit jusqu'à composer un premier album et constituer un groupe-kaiju aux limites des genres, on y retrouve de la guitare et des claviers, mais aussi de la harpe, du clavecin, des samples d'une vérité terrible, des rythmiques complexes, de la poésie et du chant sous toutes ses formes, et toujours une unité de composition électro qui laisse la place au flow des rappeurs sans craindre les croisements, les chevauchements et les ruptures de styles. Biollante s'attache à aborder, en français dans le texte, des sujets aussi difficiles et complexes que le suicide des enfants, la révolte et le soin, les maladies mentales, la prison et l'enfermement.

Ce qui constitue ces éléments dégenrés en ensemble cohérent, c'est Biollante, ce kaijū qui allégorise les plaies de l'existant, les pense et les panse en détruisant le monde, et dont les métamorphoses, tour à tour rose épanouie ou smog toxique, métabolisent les passions qui emplissent ce monde.

___________________________

Pouvez-vous présenter Biollante ?

Void : Biollante est un projet collaboratif et protéiforme qui réunit des membres de Non Serviam et des membres d'un collectif de jeunes rappeurs, le Gobscrew, ainsi que d'autres contributeurs plus ponctuels. Tout a commencé par la composition d'une chanson (« Le Monde me revient crié ») composée en 24h à une quinzaine de mains, avec le matos et les méthodes de Non Serviam, pour exprimer notre solidarité avec un membre du Gobscrew - alors incarcéré à Fleury-Merogis pour avoir voulu se taper avec les racistes de Génération Identitaire à l'occasion d'une contre-manifestation avortée préventivement par la police. On lui a laissé une place pour qu'à sa sortie il puisse y poser son couplet. Puis c'est face à l'enthousiasme suscité autour de nous et parmi nous par ce morceau que plusieurs autres sont nés, jusqu'à devenir cet album.

Tangs : On était en train de mixer notre premier album En roue libre quand l'un d'entre nous s'est retrouvé en détention préventive, et on a suivi la proposition de Non Serviam. Le morceau s'est fait très vite, à l'opposé de nos méthodes d'enregistrement habituelles, ce qui était à la fois déroutant et stimulant. Ça a été assez naturel de ne pas s'arrêter là, de faire d'autres morceaux et de voir aboutir ce projet commun sous la forme d'un album.

Comment vous êtes vous rencontrés ?

Void : On s'est tous plus ou moins rencontrés dans des cadres extra-musicaux. Mouvements sociaux, occupations, activités révolutionnaires, etc. La musique est arrivée plus tard entre nous.

Moon : La rencontre dans la vraie vie aurait pu ne pas donner de rencontre musicale, vu qu'on était dans des genres très différents, avec éventuellement un peu de méfiance pour le metal chez certains du Gobscrew et peu d'attrait pour le rap du côté de Non Serviam, et on peut vraiment dire que c'est le fait de faire cette première chanson, puis l'album, qui a transformé les relations qu'on pouvait avoir par ailleurs en une rencontre musicale qui a fonctionné.



Pourquoi choisir le Kaijū Biollante pour vous définir ?

Void : Parce qu'il est destructeur, parce que c'est un Kaijū qui venge, parce qu’il est magnifique et dégueulasse. Il a plusieurs phases de transformation, il peut aussi bien être une rose rouge qu'un nuage de pollution mortellement toxique, comme notre musique.

Toinz : Biollante est une fleur et un monstre, les deux, pas un compris entre les deux, donc à la fois la destruction et l'éclosion. Ça me fait penser que le processus de faire un EP commun, c'est pas un compromis entre deux genres, c'est chercher à mettre ensemble ce qui est beau et puissant dans les deux univers.



On remarque une importance des samples dans votre musique - qui me rappellent Decline of the I - comment les choisissez vous ?

