Article | L'origine et le développement de la musique extrême au Vietnam

Le Vietnam, petit pays de l'Asie du sud-est qui semble être très effacé sur la scène rock et metal mondiale. Même quand on évoque le metal asiatique, il est plus aisé de citer des mastodontes japonais et chinois, ou encore les taïwanais de Chthonic : les groupes vietnamiens semblent avoir de la peine à s'exporter. Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir une scène nationale actuelle assez dynamique et en pleine expansion. Cette scène est comme l'économie du pays, elle est encore en voie de développement, ou plus exactement elle est en voie de redéveloppement puisqu'elle a connu un plein essor dans les années 60 et 70, mais vite stoppé à cause des événements politiques que subissait le pays. Elle s'est presque éteinte après la réunification du nord et du sud vietnamien en 1975 ; heureusement, le feu n'est pas complètement mort, la scène s'est ravivée dès les années 90 avec la formation de nouveaux groupes qui tentent tant bien que mal de jouer et diffuser cette musique.
Quand on parle de "scène metal" au Vietnam, il y a une chos qu'il faut prendre en compte, c'est l'héritage rock et psychédélique anglo-saxon dont elle est dotée. De plus, actuellement, on peut parler d'une scène relativement jeune avec peu ou pas du tout de groupes dits de metal extrême qui en vivent professionnellement. 

Le paysage du rock au Vietnam avant 1975.

Pour comprendre le développement de la scène et les tendances musicales des groupes qui ont du succès grand public aujourd'hui dans le pays, il faut remonter le temps vers la fin des années 50, début 60s, où la musique populaire vietnamienne commençait à prendre forme dans le sud du pays. Cette partie du Vietnam spécifiquement parce qu'à l'époque, la musique pop et folk existaient uniquement dans le sud et était fortement influencée par les classiques français à cause de la présence de ces derniers sur le sol vietnamien avec la colonisation. Ailleurs, la musique traditionnelle primait toujours ; et pour les grandes villes, ceux qui avaient accès à la musique dits "européenne", c'est à dire les étudiants et intellectuels, préfèreraient la musique de chambre. Il existait aussi la musique dite "nationaliste" qui se pratiquait dans le nord avec les chansons dédiées à la gloire du travail, de la classe ouvrière et du PC.
A cette époque là, les premiers groupes qui se formaient étaient des groupes de jeunes étudiants de familles aisées, qui avaient accès aux cassettes et aux partitions importées depuis la France. C'étaient des jeunes qui s'ennuyaient face aux invariables mélodies de la musique traditionnelle et folk qu'écoutaient leur parents, ces mélodies lentes et lancinantes, les jeux de scène et la structure conversationnelle de la musique traditionnelle vietnamienne ne les touchaient plus ; ils aspiraient à des mélodies plus vivantes, plus dynamiques et rapides, ils vont les trouver dans le rock et folk français importé à l'époque. Au début, ces étudiants faisaient principalement des reprises de chansons françaises.
Petit à petit, le mouvement se répandait dans d'autres pans de la société et on commençait à voir arriver des musiciens et chanteurs issus d'autres classes sociales. On notera aussi l'existence de groupes formés par les membres d'une même famille, souvent des familles de musiciens ou de compositeurs, où frères et sœurs partageaient différents rôles dans le groupe. D'ailleurs, ces groupes faisaient partie des premiers à traduire ou à adapter les paroles français (ou anglais plus tard) en vietnamien pour les rendre plus accessibles aux grands publics. Ces groupes se produisaient la plupart du temps dans les concerts et festivals organisés par les universités ou des écoles françaises comme l'école Taberd (école/lycée avec classes préparatoires, fondée par les missionnaires, visant à préparer les bacheliers ou étudiants à partir étudier dans les universités à l'étranger) qui était le pionnier des festivals de musique étudiants, ou dans les maisons culturelles comme Le Cercle Sportif Saïgonnais.

Même après le départ des troupes françaises en 1954, l'influence de la musique française reste très ancrée dans la vie culturelle et musicale des vietnamiens du sud. Hormis les classiques de la chanson française, très aimés par la population qui adore la variété, leurs mélodies douces et romantiques, la musique des groupes comme Les Chaussettes Noires, Les Chats Sauvages, Les Aristocrates, ou encore Danny Boy et ses Pénitents, etc., faisaient partie intégrante du registre de reprise de nombreux groupes de rock vietnamiens de l'époque. Les groupes continuent de jouer de la musique française, ils sont français jusqu'au nom du groupe, comme Les Fanatiques, les Pénitents ou encore Les Vampires
À partir de 1961, les troupes U.S. débarquaient au Vietnam du sud et amenaient avec elles la musique rock et psychédélique outre Pacifique, qui vont très vite devenir populaires auprès de la jeunesse. Pour autant, ce n'était pas gagné d'avance parce que les intellectuels et étudiants de l'époque, qui constituaient le noyau et le moteur de la scène culturelle/musicale du sud, considéraient la culture américaine comme une culture matérialiste avec des manières grossières. Ils continuaient donc à jouer du rock français dans leurs écoles ou des clubs culturels comme une manière de protester contre cette nouvelle mode musicale qu'ils considéraient comme vulgaire.
En deux ans, les États-uniens, de plus en plus nombreux sur place, ont impulsé l'ouverture de nombreux bars, clubs et discothèques, les lieux de distraction pour soldats américains où il passait de la musique des Beattles, The Shadows, Elvis Presley, The Ventures, etc. Ces clubs invitaient les groupes à s'y produire live en leur payant un cachet, cela constituait un gain pour les groupes de l'époque et leur permettait, pour le coup, d'avoir une ouverture au rock anglo-saxon. A partir de ce moment, on commençait à voir apparaître les groupes plus orientés rock anglo-saxon tels que The Enterprise, CBC, The Soul, The Music Makers, The Dreamers ou Strawberry Four; même le groupe Les Vampires s'était rebaptisé The Rockin' Stars. De nombreux groupes recevaient même des "commandes" de la part des soldats, clients des bars, sur quels morceaux à la mode aux U.S. jouer. Certains fournissaient même des partitions aux groupes afin qu'ils apprennent à jouer ces chansons plébiscités outre Pacifique, selon les témoignages du groupe familial CBC.

En parallèle de ce bouillonnement, il faut noter, à partir de 1963, la naissance des festivals organisés par les théâtres/salles de concert (Quốc Thanh et Hưng Đạo) avec les chanteurs et groupes proposant à la fois des compositions de variété vietnamienne et les reprises de rock anglo-saxon. Ces festivals avaient lieu tous les dimanches matins et réunissaient surtout des auditeurs que les musiciens aimaient à qualifier de populaire car ils préfèrent les sonorités plus pop rock, twist, et folk, n'appréciant pas les mélodies plus lourdes, plus rapides et plus psychédéliques du hard rock naissant. 
Entre 1963 et 1974, Saigon avait sa propre festival de rock, initié par les étudiants de l'école Taberd dont Jo Marcel, Trường Kỳ, Nam Lộc, Tùng Giang, tous musiciens et auteur-compositeurs. A la base, ce festival avait pour but de célébrer le coup d'état du 1er Novembre 1963 (les généraux de la république, avec l'aide du gouvernement U.S., faisaient un coup d'état en assassinant le président en place et presque toute sa famille car le peuple et même au sein du gouvernement, on reprochait à son régime d'être trop dépendant du protectorat U.S.), mais dès la première édition, il avait été plébiscité par la population de partout dans la République du Vietnam (le sud) qu'on continuait de l'organiser tous les ans. Le festival atteignait son sommet en 1969-1970 avec les organisations plus professionnelles et de plus en plus grandes. Imprégné du rock, jazz, psychédélique, et en plein boom du mouvement hippy, le festival commençait, à partir de ce moment, à porter des messages de paix, et tous les revenus du festival sont reversés à un fond qui soutient les veuves et orphelins des soldats de la République du Vietnam, les groupes et musiciens participant au festival jouaient bénévolement dès lors. Avec un tel esprit, le festival est aussi très populaire auprès des soldats U.S., on parlait de Woodstock vietnamien et c'était l'événement musical le plus grand de l'Asie de l'époque, réunissant non seulement les musiciens vietnamiens venant de partout de la république, mais aussi ceux du Philippine, de la Thaïlande, de Hong Kong, Taiwan et naturellement, des Etats-Unis.


