Article | Des SEX PISTOLS à PUBLIC IMAGE, l'année où John Lydon a viré post-punk


Janvier 1978, fatigué par les excès de Sid Vicious et les conflits permanents avec Steve Jones et Paul Cook, Johnny Rotten quitte les Sex Pistols, signant ainsi la fin brutale d’un groupe qui avait mis le monde du rock en émoi quelques mois auparavant avec son incontournable Nevermind The Bollocks. Désireux de définitivement tourner la page, Rotten abandonne également son nom de scène au profit de son patronyme d’origine, John Lydon : une nouvelle ère commence. Malgré son aversion pour Pink Floyd et l’obsession de plusieurs journalistes à opposer la vague punk 77 au rock progressif, Lydon n’a jamais été anti-prog, il était au contraire un grand admirateur des groupes prog expérimentaux comme Captain Beefheart ou Van Der Graaf Generator, mais aussi du kommisch allemand de Neu et Can ou encore du zeuhl français de Magma, et cela, bien qu’il n’ait jamais pu exploiter ce versant de ses goûts musicaux au sein des Pistols, à son grand regret (quelques-uns de ses conflits avec ses ex-camarades sont d’ailleurs liés à ça). Également grand consommateur de dub et de reggae, il aspire désormais à fonder le groupe qui lui offrira la liberté artistique dont il rêve.

Lydon forme ainsi le groupe Public Image en mai 1978, aux côtés d’un ami de longue date, le bassiste John Wardle, alias Jah Wobble, avec qui il partage une grande partie de ses goûts musicaux, ainsi que de l’ancien guitariste de The Clash, le tout aussi éclectique Keith Levene, qui, quelques années auparavant avait travaillé comme roadie pour l’un de ses groupes favoris… Yes! Une preuve de plus que l’opposition punk-prog était plus une affaire de journalistes sensationnalistes qu’une réalité artistique. Les trois hommes sont rejoints par le batteur canadien Jim Walker, recruté via une annonce sur Melody Maker, et ensemble ils enregistrent le premier album de ce nouveau groupe, qui sort en décembre 1978, sous le nom de Public Image: First Issue. Entre temps, le contexte a fortement évolué, la scène punk originelle s’est disloquée en plusieurs tendances, certaines plus travaillées et moins brutes, regroupées collectivement sous le terme « post-punk », et d’autres choisissant au contraire d’amplifier la brutalité de leur musique, le futur « punk hardcore ». On pouvait alors se demander laquelle de ces voies Lydon et sa bande allaient emprunter.

Le premier morceau "Theme" donne immédiatement la réponse : toutes et aucune à la fois. L’apport du rock progressif rend la musique plus sophistiquée que le punk basique, la rapprochant du courant post-punk, mais avec une abrasivité et une violence significativement augmentées. Contrairement au punk hardcore, point question de tempo à 100 à l’heure martelé pendant moins d’une minute, "Theme" est un titre au rythme lent, lourd, oppressant. Ses riffs sont hypnotiques, lancinants et le chant de Lydon se montre comme possédé, alternant les cris aliénés et les grognements extrêmes, à la limite du chant death metal, le tout sur plus de 9 minutes : quelle claque et quelle créativité, on croirait déjà entendre du Amebix ou du Neurosis avant l’heure ! Et ça continue sur la même ligne avec le déroutant "Religion", critique acerbe du christianisme, menée par les riffs dérangés de Keith Levene, les lignes de basse terrifiantes de Jah Wobble et le chant plus martial de John Lydon ; un nouveau bijou qui annonce très nettement les mouvances les plus abrasives du post-punk, ainsi que le rock alternatif ou le rock industriel. Killing Joke et Ministry ne sont pas loin ! L’album contient cependant des titres moins expérimentaux et plus "rock", renouant avec la spontanéité du punk, mais avec une élégance nouvelle. C’est notamment le cas du tube "Public Image" et de son refrain hyper accrocheur, dont l’impact sur le rock des années 80 est nettement perceptible (en particulier sur les premiers U2). Le dernier titre "Fodderstrompf" et son délire funk-komisch-dub, n’a certes pas fait l’unanimité à l’époque au sein du groupe, mais se révèle particulièrement captivant quand on rentre dedans, en plus de mettre un pied dans un territoire qui sera davantage exploité sur l’album suivant, Metal Box.

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Ce premier album de Public Image est donc une franche réussite à tous les niveaux. John Lydon a atteint ses deux principaux objectifs, à savoir tourner la page Sex Pistols et jouer une musique moins limitée, plus en phase avec son goût pour les expériences. Et il a su pour cela s’entourer intelligemment. Comment en effet, ne pas saluer la prestation du guitariste Keith Levene, dont le jeu unique et original aura un impact considérable sur le jeu d’autres guitaristes comme Geordie Walker ou The Edge, dans les années à venir. La section rythmique Jah Wobble-Jim Walker s’est également montrée inspirée, jouant un rôle immense dans l'atmosphère de l’album, en particulier sur la face A, Jah Wobble offrant également quelques lignes de basse bien groovy dans la face B.

Descendu, voire carrément massacré à l’époque, par une presse spécialisée qui n’y a pas compris grand chose, First Issue finira par être réhabilité par cette même presse lorsqu’elle se rendra compte de son impact sur presque tous les courants rock de la décennie suivante et même celle qui la suivra ; un couplet qui est souvent revenu dans cette rubrique ! Débordant d’idées, Public Image n’en restera cependant pas là. Si First Issue bousculait déjà pas mal de lignes, ce n’était que le début et le groupe réservait encore bien des surprises, à commencer par le légendaire second album, Metal Box, qui poussera encore plus loin les expérimentations et laissera une empreinte indélébile dans la musique des décennies suivantes.


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Auteur : Mohamed Kaseb
Dessin : Antoine B.

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