Void : Ça fait des années que j'enregistre et que je stocke des extraits audios d'archives documentaires ou fictionnelles dans le but de les utiliser dans des morceaux de Non Serviam, ou bien de composer des morceaux autour d'eux (comme ce fut le cas par exemple avec le morceau "Passionnément", composé autour d'une déclamation poétique psychotique de Gherasim Luca, ou bien "S'Evaporer", composé autour de documents de sémiologie psychiatrique de l'après-guerre sur la dépression et les maladies mentales). Dans Biollante les samples sont très variés, le « ça pue l'humain » qui revient pendant tout le morceau "Penser les plaies" vient de Princesse Mononoké, par exemple, alors que les samples de « Pourquoi Pas » proviennent eux, en partie, d'un reportage d'Antenne 2 des années soixante sur le suicide chez les enfants et les jeunes adultes, question qui traverse toute notre musique. Mais il y a aussi des samples purement musicaux, par exemple dans "Trigger Warming" on a samplé le groupe His Hero Is Gone, qui a été très important dans ma construction musicale. Mais je préfère laisser les auditeurs trouver les samples et éventuellement leurs origines tout seuls.

Comment les équilibrer avec la musique et le chant ?

Void : Pour les samples musicaux, ça se fait tout seul, sans aucune règles, au feeling, à comment ça sonne.

Moon : Tous les samples sont des déplacements qui font autre chose du son d'origine, mais pour les samples vocaux, c'est particulièrement intéressant d'entendre ce que l'intégration à une trame musicale peut apporter, par exemple le très long sample de "Pourquoi Pas", ou celui de "ビオランテ 花獣形態", dans lesquels des personnes reviennent sur des moments très durs de leur vie, des moments de crise, de volonté de mourir. Je trouve que la musique apporte une continuité d'écoute, une cohérence, solennise en quelque sorte la parole, l'inscrit dans quelque chose qui la conserve et contribue à faire entendre sa singularité.

Ases : on adore sampler, on sample tout le temps. Le sample verbal et le sample musical sont tous les deux très intéressants, et ça fait partie de ce qui nous plaît dans le rap, dans Non Serviam, et plus précisément aussi dans les propositions d'instrus qui ont été faites au Gobscrew.

Sur la musique comment mêlez vous influences Black Metal - au sens large - (de Non Serviam) et Hip-Hop (de Gobscrew) ?

Void : Sans se poser de questions à vrai dire, chacun apporte ce qu'il sait faire de mieux et on le module expérimentalement pour obtenir le résultat le plus brutal et sincère possible. Selon toute évidence à aucun moment on s'est dit qu'on allait faire du « rap-metal » paritaire à 50/50 ou quoi que ce soit de ce genre comme ont dû se dire Aerosmith/Run DMC ou Limp Bizkit avant de nous casser les oreilles avec leur soupe à consommateurs.

Tinvz : Effectivement la question de comment le mélange se ferait ne s'est pas posée, on l'a juste fait. Si des questions se sont posées, c'est sur comment on fait, comment les textes sont écrits, posés, comment on enregistre, comment on fait ce qu'on est en train de faire, pas qu'est-ce qu'on est en train de faire. On n'a pas cherché à définir comment les genres se croiseraient, on s'est pas demandé si c'était assez hip hop ou assez black metal, si c'était assez true ou assez street. C'est de la musique, elle est belle, elle nous plaît et on espère qu'elle vous plaira aussi.


Comment mêlez-vous révolte et atmosphère anxiogène ?

Void : Oh ben c'est pas très dur quand ça définit ton quotidien voire toute ta vie...

Ases : Les hippies, c'est fini, la Zulu nation et leur passion du développement personnel nous angoissent, le monde est inhabitable, il faut s'en rendre compte, la rage, c'est pas de la morale, c'est pas être en communion avec le monde, son quartier, ses voisins. Nous on veut pas construire des voitures et les vendre, comme certains rappeurs aiment à le dire, on veut les brûler. Alors l’atmosphère anxiogène produit la révolte, si on veut pas s'installer dans le confort proposé par ce monde. C'est un constat réaliste, ni pessimiste, ni optimiste, c'est comme ça.

Dans le Metal et surtout le Black Metal, on remarque plusieurs prises de position de gauche ces derniers temps, mais la scène reste profondément attachée au discours « apolitique », qu’en pensez-vous ? Et comment ça se passe dans la scène hip-hop ?

Moon : Quand tu dis « apolitique », tu veux dire dans le sens « facho » de « apolitique » ? Parce que très vite, c'est ça la question dans la scène metal. Pendant qu'on fait de la musique en étant anti fascistes, nombreux sont ceux qui en font en étant fascistes, et nombreux sont ceux qui les écoute en étant complaisants avec leur propagande nazie. Alors tant mieux si quelque chose se constitue par exemple autour du réseau ABMN pour retourner la violence intrinsèque de cette musique contre ceux qui s'en servent pour défendre leur patrie, leurs runes à la con, ou leurs traditions bretonnes.