Les habitués de ces festivals étaient, pour la plupart, des groupes "pure" rock (au sens où ils ne font pas de la pop) comme The Peanuts Company, The Black Caps, The Rockin’ Stars, The Interprise, Les Pénitents, The Crazy Dog, CBC, etc. Parmi eux, les groupes The Rockin’ Stars et The Black Caps étaient considérés comme les premiers groupes de rock de Saigon tandis que les groupes The Peanuts Company et CBC étaient élus par le public les meilleurs groupes de rock de l'époque.


Avant de passer à la seconde partie, je souhaite m'attarder un peu plus sur le cas du groupe CBC, ce groupe qui a acquis une grande notoriété dans le milieu du rock de l'époque, malgré leurs jeunes âges, pour être considéré comme le meilleur groupe de rock de toute la république. Pourtant, ce n'est pas un groupe issu de la classe étudiante et intellectuelle mais c'est une fratrie d'une famille plutôt modeste (père cuisinier et mère employée de surface au bureau des marines U.S.), ils se démarquaient vraiment des groupes formées par des étudiants de familles aisées dont la maturité des membres permettent une meilleure compréhension des paroles et de la musique, ils se démarquaient aussi d'autres groupes familiales dont les membres peuvent constituer de mineurs, mais musicalement solides avec leur background familiale artistiquement fort comme The Dreamers (groupe avec une forte influence des Beatles) ou The Blue Jets
La formation du groupe dépendait beaucoup du soutien de leur mère, qui va être leur manager tout au long de leur carrière au Vietnam et qui a dépensé toute l'économie familiale pour acheter les instruments à ses enfants malgré le désaccord manifeste de leur père (il a déjà cassé la première guitare de Tùng Linh, lead guitariste du groupe) qui les voyait médecins ou avocats. Cette décision de la maman fut impulsée par le fait que les expériences en tant que chanteuse dans des discothèques des filles de la fratrie: Bích Loan et Bích Linh s'étaient mal passées. Elles se faisaient traiter de haut et exploitées par les patrons de discothèques tout en restant des chanteuses anonymes. 
CBC fut donc formé en 1962 avec uniquement 3 membres de la fratrie (ils sont 7 en tout) dont Tùng Linh 12 ans (lead guitare) Bích Loan 8 ans (chant) et Tùng Vân 6 ans (batterie) (ils seront rejoint en 1968 par Đức Hiền (bass) et Ngọc Hiền (rythme guitare), leur grande sœur Bích Linh interviendra de temps en temps pour chanter avec eux sur quelques morceaux). A cause du manque de moyen, les membres de CBC apprenaient à jouer principalement en autodidacte, à l'oreille. Bích Loan ne savait pas parler anglais à l'époque, elle chantait en suivant les transcriptions phonétiques des paroles en anglais, et Tùng Vân jouait debout derrière sa batterie, trop haut pour lui. Leur aîné, Ngọc Lân, les inscrivait à un concours de talent musical en 1963 et ils remportaient la première place, de là démarrait leur carrière du plus jeune groupe de rock vietnamien. Rapidement, ils conquéraient l'amour du publique et devenaient l'un des groupes les plus demandés dans les bars, discothèques et festivals organisés par les universités.


À l'époque, ils impressionnaient par leur jeu de scène extrêmement dynamique malgré leur jeune âge, et Bích Loan avec sa voix forte, cassée, avait un style impressionnant sur scène, tellement que les soldats la comparaient à Janis Joplin ou Grace Slick. Ils ne cessaient de s'améliorer avec le temps musicalement en apprenant sur scène et avec l'aide d'autres musiciens travaillant avec eux par la suite. 
Au printemps 1974, lors d'une tournée en Inde, ils ont profité du voyage pour y rester et demander l'asile à l'Australie mais leur demande a échoué. Ils demandaient donc l'asile aux U.S. et en 1975, le gouvernement U.S. leur accordait l'asile à Houston. À partir de cette date, CBC continue de se produire à l'étranger, partout où il y a une communauté vietnamienne assez grande qui les accueille. Ils ne sont plus spécialisés uniquement dans le rock et le rock psychédélique, ils chantent aussi la musique électronique et la golden musique qui est la musique romantique vietnamienne d'avant la guerre et le courant de musique romantique inspirant du boléro, du tango et du slow des années 1950-1975 dans le sud du Vietnam. Je vous invite à découvrir le groupe via 2 lives avant 1975.



Et une composition du groupe après leur départ du pays : "We're the Refugees".


Et pour finir, voici une compilation des compositions rock des années avant 1975 avec différents artistes de l'époque :


L'appropriation ou la "vietnamisation" du rock des années 70, 1er groupe de rock véritablement vietnamien, et le déclin après 1975.

Intéressons-nous un instant au fonctionnement et à la composition de ces groupes de rock des années 60 et 70 au Vietnam. Au tout début, la plupart des groupes se constituaient de musiciens et de chanteurs qui faisaient principalement des reprises, les chanteurs ne faisaient pas vraiment partie intégrante du groupe. Un même chanteur peut chanter dans plusieurs groupes et peut, quand il le décide, chanter en solo d'autres compositions en dehors de son activité avec le ou les groupes. D'ailleurs, la plupart finit même par mener une carrière de chanteur(euse) solo lorsque le mouvement commençait à faiblir.
Au fur et à mesure du développement de la musique et du goût grandissant du public pour la musique rock en elle même, on voit apparaître les groupes avec des musiciens compositeurs et auteurs, ou les groupes familiaux avec les parents compositeurs qui composaient pour eux (le cas de The Blue Jets ou The Dreamers dont les membres créateurs sont les enfants de l'auteur compositeur Phạm Duy; ses chansons sont restées célèbres auprès des vietnamiens du pays et d'expat's jusqu'à ce jour). Ces groupes ont commencé à composer quelques chansons, mais le peu de ces compositions personnelles avaient les paroles en anglais, premièrement parce que leur public principal reste les soldats U.S., ensuite, parce que dans l'esprit des vietnamiens, la musique rock avec ses mélodies joyeuses, rapides et parfois dissonantes ne porte pas en elle l'essence vietnamienne qui est la douceur, la contemplation, la subtilité, etc. Pourtant, on ne peut pas dire les instruments à corde manquent dans la musique traditionnelle vietnamienne, et les exemples de distorsion produite par les instruments monocordes, les luths ou les banjos dans les compositions traditionnelles ne manquant pas. Ajouté à cela une longue tradition de percussion, des spectacles très rythmiques, rapides et épiques existaient (et existent toujours) avec les tambours de bronze des ancêtres annamites. Cette analyse hâtive peut être imputée au fait que le jeune public qui découvrait cette musique depuis peu ne voyait pas encore toute la subtilité qu'elle porte en son sein; et la génération d'avant, leurs parents, regardaient le rock comme un produit étranger qui n'a rien à faire avec la musique traditionnelle dont ils sont habitués.

A partir du début des années 70, il y a un véritable mouvement de vietnamisation du rock, ces auteur-compositeurs vont commencer à adapter et/ou traduire les paroles des chansons en vietnamien afin de les diffuser plus largement auprès du public avec, en plus, une volonté de s'approprier ce mouvement musical, insufflant un esprit plus vietnamien dans ces compositions via les paroles adaptées, qui parlent aussi de la vie, de l'amour, mais avec les thèmes plus proches du quotidien de la population. Petit à petit, même les auteur-compositeurs n'appartenant à aucun groupe s'y mettaient aussi et proposaient leurs adaptations aux groupes afin de diffuser au mieux cette transformation.

