Chronique | SILHOUETTE - Les Retranchements (Album, 2022)


Silhouette - Les Retranchements (Album, 2022)

Tracklist :

01. Ascension - 01:58
02. La première neige - 06:20
03. Au seuil de l'oubli - 05:35
04. Interlude - 02:24
05. Les entranchements - 05:14
06. L'étreinte de la chute - 07:38
07. Outro - 02:29

Streaming intégral :

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En préambule je dirais que Les Retranchements, de Silhouette divise, car son parti-pris est assumé ; le chant féminin y occupe une large part et ce n’est pas au goût de tous les amateurs de black metal. Moi j’y ai été sensible, car les émotions portées par l’album, son atmosphère poétique, résonnent profondément en moi.

De cet EP émane une ambiance emplie de dualité. L’auditeur plonge dans une profondeur éthérée, au cœur d’une intime froideur, tantôt bercé, tantôt secoué par la douceur violente de la vie. La délicatesse se mêle au viscéral, dans une danse organique qui marie avec fluidité ces antagonistes. Cette dualité contrastée évoque l’éternel motif de la jeune fille et de la mort. La musique semble célébrer un triste mariage alchimique, où l’œuvre au noir serait indépassable. Le splendide artwork de la pochette accompagne si bien l’écoute, que l’on se laissera volontiers prendre au piège de cette mélancolie, celle-là même qui terrasse la femme à genoux, incapable de s’élever, ou même de lever les yeux vers l’or du jour. Captive des ombres, enrobée de voiles blancs, sa candeur pourtant laisse penser qu’une certaine lumière vit en elle.

La voix occupe une place prépondérante dans l’EP et n’omet pas de tisser sa trame de l’intro jusqu’à l’outro. Le chant clair d’Ondine, omniprésent, opère une mise à nu délicate, que vient par instant balancer le chant saturé de Yharnam, dans son énergie sombre, viscérale et primale. Les émotions sont au cœur du projet et c’est bien ce qui pourrait déplaire à certaines personnes. Elles sont assumées, palpables, elles touchent à l’intime et illustrent avec courage leur vulnérabilité. On décèle dans la froideur enchanteresse du chant féminin le sourire amer du désespoir. Le timbre est riche, brillant comme un collier de perles d’eau, dont la nacre tirerait vers le vieux rose. La reverb ne retire rien à cette personnalité, elle confère au chant une aura hors du temps, éternelle et mortuaire, comme une couronne de fleurs séchées. Les mélodies surannées ne cessent de danser en vibrantes modulations. Ces élégantes dégringolades évoqueraient presque les battements d’ailes d’un oiseau, que le ciel condamnerait à voler loin de ses hautes sphères.

La tristesse, dans sa noirceur mélancolique, dans ses rayons pâles et nostalgiques, est l’émotion centrale de l’album. Elle laisse présager un rapport particulier au temps et à la mort. L’aura désuète me rappelle l’origine de la photographie, où les morts furent parfois immortalisés. La mort respire dans chacun des morceaux : elle n’abandonne personne, contrairement à la vie. Et la lumière filtre comme les dernières lueurs d’un soleil mourant, que bouche l’horizon… La recherche d’élévation semble vaine et le sentiment d’abandon à son sort invoque une froide résignation. La transcendance, impossible dans cette douleur qui rend captif, est atteinte malgré tout par la sublimation. Face à la chape de plomb de la fatalité, du temps qui passe, de la mort qui guette, la beauté des ténèbres est révélée dans sa subtilité, rendant la situation plus supportable. En ce sens, la démarche me rappelle la sombre poésie du mouvement gothique, d’inspiration victorienne.

L’EP se clôt à la façon d’un voile qui s’évanouit. Pour moi cette fin appelle un autre commencement, comme si cette écoute était un premier seuil à franchir, avant la suite, qui je l’espère sera tout aussi délicieuse que ce premier opus.
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Iviche

Commentaires

  1. Un très très bel album. Et cette chronique le décrit parfaitement

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