Void : Quand j’entends le mot « apolitique » dans le black metal j'ai envie d'aller pisser sur les tombes de Goebbels et Gramsci.

Tinvz : Dans le rap, les positions « apolitiques » sont soit cyniquement capitalisme, avec l'éloge de la réussite, du fric, etc, soit crypto-réactionnaires sur la base de la défense de valeurs familiales et religieuses. Il y a effectivement une scène historique de rap « de gauche » dont certains aspects ont pu être subversifs, comme NTM avec « Qu'est-ce qu'on attend pour foutre le feu », mais, si on cherche de la révolte aujourd'hui dans le rap, c'est pas du côté du rap de gauche ou du rap dit « conscient » qu'on va la trouver parce qu'il porte des valeurs d'intégration à ce monde. Si on la trouve c'est plutôt chez des rappeurs qui cherchent pas avant tout à donner des leçons mais plutôt à dire ce qui les fait bouillir, ce qui les fait pleurer, ce qui les fait crier, c'est-à-dire plus chez des Lunatic, Sheldon ou Sinik, que chez Keny Arkana, Kery James ou Médine.


Toinz : C'est pour ça que nous on a choisi de raconter une histoire d'enfants dans l'espace qui veulent tuer des rois et faire des émeutes, et on fait pas la morale.

Vous abordez des thèmes sociétaux durs et importants. Comment s’imposent-ils ?

Void : Comme ça, en s'imposant.

Moon : si tu veux que la musique n'évolue pas dans un monde éthéré et abstrait, si tu veux qu'elle contienne ce qui traverse la réalité de ce monde, ces thèmes s'imposent, effectivement.

Tangs : D'accord avec Void et Moon, comme pour les genres musicaux, c'est pas des décisions prises abstraitement, effectivement, ça s'impose, regarder à côté ce serait comme une lâcheté.

Le chant en français est-il important ? Comment s’est fait ce choix ?

Ases : On rappe dans la langue qu'on parle, et dans laquelle on est le plus à l'aise pour écrire, mais effectivement, on n'a pas appris d'autres langues, on n'était pas assez bons à l'école, on a fait russe et chinois en LV2, et tout ce qu'on sait dire c'est « désolés d'être en retard » et « je n'ai pas compris la question », on pourrait dire que c'est la faute du système éducatif français du coup, mais ce serait complètement déresponsabilisant. On n'a pas fait non plus de stages Wall street english, alors en attendant, on rappe en français.

Void : Le chant/rap en français n'a aucune importance pour nous, on est en aucun cas des représentants de la francophonie ou je ne sais quelle autre connerie de groupes subventionnés. On en a sincèrement rien à foutre. Les rappeurs de Biollante ne sont pas en mesure de rapper dans d'autres langues pour le moment, sinon j'aurais exploité la possibilité. Puis Biollante est ouvert à des collaborations avec des rappeurs de toutes sortes et de toutes langues.


Pourquoi le titre du premier morceau est-il en anglais et le l'avant dernier en japonais ? C’est intriguant.

Void : "ビオランテ 花獣形態" (Biorante Kajū Keitai), c'est l'une des phases de transformation de Biollante dans le Godzilla vs Biollante de 1989 (un petit chef d’œuvre du genre qu'on conseille à tout le monde de regarder), celle où il se transforme en rose géante. Encore une fois pas de raisons particulières pour l’utilisation de telle ou telle langue, a part le fait de penser et pouvoir s'exprimer avec, pour le français et l'anglais, et pour ce dernier morceau de faire un clin d’œil à nos auditeurs japonais (qu'on apprécie tout particulièrement) et aux fanatiques de Kaijū dont je suis.

Un dernier mot pour la fin ?

Moon & Void : Feu aux prisons, à l'amour qui ne brûle pas et aux pyramides ensablées ! Merci pour vos questions et pour la qualité et la continuité de Scholomance.

Gobscrew : Ce n'est que le début, il n'y a aucune raison d'arrêter de faire ce qui nous plaît.
___________________________
Questions : Morgan

Commentaires