Parmi toute cette ébullition nouvelle, il y a un groupe qu'on peut aisément qualifier de premier vrai groupe de rock du Vietnam, qui composait et chantait toutes leur chansons dans la langue du pays, qui posait la première pierre angulaire dans l'histoire du rock vietnamien, et contribuait à fixer les premiers standards du rock à la vietnamienne, c'est le groupe Phượng Hoàng (phénix en français). En réalité, le groupe a été formée initialement en 1963 sous le nom de Hải Âu (Mouette) par Lê Hựu Hà, guitariste et auteur-compositeur. À cette époque, il avait déjà ses premières compositions rock en vietnamien, le jeune homme avait à cœur de proposer des productions purement vietnamiennes, mais l'époque n'était pas propice à ce genre de composition, préférant les reprises chantées en français ou en anglais, le groupe n'a jamais percé et n'a pas pu avoir la reconnaissance dont il méritait.

Vers 1970, en plein boom du mouvement de vietnamisation du rock, Lê Hựu Hà fit la rencontre de Nguyễn Trung Cang, guitariste du groupe Rolling Soul, et aussi auteur-compositeur. Ensemble, ils créaient Phượng Hoàng avec d'autres musiciens dont Nguyễn Trung Vinh (batteur), Như Khiêm (bassiste), et deux chanteurs Hoài Khanh (vois masculine) et Mai Hoa (voix féminine). Ils furent vraiment un phénomène dans le milieu musical de l'époque avec leurs compositions en vietnamien, réveillant l'intérêt des auditeurs pour la quête d'appropriation de cette musique dynamique venant d'outre Pacifique. Certains rumeurs les accusaient de plagier et faire les covers en douce, ces accusations étaient infondées.
Mais le groupe n'a vraiment acquis leur meilleure notoriété que quelques temps plus tard, quand ils avaient fini leur contrat avec le salon de thé où ils produisaient et signait un contrat avec deux autres endroits dont le salon Queen Bee et le Maxim's. Leurs deux chanteurs, ne pouvant quitter l'ancien salon de thé à cause de leur contrat, étaient contraint d'abandonner le groupe.
Phượng Hoàng continuait leur chemin chez Queen Bee et Maxim's en compagnie d'Elvis Phương, chanteur qui a collaboré avec les groupes comme The Rebels, The Rockin' Stars, The Shotgun, etc. A cette époque là, il était déjà un chanteur connu dans le milieu de la musique du Vietnam du sud grâce au style du King, son idole, qu'il a adopté. Depuis la coupe, les habits, jusqu'aux manières de chanter et de se produire sur scène. Les vietnamiens vous diront qu'il a même les airs du King, je vous laisserai juge avec les photos. On peut dire que l'arrivé d'Elvis Phương a été une providence pour le groupe car c'était avec lui qu'ils avaient connu leurs meilleurs succès auprès du public tellement sa voix et son style sont particuliers, il avait aussi une manière toute naturelle de s'approprier les compositions du groupe, les transforme et transcende. On peut dire ce qu'on veut, un bon chanteur fait beaucoup dans la communication de la musique du groupe auprès du public. Combien sont ceux d'entre nous qui font un blocage sur un groupe à cause de la voix du chanteur? Personnellement, je plaide coupable la première... C'est donc avec Elvis Phương que Phượng Hoàng achevait la construction de son line-up définitif. Même après la séparation du groupe, quand Elvis continuait sa carrière solo à l'étranger, son nom est invariablement attaché à Phượng Hoàng et ses chansons, chansons qu'il continuera d'interpréter tout au long de sa carrière tellement la demande du public est forte, tellement Phượng Hoàng est devenu une légende dans l'histoire du rock et de la musique vietnamienne malgré une carrière très courte (4 ans d'existence).

La musique de Phượng Hoàng puise son inspiration des bases de rock et de folk britanniques, teintées de prog, les deux compositeurs principaux du groupe étaient de fervents admirateurs des Beatles, groupe avec lequel les vietnamiens aimaient à les comparer, non pas pour la similitude des compositions, mais pour la ressemblance dans le fonctionnement du duo Lê Hựu Hà, Nguyễn Trung Cang au sein du groupe, qui fait écho au duo Lennon et McCartney.
La musique, donc, est empreinte d'éléments doux du folk, la rythmique joyeuse et dynamique du rock, cela ne révolutionne pas le paysage du rock en général, mais c'est une grande révolution dans le paysage de la musique vietnamienne. Les paroles ont cessé de raconter les histoires d'amour (sujet principal des chansons populaires vietnamiennes jusqu'alors), ils se concentrent plus sur les réflexions philosophiques sur la vie, la critique de la nature humaine, même quand ils parlent d'amour, ils prennent généralement un ton plutôt pessimiste, et parfois cynique (cf. le morceau "Yêu Em" - t'aimer). Il est à noter aussi le côté très taoïste dans leurs chansons, prônant plutôt une vie simple, exempte de passions humaines (Cf le morceau "Tôi Muốn" - Je Veux, où ils parlaient du fait de cesser d'être humain pour devenir différents animaux en liberté). En gros, quand les paroles sont plutôt cyniques et tristes, c'était écrit par Nguyễn Trung Cang, quand c'est plus joyeux, positif, voire prônant un certain lâcher prise, c'était écrit par Lê Hựu Hà.


Parmi toutes leurs compositions, le morceau "Mặt Trời Đen" (Soleil Noir) composé par Nguyễn Trung Cang ressort comme la première chanson rock vietnamienne. Il a une mélodie agressive, rapide, psychédélique, les riffs bondissants avec une liberté jamais vu dans les compositions vietnamiennes jusqu'alors. Même les paroles sont sombres, fantasques et la voix puissante d'Elvis explose sur ce fond musicale audacieuse. Je vous invite à découvrir ce morceau ici, un enregistrement datant d'avant 1975 :


Pendant cette courte existence, malgré leur grand succès et même avec l'aide des amis musiciens, Phượng Hoàng n'a jamais réussi à enregistrer un album complet car ils se faisaient bouder par les producteurs de l'époque, leur reprochant d'être trop à part ou pas assez vietnamien à cause de leurs mélodies jugées trop occidentales. Personne n'avait cru en eux... Phượng Hoàng disparut sans avoir pu laisser un enregistrement avec leur line-up original puisque Nguyễn Trung Cang sera emprisonné dans les camps de rééducation du gouvernement nord vietnamien après 1975. Même après sa libération, il était trop faible et malade pour continuer la musique, il décédera en 1985.
Je vous laisse le lien vers une collection de leurs meilleurs succès, enregistrée à l'initiative d'Elvis Phương qui continuait sa carrière à l'étranger après 1975, et distribué via BMH Media Inc, une maison de production vietnamienne en France :


En parallèle de cette vietnamisation du rock, il y a aussi un changement de mode dans la musique populaire sudiste dès les débuts des années 70s, la plupart des groupes pionniers du rock vietnamien se séparaient et de nouveaux groupes, plus orientés soul & blues se formaient, on observait une montée d'intérêt aussi pour le psychédélique et le folk reprend sa place du courant majeur dans la musique populaire. 
Après l'accord de paris en 1973 (Les accords de Paix de Paris sont signés le 27 Janvier 1973 à l'hôtel Majestic afin de mettre fin à la guerre du Vietnam), on constatait une baisse nette de l'activité et de créativité dans la musique populaire, principalement à cause de la baisse de moral, inhérente au choque psychologique subit par les musiciens et professionnels du spectacle, ils s'attendaient tous à une période de vache maigre culturellement avec la réunification du pays sous l'égide du partie communiste. La plupart des musiciens suivaient l'exode générale et partaient à l'étranger (cf. 1ère partie avec le cas CBC qui est loin d'être un cas isolé), ceux qui restaient comprenaient qu'à partir de 1976, tout sera effacé et ils devraient tout recommencer à zéro. 

