Chronique | OWL CAVE - Broken Speech (Album, 2021)


Owl Cave - Broken Speech (Album, 2021)

Tracklist :

01. Broken Speech - 43:09

Streaming intégral :

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Premier opus du projet solo Owl Cave, Broken Speech n’offre aucun compromis. Une piste unique de 43 minutes compose l’album, laissant vaine toute tentative de le découper et invitant à prendre part à un voyage complet et immersif. La chevauchée se montre sombre, enivrante et variée. C’est ça ou rien. Soit l’auditeur se laisse complètement aspirer, porter, envahir, soit il passe son chemin.

Le jeu des polarités

Ce qu’il en ressort, ce sont de nombreuses « bipolarités », qui au lieu de s’opposer, s’entremêlent savamment. Ainsi des atmosphères sordides et urbaines côtoient un esprit plus primitif et tribal. On ne sait pas non plus si on a froid ou si on a chaud. Le grain saturé et la lourdeur des instruments offre un côté chaud et terreux, proche du sludge, à l’image de l’artwork réalisé par Dehn Sora (Throane) où l’on imagine une armée d’insectes grouillants jaillir de terre. Les explosions de violence qui parsèment l’œuvre ont quelque chose de chaud également, de sanguin. En même temps on observe une certaine froideur « impersonnelle », fille d’un destin implacable et funeste. Le traitement des voix comme matière sonore pure et non comme vecteur d’un message compréhensible, participe à cette sensation de froideur, qui renvoie à l’anonymat du projet. On ne saurait pas non plus se placer entre l’échelle individuelle - viscérale - et collective – fourmillante.

Les luttes intestines

Il y a deux concepts qui traversent tout l’album et qui lient ces apparentes oppositions. Le premier est celui de chaos organique. Dans cette musique, qui semble sortie d’entrailles tourmentées, les riffs lancinants, presque psychédéliques dans leurs dissonances répétitives, nous emportent dans une spirale infernale aspirante et descendante. Ce qui renvoie au corps de l’individu, à ses divers fluides, mais aussi à la composante organique du corps social. Cela nous mène au deuxième concept, épidermique, qui fait l’unité de l’album : la guerre.

La violence d’un dialogue rompu

Ce discours morcelé « Broken Speech » semble aboutir à l’impossibilité du dialogue et donc à la révolte, à la violence et à la guerre. Cette dimension guerrière est également accompagnée d’une dimension spirituelle, nous renvoyant aux origines de l’humanité, où le fait guerrier est ritualisé et soutenu par le monde divin. Au milieu de l’album, quand les tambours tribaux interviennent, on ne saurait affirmer clairement si la visée est plutôt spirituelle ou guerrière.

La violence de l’œuvre tient beaucoup à sa structure et à son rythme. Les transitions entre les différents paysages sonores sont si abruptes, qu’il nous semble assister à la projection d’une succession de diapositives. Les tableaux et les rythmes alternent entre calme, tension et explosion, entre montée en intensité et surtout descente hypnotique.

Mais la violence tient aussi à l’ampleur massive du son. Grâce à un travail complet de la texture sonore, toutes les fréquences sont utilisées et se complètent en superpositions, offrant à l’œuvre un caractère monolithique et une imposante profondeur. Les riffs sont souvent balancés et lourds, ils semblent provenir de quelques profondeurs organiques pour éclater à la surface. Ce va et vient renforce l’ampleur et la violence du son. La densité musicale dialogue aussi avec des moments de quasi-silence des plus épurés. Ce contraste est un nouvel ingrédient qui vient amplifier la puissance des éclats de colère.

Genèse et aboutissement d’une incapacité à s’exprimer

Il y a un dernier couple contradictoire qui transpire dans l’œuvre et qu’il faudrait souligner : la détermination et l’implacable destin, ou la « puissance impuissante ». L’énergie qui se dégage de l’album est réelle, mais atteint-t-elle son but ? N’est-elle pas contrainte de se transformer en rage muette, à défaut de pouvoir aboutir à un sain compromis ? Ainsi, la détermination qui s’exprime dans la colère semble impuissante face à l’implacable marche du monde. Aussi semble-t-elle naître d’une incapacité à s’exprimer. Serait-ce le signe que le cercle vicieux se referme sur lui-même ? Cette atmosphère pesante, obscure et viscérale semble indiquer que cette incapacité à procéder à la réconciliation et à l’apaisement est bien réelle. Et pourtant, la fin de l’album, plus lumineuse, dénote. Elle dénote en apportant une touche d’espoir inattendue, presque étrange, quand on s’était habitué à survivre dans les abîmes d’une écoute intense.

Conclusion

C’est une belle expérience que de plonger dans cet album de bout en bout. On ne peut que noter la qualité et l’aboutissement de ce premier opus. Pour ma part, je serais curieuse de voir ce que cela donnerait en concert, si le projet est porté sur scène. Si vous voulez en savoir plus sur le processus de création de cette œuvre, vous pouvez retrouver l’interview de S. pour Scholomance. On attend la suite avec impatiente.
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Iviche



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