Et effectivement, après la réunification, la vie culturelle du Vietnam reprenait sous l'étroite surveillance des maisons de gestion artistique, qui encourageait une nouvelle forme de musique plus "lumineux", parlant des sujets de renouvellement, de l'amour de la vie et du parti communiste. Les concerts ou concours de musique s'organisaient dans les entreprises d'état ou par les autorités locales, ces événements permettaient aux anciens groupes de se reformer ou se reformer en parti pour jouer de la musique. Par contre, plus question des noms de groupe en langue étrangère, on voyait donc se (re)former des groupes comme Sao Sáng (anciennement Peanut Family), Đại Dương, ou encore Hy Vọng (avec Lê Hựu Hà, Quốc Dũng, Lý Được). Ils étaient aussi le tremplin pour de nombreux chanteurs officiant seuls de réussir et de faire un nom dans la musique populaire vietnamienne comme Bảo Yến, Nhã Phương (ces deux là finissaient aussi par partir à l'étranger dans les années 90s), Cẩm Vân, Khắc Triệu
Fini les mélodies aux rythmes rapides, fini les blasts fougueux des batteries, fini les guitares dissonantes, fini les paroles philosophiques ou critiques de la vie. A présent, place aux hymnes à la beauté de la vie, du travail, les exploits des soldats, et du changement. Certaines chansons du registre rock & folk britanniques sont autorisée, via une étroite sélection par les autorités comme "Hotel California", "Stairway to Heaven", "Layla, Proud Mary", etc. D'ailleurs, elles servaient généralement de jauge technique pour la pratique des musiciens.
En 1978, le gouvernement changeait l'appellation musique populaire en musique politique et surveillait étroitement les compositions et créations, il voulait "assainir" la scène musicale vietnamienne, éliminant les créations nationales ou étrangères qui véhiculeraient trop l'esprit critique sociale et appelait à la rébellion, ne permettant que les chansons jugées plus positives et plus vietnamiennes. Cela a permit l'émergence d'une toute nouvelle génération de compositeurs talentueux, dont 2 meilleurs représentants, à mon sens, sont Trịnh Công Sơn et Trần Tiến. Leurs musiques puisent l'inspiration des courants boléro, folk et pop rock avec les paroles simples et poétiques mais non sans profondeur. Avec d'autres compositeurs, ils ont aussi fait preuve d'ingéniosité pour glisser dans ces chansons, à l'apparence populaire ou anti-guerre, des messages de critique sociale afin de passer à travers les filets de la censure d'état. Néanmoins, une partie du répertoire de Trịnh Công Sơn était censurée jusqu'aux années 90s.
Ainsi durant toute la période entre 1976 et le début des années 90s, lors de la réouverture économique du pays, le paysage musical vietnamien subit un assainissement idéologique, politique et artistique. Le folk et le pop rock étaient deux courants issus des influences étrangères qui ont réussi à perdurer pendant cette période. Le rock, le jazz, le psychédélique ou le hard rock faisaient parti des grands absences dans les événements musicaux à cause de leur image de rebelle et d'éléments d'excitation du publique. Il était important de maintenir l'ordre pendant les concerts et le public hardo vietnamien, à l'image de ses homologues outre Pacifique ou occidentaux, sont loin d'être les enfants de chœur, respectant l'ordre imposé. D'ailleurs, avec le contexte politique de l'époque, ils n'attendaient qu'une étincelle pour partir en rébellion et le gouvernement souhaite tuer cela dans l'œuf. 

La renaissance. Le paysage du rock dans le sud et ses représentants. 

La scène vietnamienne, mise en pause depuis 1976, est en jachère. Pourtant, le public rock, ceux qui sont restés et ceux qui ont grandit avec les cassettes et les chansons chantées par leurs frères, leur pères, leurs sœurs ou leurs oncles, en petit comité, sont toujours là, et leur curiosité, leur soif pour cette musique presque tabou sont palpables. La preuve avec de nombreuses petites soirées privées où les étudiants, pour la plupart, se réunissaient pour jouer cette musique qu'on n'entend jamais dans les événements culturels officiels.
Mais c'était sans compter sur l'ouverture économique du pays à partir des années 90, qui fut comme une grosse averse d'été sur le paysage aride de la scène rock/metal du Vietnam du sud. Cette ouverture a fait frémir la surface immobile de cette scène long temps stagnante, les gens peuvent de nouveau se procurer de la musique étrangère, les sudistes peuvent, à nouveau, écouter certains de leurs chansons fétiches à la radio avec moins de censure et plus décomplexé, même si, certes, Canibal Corpse à la radio, ce n'était pas encore ça !

Mais deux événements les plus marquant pendant ces années, qui avaient contribué à ranimer la flamme de la scène rock/metal du sud, étaient le festival de la musique populaire, organisé par le centre culturel de la jeunesse en 1992 et le festival Unplugged, organisé par la faculté d'Anglais de l'université des sciences humaine et sociale de Saigon en 1994. Avec de nombreuses participations des groupes étudiants, jouant des reprises de rock anglais, U.S. ou des reprises de rock d'avant 75, ces festivals ont permis une nouvelle émulation dans le paysage culturel et musical du pays. A partir de là, de nombreux autres festivals de musique ont suivit, organisés par les universités et/ou les maisons culturelles du sud, offrant des opportunités à de nombreux nouveaux groupes de se former et de jouer devant un public toujours plus agités et soif de découverte.


A ce moment, le rock et metal internationaux (qui ont eu le temps de se développer et se mouvoir en de nombreuses branches : le heavy metal et toutes ses déclinaisons, l'acid rock, le prog, le rock alternatif, le punk, la vague grunge, etc.) arrivent au Vietnam assez tardivement, en un bloc compact, et le public comme les musiciens vietnamiens les accueillent tant bien que mal avec leurs bases fortement liées au hard rock, le rock psychédélique et le heavy metal des premières heures.
Nous avions une sorte d'émulation hétéroclite dans le monde musical du Vietnam du sud avec beaucoup de groupes très orientés rock alternatif et folk rock, voire des groupes qui proposent des choses nées d'une assimilation du hard rock 80s et du grunge, le cas d'Atomega. Il existait quelques formations de metal extrême mais ils font partie des groupes très underground qui n'arrivaient même pas à avoir de la visibilité dans les nouveaux événements musicaux puisque le public, même s'il adore le heavy metal et sait l'apprécier, plébiscite toujours les mélodies plutôt douces ou des refrains catchy qui passent bien partout.
Même les groupes de rock de l'époque, très populaires, avec une étiquette rock distincte, pendant les concerts, jouent d'autres styles de musique en plus de leurs compositions et les reprises de morceaux de rock traditionnels. Autrement, ils risquent de ne plus être réinvités par les festivals, ni les clubs malgré leur notoriété auprès d'une parti du public. Notoriété très précaire dans tous les cas car avec le paysage musical d'alors, la fidélité du grand public reste très volatile et la base de fan de rock et metal n'était pas assez large et solide pour permettre aux groupes d'avoir une solidité de carrière. Ce qui explique que la plupart des groupes ne vivent pas de leur musique. Ils ont tous un autre métier à côté. 

On peut citer quelques groupes importants de cette période post-ouverture économique:  Da Vàng, Atomega, SaiGon Metal, Rock Alpha, Buổi Sáng, Ba Con Mèo, Ngôi Nhà Xanh, Hy Vọng, Hải Âu, etc. Malgré l'émulation générale, l'excellent travail de ces groupes et malgré la passion des musiciens, ce qui manquait cruellement au rock et metal vietnamien à cette époque, c'était le soutien du public, intimement lié à la cohérence de l'ensemble de la scène, la non-existence des structures supportant la scène et les moyens techniques vraiment pas au point pour soutenir et aider à développer le mouvement.


Le public metal vietnamien de cette période post-ouverture a ce défaut de préférer les groupes étrangers, pensant que les groupes locaux n'ont pas assez de technique ou pas assez d'"âme du rock" pour faire du rock, sans se rendre compte que ce sont aussi eux, cette "âme du rock" qui peut encourager et soutenir leurs acteurs locaux. Certains reprochaient à ces groupes de ne pas jouer du "vrai" heavy metal, surtout quand ils arrivent à sortir un album ou quand ils arrivent à avoir de la notoriété auprès du grand public, au prix des compositions plus pop/rock, alors qu'au sein même de ce public dit rockeur et metalleux, ces sons fortement saturés et distorsionnés posent encore problème dans l'appréciation générale. Le succès auprès du grand public de ces groupes sont souvent mal accueillis par les fans dites undergrounds, préférant toujours les groupes qui ont moins de succès mais qui sont plus extrêmes et plus radicaux dans le style, dans la musique, etc. Comportement, hélas, bien répandu et gangrène toutes les communauté de metal... Sans compter toutes les barrières dressées par les politiques pour limiter les désordres sociaux lors des concerts de rock. Les groupes de rock vietnamiens, pour pouvoir jouer sur scène, avaient l'intérêt à faire profil bas et ne pas jouer des chansons aux contenus (et même aux rythmes) trop violents ou trop loin idéologiquement comparé aux bonnes mœurs sociales du parti communiste.
De plus, pour le grand public, le rock/metal est indissociable avec l'image de marginaux, de rebelles, alcooliques, drogués, incapables de s'intégrer à la société, un préjugé fortement influencé et véhiculé par les images de hippies des années 70 et les mauvaises réputations des fans lors des festivals tels que le Woodstock. D'ailleurs, les fans vietnamiens n'avaient rien fait pour sortir de ces préjugés car les cas de consommation de drogue et d'état d'ébriété extrême existent pendant les soirées concerts de rock, en plus des cas de casseurs qui saccageaient les salles ou les mobiliers pendant ces soirées, sans mentionner les projectiles jetés sur la scène pendant les concerts. Tout cela contribuaient à renforcer ce préjugé de musique violente pour les gens agités et violents auprès du grand public et d'isoler la communauté rock et metal encore plus. 

Et enfin, à cette époque, les productions des contenus culturels étaient sous la stricte surveillance du ministère de la culture, les maisons de disque ou les grands distributeurs de musique subissaient un contrôle drastique de la part du gouvernement. D'ailleurs, il n'existe pas de maison de disque ou de labels spécialisés pour le genre au Vietnam, et les maisons de disque officielles n'étaient pas intéressées par les groupes de rock, d'où le peu de soutien au sein même de l'industrie de la musique. En plus de tout cela, la plupart des groupes sont des groupes d'étudiants ou de jeunes diplômés des milieux très diverses, même s'ils trouvaient un distributeur pour leur album, les coûts d'enregistrement d'un CD sont souvent trop cher pour eux, sans aucune aide de la part du ministère de la culture ou des sponsors privés. 
Dans ce contexte, le développement d'une scène rock et metal solide n'est vraiment pas chose aisée. D'ailleurs, la plupart des groupes suscités, après quelques années de notoriété dans le rock, ont tous splittés ou changent même de registre avant de s'éteindre pour laisser place à d'autres chanteurs et groupes proposant de la variété, plus communément appelé V-pop, qui passe mieux auprès du grand public. Ce serait la nouvelle vague des girls et boys band du Vietnam.

Nous avons parlé plus haut du fonctionnement des groupes vietnamiens avec les musiciens d'une part, et le chanteur d'autre part. Ici, ce fonctionnement affecte toujours les formations. Très peu sont les groupes qui ont une cohésion forte entre musiciens et chanteur. La plupart des groupes finissent par devenir des groupes de session pour d'autres chanteurs et gagnent leur pain avec ça. Beaucoup de chanteurs, une fois notoriété auprès du grand public acquise, mènent une carrière solo, embrassant un registre musical plus large afin de satisfaire les demandes du public et finissent par quitter le groupe. Les musiciens compositeurs des groupes finissent par composer pour d'autres artistes et travaillent dans d'autres domaines de la musique. Tel est le destin de beaucoup de groupes de rock de cette époque post-ouverture.
Parmi tous ces premiers groupes de rock vietnamien des années 90s, il faut citer les Atomega, groupe de hard rock des premières heures et surement les premiers rockers vietnamiens à enregistrer un album. Cet album a une valeur symbolique dans la scène rock/metal vietnamien parce qu'il marque le point de départ d'une "officialisation" de la musique rock et metal auprès du public. Une maison de disque a accepté de l'éditer, pour les fans et les acteurs de la scène, c'est le début d'un radieux avenir pour le genre. Pas étonnant que cet album a été très bien accueilli nationalement, il est resté dans le top5 des albums les plus écoutés de l'année 1996 et certaines magazines spécialisées anglais et U.S. l'ont mentionné en lui réservant un accueil favorable. 
Même si la moitié de l'album comporte les reprises/réarrangements des groupes comme CCR, Steppenwolf ou Nirvana, l'autre moitié de l'album présente les compositions du groupe, un hard rock qui ne révolutionne rien si on le jette sur l'arène internationale, mais qui a une grande valeur pour la scène locale car elles marquent le savoir faire technique et celui de composition des musiciens vietnamiens, sans partir dans l'imitation de leurs homologues internationales, ni ne s'engouffre dans des chemins de facilité d'hybridation entre rock et musique traditionnelle, qui va être l'étendard du metal asiatique à l'étranger et c'est aussi ce qui va caricaturer et enterrer ces scènes pendant long temps.



Atomega est formé en 1993 par Quang Thắng (Rocky) au chant et à la guitare, Bửu Minh (guitare), Hoàng Vũ (clavier), Đức Huy (batterie), Ngọc Tuấn (basse), le groupe démarrait leur carrière en jouant dans des clubs avant de sortir leur unique album Đất Mẹ (Motherland) en 1996. A part les reprises des groupes déjà citées, et malgré une production assez sommaire, on notera les compositions personnelles du groupe assez remarquables avec une jolie ballade folk toute douce et lumineuse aux riffs joyeux (Without You) ou un Iron Heart avec les sonorités résolument heavy aux riffs qui s'envolent. Le morceau titre, empreinte de l'esprit vietnamien comme le voulaient les précurseurs des années 70s, émouvante ballade heavy prog, parlant de la vie et les difficultés des petites gens dans une société en pleine mutation et en pleine recherche d'identité avec ses espoirs et ses travers après plus de 15 ans presqu'en autarcie dont les seuls ouvertures au monde étaient les géants du communisme. Et surement la meilleure composition du groupe sur ce disque, "Atom Church", morceau heavy empreint de lourdeur mais avec des éléments punk psychédéliques, lui offrant un saveur unique.  

Atomega - Đất Mẹ (Motherland)


Tracklist

01. Mưa trong cuộc đời / Who’ll Stop The Rain - CCR cover
02. Born To Be Wild - Steppenwolf cover
03. Nếu Không Có Em [Without You]
04. Smells Like Teen Spirit - Nirvana cover
05. Trái tim sắt [Iron Heart]
06. Tình xa [Faraway Love]
07. Đất Mẹ [Mother Land]
08. Since I Don’t Have You - Skyline cover
09. Giáo đường nguyên tử [Atom Church]

Le groupe est séparé vers la fin des années 90, mais le leader du groupe, Quang Thắng, continue de tourner dans les soirées concerts ou des clubs avec d'autres membres dont Mạnh Giang (clavier), Nguyễn Chinh (guitare), Hồ Điệp (batterie), recrutés pour ces sessions lives;  et il travaille sur d'autres compositions car Rocky continue de caresser le rêve de sortir un second album pour Atomega, cette fois-ci, avec uniquement les compositions du groupe. 
Le second représentant de la scène du sud de cette époque, c'est le groupe Da Vàng (Yellow Skin), formé en 1990, avec Nguyễn Đạt (vocal, guitare, compositeur), Lê Quang (vocal, basse et compositeur), Hoàng Tuấn (guitare) và trần Nhã (batterie, il décédera en 2017), officiant dans un progressive metal de bon aloi. On peut dire que c'est la toute première formation vietnamienne de ce genre. Le groupe a gagné la deuxième place au festival de la musique populaire, organisé par le centre culturel de la jeunesse en 1992. Ensuite, il sera un groupe récurrent de tous les festivals étudiants de rock qui suivront le mouvement.
Comme leurs collègues contemporains, ils ont laissé un unique album, S.O.S, sorti en 2000, soit 4 ans après l'album Đất Mẹ d'Atomega, renforçant le sentiment d'euphorie d'une scène rock et metal saïgonnaise en pleine renaissance avec des espoirs de consolidation.



Sur les 11 morceaux de l'album, les 9 compositions du groupe offrent un joli aperçu du talent des musiciens et compositeurs avec un prog velouté et les lignes de guitare tour à tour agressives, rêveuses, planantes, et même sautillantes. La session rythmique assure le tout avec une fluidité torrentielle dont la meilleure démonstration se trouve dans la piste 6, Nowhere, où chaque instrument se déchaînent tout en assurant parfaitement la cohérence de l'ensemble pour offrir une chanson dynamique, à la fois variée et groovy à souhait. Les deux reprises ont été réarrangées de manière à offrir à l'auditeur une expérience unique, plein de surprise avec un  Come Together à la sauce funky death metal ne manquant pas de charme. Quant à Unchain My Heart, elle a aussi été réarrangée à la sauce de Da Vàng qui la transforme en un mélange bluesy, jazzy hypnotique complètement hanté. Et Bạch Đằng Giang, titre épique relatant plusieurs batailles ayant eu lieu sur cette fameuse fleuve, où l'armée vietnamienne s'en sort toujours victorieuse, le point culminant de l'album et c'est sûrement le titre qui représente le mieux le groupe: guitare ondulante, riffs sans concession, batteries rapides et agressives, chant épique, rythme haletant, tous les ingrédients pour un ultime hit de tous les temps. Ce titre, acclamé du public, suivra le groupe à tous les shows où ils participeront tout au long de leur carrière.   

Da Vàng - S.O.S.


Tracklist :

01. S.O.S. 
02. Quên Đi [Forget Me] 
03. Tấm Gương Kỳ Diệu [Magic Mirror] 
04. Biển Sâu [Deep Sea] 
05. Vòng Tay Bạn Bè [Circle Of Friends] 
06. Về Đâu [Nowhere] 
07. Cô Đơn [Loneliness] 
08. Come Together - Beatles cover 
09. Unchain My Heart (Bobby Sharp) - Joe Cocker version cover
10. Biển Tình Yêu [Sea of Love]
11. Bạch Đằng Giang [Bạch Đằng River]

Le groupe se séparera en 2010, Nguyễn Đạt continuera à être actif sur la scène culturelle et musicale du Vietnam en composant et jouant de la guitare pour d'autres artistes. Il est aussi un acteur principal dans l'industrie de la musique, parrainant de nouveaux groupes arrivés dans les années 2000, les conseiller et les aider. Il participera activement au programme Tiger Translate - Rock your Passion, un concours musical de rock sponsorisé par la marque de bière Tiger, un des nombreux programmes favorisant le développement de la scène rock/metal du Vietnam pendant les années 2000. Pour lui, le rock est comme une philosophie de vie et il souhaite que les jeunes groupes ne subissent pas la censure d'état (il leur conseillera souvent d'éviter les sujets sensibles comme la religion, la politique ou le sexe dans les paroles), car pour lui c'est le seul moyen de sortir de l'underground et d'amener la musique au plus grand nombre.
En 2014, il ressuscitait Da Vàng avec d'autres musiciens comme Phil Nguyễn à la basse, Ross Knapp à la batterie et au chant, avec Trần Duy Khang à la seconde guitare pour les sessions lives. Tout comme Rocky des Atomega, il espère pouvoir sortir un second album de Da Vàng.

La scène rock/metal du Vietnam du Nord - une nouvelle scène forte et dynamique.  

Partons maintenant dans la capitale du nord du Vietnam, Hà Nội, qui devient la capitale officielle du pays après 1975. Jusqu'aux années 90s, le paysage musical nordiste reste relativement traditionnel avec les compositeurs et musiciens qui officient principalement dans un registre de musique populaire vietnamienne quand ce n'est pas de la musique de propagande. La réunification des deux régions en 1975 a permit un échange culturel riche malgré les censures gouvernementales, les deux régions se renouent culturellement, découvrent chacun leurs productions culturelles respectives qui ont été créées tout au long de la séparation de manière directe.
Néanmoins, le rock/metal reste une musique très méconnue dans le nord, contrairement au sud. Les principaux acteurs qui vont amener ce vent tellurique et métallique au nord sont, encore une fois, les étudiants. A l'époque où le tout public nordiste découvrait Michael Jackson et autres New Kids on the Bloc, une petite partie d'étudiants étaient des passionnés du rock. Ils avaient pu découvrir cette musique déjà grâce aux échanges étudiants après 75, et l'ouverture économique leur permet d'accéder directement à la scène internationale qu'ils découvrent avec gourmandise et délectation. 
N'ayant pas déjà un terreau de base comme les artistes sudistes, les influences des artistes nordistes de cette époque viennent directement des artistes internationaux sans passer par les routes tracées par les précurseurs sudistes d'avant guerre, la scène hanoïenne a quelque chose de beaucoup plus brute et beaucoup plus sauvage que la scène saïgonnaise avec une population de fan beaucoup plus excités et plus extrêmes dans leur manière d'exprimer leur passion pour cette musique. 
D'un point de vu extérieur, c'était comme si ces jeunes gens, après plusieurs années d'interdiction et de restriction en tout genre, ont trouvé dans le rock/metal une sorte d'exutoire et un moyen de faire exploser toute leur rage et leurs sentiments les plus enfouis, réprimés depuis si long temps. Intrinsèquement, il y avait aussi l'expression de toute la frustration et la déception qu'on peut ressentir après une révolution où tout ce qu'on trouve, malgré toutes les belles promesses, n'était que misère, répression et mensonge. En cela, les paroles des chansons qu'ils trouvaient via Metallica, Nirvana, Skid Row et autres Guns N' Roses (Civil Wars était un morceau incontournable, du nord au sud) ne peuvent que faire résonance.
Mais cette passion, cette véhémence vont être la raison pour laquelle le rock/metal va devenir la bête noire du gouvernement et quelque chose d'abjecte dans le regard du grand public.

Ne faisant pas défaut à la tradition des scènes naissantes, la plupart des groupes précurseurs de la scène nordiste était aussi des groupes qui faisaient des reprises des groupes comme Metallica, Led Zeppelin, Gun n' Roses, Black Sabbath, Nirvana, etc. Ces groupes commençaient à apparaitre dans les soirées musicales universitaires et recevaient un excellent accueil de la part de leurs camarades étudiants. On peut noter quelques noms notable de l'époque comme Những Bậc Thang (Les Marches), Đại Bàng Trắng (White Eagle), etc. 
Mais contrairement à Saigon où il y avait des structures et lieux permettant d'accueillir et d'organiser les concerts pour la jeunesse (Bar, càfé, théâtre, club, maison culturelle, etc.), il n'en existait pas à Hanoi à cette époque. Les théâtres ou arènes étaient surtout réservés aux spectacles traditionnelles et il n'existait aucun bar ou café concert spécialisé dans le rock/metal. Il fallait attendre l'ouverture du club central Phương Pháp vers 1992 - 1993 pour que la scène hanoïenne commence à sortir des cours des universités. Le club organisait souvent les soirées concerts et les échanges entre musiciens; ces soirées, ouvertes au tout public, ont permit aux groupes du mouvement étudiant de se faire connaître en dehors du cercle universitaire, et ont favorisé les rencontres entre musiciens venant d'universités différents ou d'autres milieux, permettant la formation de plein d'autres groupes plus ou moins importants qui marqueront la scène nordiste comme The Light (le groupe maudit) ou Desire (groupe faisant exclusivement des reprises des Beatles). Mais cette nouvelle opportunité est restée de courte durée puisqu'en décembre 1993, lors de leur soirée commémorative à John Lennon, un petit groupe de fan était devenu surexcité et a commencé à semer le trouble dans le public, saccageait la salle et intimidaient d'autres fans présents. Suite à cela, le club a du fermer ses portes et la communauté rock/metal commence à être très mal vue par l'opinion public.


Malgré cette incident, les groupes qui se sont formés continuent à pratiquer et répéter chez eux, dans une salle de classe prêtée par leur université, n'importe où, dès le moment où ils avaient la possibilité de répéter. L'occasion pour eux de remonter sur scène va se présenter pas long temps après. En Mars 1994, l'école d'Architecture de Hanoi organisait une soirée musicale intitulée "Forever Young", c'était un grand événement universitaire ouvert à tout public, et pour l'occasion, l'université avait l'autorisation d'utiliser l'aréna Trung Tự de la ville d'Hanoi. Au programme de cette soirée étaient les groupes précurseurs de la scène nordiste comme Những Bậc Thang, Đại bàng Trắng, The Light, etc. Le public se comptait par millier tellement c'était un évènement rare dans la capitale. Malheureusement, cette soirée se soldait dans la violence avec les fans qui finissaient en bagarre générale après les pogos, la police était intervenu et plusieurs personnes étaient interpellées pour trouble à l'ordre public et violence. Même les musiciens devaient s'enfuir de la scène et des loges en emportant leurs instruments avec eux. 
Une fin catastrophique pour les groupes, pour la scène et pour le public rock/metal puisqu'à partir de cette soirée, les soirées de concerts rock sont officiellement interdites par le gouvernement régional, rendant difficile même l'organisation des soirées concerts des universités puisque le ministère de la culture et de la communication rechigne depuis à donner l'autorisation d'organiser des soirées concert s'il y a des groupes de rock au programme. Le rock/metal est officiellement accusé, dans tous les médias et par l'opinion publique, d'être une musique violente qui a une mauvaise influence sur la jeunesse. Pire encore, on considère les acteurs de la scène rock/metal comme des déracinés, métissés, qui préfèrent une culture étrangère à sa propre culture puisque, comme dans le sud, la musique rock/metal est considérée par l'opinion publique comme n'être pas compatible avec la tradition et le peuple vietnamiens... Et pourtant cela ne vient que d'une vision tronquée! (c.f. la 2ème partie)
Malgré tout cela, la scène résiste, les groupes continuent de pratiquer, les passionnées essaient de s'organiser. Au milieu de 1994, le premier café étudiant apparu, ouvert par un groupe d'étudiants passionnés de rock/metal, le café de la Gare (cafe Sân Ga). Ce sera le lieu de rassemblement des fans pour venir écouter leur musique préférée, de rencontrer d'autres passionnés, d'échanger autour d'un boisson, etc. De temps à autre, ils réussissent à organiser une soirée concert sous le parrainage d'une université ou d'une collectivité qui prêtait leur nom pour les autorisations, où les groupes venaient jouer, toujours bénévolement car les bénéfices servaient à payer l'organisation puisque tout cela coûte cher. Mais c'était toujours un moment de joie et pour les groupes comme pour le public.
Mi 1995, un second café étudiant vit le jour, le Vọng quán (Café Espoir), il possédaient un grand cour qui permettait d'accueillir plus de monde et réussissaient à consacrer 3 jours par semaine pour des concerts de rock, devenant très vite the place to be pour les fans de rock/metal, un lieu incontournable estudiantine. Avec Vọng quán, le mouvement rock/metal s'est ranimé plus fort que jamais. Et pour marquer ce succès fulgurant, le Vọng quán organisait, le 16 Juin 1995, une soirée concert pour fêter les 1 mois d'existence avec le groupe The Light et le chanteur Tùng John au programme. Victime de son propre succès, la notoriété du lieu, du groupe et aussi le manque de concert du public a amené plus de 500 personnes devant Vọng quán dès 19h du soir alors que la soirée était prévu pour 20h, créant des bouchons monstres dans ce petit quartier plutôt calme d'habitude. Les portes étaient fermées à clef, mais les fans, au plus haut de leur excitation, commençaient à escalader les murs de la cour du café pour y entrer. Devant ce déferlant excité, les propriétaires du lieu ont pris peur et ont fuit les lieux, laissant les quelques membres du groupe The Light déjà présents sur place et Tùng John seuls devant la horde de fans excités. Le groupe n'était pas au complet car les autres membres n'arrivaient pas à accéder au café à cause des bouchons crées par des fans, mais devant la situation critique, ils ont trouvé des remplaçants et commençaient à jouer afin de calmer un peu les esprits. Heureusement, après 5 morceaux, un orage s'éclata et mit fin à la soirée en court-circuitant les enceintes et les instruments. La foule fut dissipée par la pluie et l'orage, laissant Vọng quán en ruine avec les tables et chaises cassées, sens dessus-dessous, les plantes cassées et piétinées.
A peine 2 mois après, les propriétaire de Vọng quán revendissent le lieu à cause des problèmes financiers et des scissions internes. Le café existe toujours, mais il n'est plus un café étudiant, ni un lieu de rencontre autour du rock/metal.
On peut dire que la période entre 1995 et 1997 était une période de mort pour la scène rock et metal nordiste entre les groupes qui jouaient déjà de manière amateur, mais qui, avec les incidents lors des concerts, se recroquevillaient de plus en plus entre eux, et finissaient par se séparer une fois qu'ils quittent l'université. Devant la disparition de nombreux groupes précurseurs de la scène, on peut même se demander si ce n'était pour eux qu'un loisir d'étudiant, et qu'une fois les études finies, ils se tournent vers d'autres horizons, laissant de côté leur passion. Ils n'avaient pas vocation à évoluer et devenir des musiciens professionnels ? Cette question peut trouver la réponse dans la même problématique que la scène sudiste: le manque de structure de soutien. Et dans le nord, le manque de lieu de rassemblement et de concert est encore plus important que dans le sud, la restriction et la surveillance d'état est plus palpable, plus stricte, aucun label ou maison de production spécialisés comme dans le sud. Et surtout, avec les incidences sus cités qui ont marqué long temps la scène rock/metal vietnamienne d'un sceau noir dans l'imaginaire collectif. Les tourneurs et organisateurs de concerts ont peur de programmer les groupes de rock/metal pendant très long temps, personne ne voulait les sponsoriser. Là aussi, le public rock/metal pêche par son manque de maîtrise et de civisme. Si, n'ayant pas le snobisme de leurs compatriotes sudistes, ils ne reprochaient pas aux groupes locaux d'être moins bien que les groupes étrangers, ils sont plus extrêmes lors des concerts, créant plus facilement bagarres et émeutes, donnant une image de gens violents et peu recommandables, alors peu de lieu (déjà très peu nombreux) souhaite les avoir lors des soirées concerts. 
Tout cela ne permet pas un développement sain et serein de la scène rock/metal, les groupes restent amateurs et instables, à quelques exceptions près comme le cas de Bức Tường (The Wall), et à un moindre mesure: Buratinox, Gạt Tàn Đầy (Full Ashtray), The Light.
Prenons quelques instants pour parler de The Light, sûrement le 1er groupe de thrash vietnamien et un groupe maudit. Le groupe est formé à Hanoi en 1993 par Anh Tuấn (chant), Hoài Thanh (basse), Hữu Nghị (guitare), Trung Hiếu "Elephant" (batterie), et Ngọc Hà (guitare). Appelé avec beaucoup de tendresse par les fans de tout le pays: "Les Dinosaures du rock", le groupe a toujours officié dans un speed/thrash metal teinté d'éléments du folk des régions montagnardes du Vietnam depuis leur création, sans jamais fait de concession comme la plupart des groupes de leur temps, qui s'assagissent, adoptant les courants plus folk ou alternative pour mieux passer auprès du grand public et aussi pour avoir plus de facilité de trouver des live shows. Cette constance et cette pugnacité, en dehors de leur musique qui est de très belle qualité font qu'ils sont très aimés et très acclamés par les fans malgré le peu d'apparition live de leur part. Beaucoup de die hard fans venaient même assister aux sessions de répète hebdomadaires du groupe chez un cousin de Hoài Thanh, et à chacun de leur rares apparitions publiques, souvent courts et accompagnés de beaucoup de poisse à l'époque, le public était en transe ! 
C'est aussi pour cette raison que The Light était numéro 1 sur la liste des groupes à surveiller du ministère de la culture, chaque fois qu'ils jouaient quelque part, les agents du ministère les surveillaient de près, quand les shows dans lesquels ils étaient programmés n'essuyaient tout simplement pas un refus d'organisation. De plus, la vie est plein d'ironie, quand le nom du groupe est plein de lumière, le parcours du groupe est semé de points noirs et de poisse. Quand ils arrivaient à se glisser dans un programme de concert, leurs lives subissaient toujours des soucis, quand ce n'est pas humain et météorologique comme le concert d'anniversaire du café Vọng, c'était technique comme une enceinte qui pète, une prise jack dysfonctionnelle, etc. 
Et même, en 1998, quand la musique internationale envahissait le Vietnam tout entier, devenait de plus en plus populaire auprès de la jeunesse et le ministère de la culture lâchait du leste sur les programmations et sur les concerts de rock, The Light avait été invité à jouer pendant le festival de la musique mettant à l'honneur des groupes hanoïens (tous styles confondus, depuis la musique traditionnelle jusqu'à la pop, je jazz, le blues, etc.) avec Đại Bàng Trắng et Bức Tường. C'est un festival se déroulant sur 2 jours, organisé par la chaîne VTV3, la chaîne télévision la plus importante du nord de l'époque. Ils étaient programmés pour la fin de la 1ère soirée, les fans étaient présents en très grand nombre et leur impatience était palpable. La tensions était au summum lors du passage du groupe. Mais ils n'avaient pu jouer qu'un morceau et demi car Anh Tuấn, alors en mauvaise santé, est tombé sur scène, perdant connaissance en plein milieu de leur morceau le plus emblématique: "Mong Đợi Mặt Trời" (Attendre le Soleil). 
The Light a donc raté l'occasion de montrer au grand publique hanoïen de quoi ils étaient capables au tout début de la reprise de la scène rock/metal nordiste. Mais ils auront d'autres occasions, plus heureuses, par la suite de monter sur scène avec le développement de l'industrie du divertissement et les rock shows qui fleurissent pendant des années 2000 partout dans le pays. 

Les années 2000 sont aussi un tournant dans leur carrière car ils avaient enfin réussi leur projet de long date de sortir un album. Giấc Mơ Hoang Tàn, leur 1er album tubesque est sorti en 2003, regroupant 8 compositions originales qu'ils ont créé tout au long de l'existence du groupe. De mon point de vue, c'était une bonne chose que le groupe ait du attendre jusqu'en 2003 pour sortir leur 1er album car les conditions d'enregistrement et de production sont meilleurs que pendant les années 90, offrant un album parfait à presque tout point de vue, le seul bémol est peut-être le manque de fluidité entre les morceaux puisque c'est un regroupement des compositions tout au long de la carrière du groupe. 
L'album s'ouvre avec l'hymne du group, "Mong Đợi Mặt Trời", excellent morceau bien lumineux avec les sonorités folks très particuliers, propre aux mélodies des montagnes du Vietnam, les riffs ondulants, filant haut dans les aigus et les chœurs sauvages pour enchaîner sur un "Ước Nguyện" aux mélodies graves et solennelles avant le 3e piste où on retrouve une forte influence d'un certain groupe de thrash américain. Les morceaux suivant s'enchaînent, allant des riffs agressifs aux riffs efficaces, tantôt groovy et bondissants, tantôt rampants et menaçants mais toujours acérés comme la faux sur l'effigie du parti communiste affichée dans tous les bâtiments publiques, avec toujours des éléments du folk montagnard disséminés par-ci par-là tout au long des morceaux. Le groupe nous gratifie d'une magnifique ballade triste à se damner avec "Nuối Tiế"c aux refrains et aux montés qui marquent et qui restent dans l'esprit avant de finir avec le titre éponyme, sorte de fermeture en apothéose. Un excellent album de bout en bout musicalement parlant où The Light déploie tout leur savoir faire technique, leur talent de composition et d'écriture d'une fort belle manière, avec les paroles très profonds et philosophiques. Le groupe existe encore, après quelques changement de line-up, ils participent de temps à autre aux nombreux festivals organisés partout dans le pays. Ils ont pour projet de sortir un second album, mais cet album se fait attendre. 

The Light - Giấc Mơ Hoang Tàn


Tracklist :

01. Mong Đợi Mặt Trời [Attendre le Soleil]
02. Ước Nguyện [Souhait]
03. Let's Boycott Social Evils 
04. Khát Vọng Trở Lại [Espoir Retrouvé]
05. Sea of Fire 
06. Believe In Yourselves 
07. Nuối Tiếc [Regrets]
08. Giấc Mơ Hoang Tàn [Un Rêve en Ruine]

Ce serait un énorme manquement si on parle de la scène rock/metal vietnamienne sans mentionner Bức Tường ou The Wall, un des premiers groupes de rock professionnel du Vietnam. Il faut dire que la progression de la carrière de Bức Tường a été fortement favorisée par plusieurs facteurs : le soutien de leur université, le soutien des fans, ils ont été "choisis" comme un représentant du rock auprès de la jeunesse par les organismes culturels, qui facilitent les apparitions publiques du groupe, créant ainsi une synergie positive, permettant au groupe d'accéder aux contrats d'enregistrement et aux sponsors. De leur côté, le groupe a très vite compris les enjeux de la scène culturelle, alors avec eux il n'est pas question de rébellion, de critique social ou contenu philosophique sophistiqué, ils officient donc dans un registre mélangeant hard rock, folk rock, flirtant même parfois avec du glam et autre hard FM aux paroles simples, lumineux, souvent avec des contenus "pédagogiques" sur la vie et la jeunesse. Cela ne veut pas dire que les paroles de The Wall sont simplistes ou ennuyeux car feu Trần Lập (vocaliste et auteur-compositeur du groupe) était un excellent parolier et poète qui savait raconter des histoires, des belles histoires, cela a grandement contribué au énorme succès national du groupe. 
The Wall est une véritable machine à tube, depuis leur création jusqu'à ce jour, ils ont offert au public vietnamien de nombreux hymnes rock&rollesques, reprises par plein d'autres groupes et chantonnés par de nombreuses générations de rockers et metalleux. Sur les 6 albums sorti, à l'exception du dernier, sorti l'année dernière, 4 ans après le décès de Trần Lập, que je ne connais pas, aucun n'est faible musicalement, chaque album est un bon album sinon excellent avec son nombre de tubes aux riffs efficaces, aux mélodies entraînantes, aux refrains entêtants et aux paroles qui parlent au cœur du public.


The Wall est crée en 1995 avec Trần Lập (vocal auteur compositeur), Tuấn Hùng (guitare auteur compositeur), Nhất Hoàng (Basse), Nguyễn Hoàng (guitare), Đức Hiệp (Batterie). Ils étaient sous la protection de l'université de Génie Civile mais seuls deux membres y étaient étudiants dont Hùng et Nguyễn Hoàng, Nhất Hoàng était étudiant en faculté de langues étrangères, Đức Hiệp était chez l'école d'architecture et Trần Lập était au conservatoire. Ils avaient fait leur premier concert lors du spectacle de printemps organisé par l'université de Génie Civile, en faisant des reprises des ballades connus comme "Don't Cry" des Guns N' Roses ou encore "Before the Dawn" de Judas Priest. Malgré le jeu encore tâtonnant des musiciens, le groupe a rapidement conquis le cœur du public grâce à leur style et la magnifique voix de Trần Lập.
Voyant le potentiel du groupe, le comité culturel de l'université de Génie Civil décide de sponsoriser le groupe en leur donnant l'accès aux instruments de musique de l'école et leur assurait l'accès à la salle de répète de l'université, équipée de tous les systèmes de son nécessaire, c'était une offre en or car ce qu'ils avaient n'était qu'un rêve pour de nombreux autres groupes de la même époque. Ils se faisaient aussi coacher par le comité culturel de la ville, leur conseillant des voies à suivre pour percer dans l'industrie de la musique et du divertissement, d'où les choix d'orientation du groupe qui ont enflammé des débats dans le milieu rock/metal de l'époque. Certains les traitaient de vendu, de groupe de bourgeois politique, mais ce qu'ils oublient, c'est que les musiciens de The Wall sont animés d'une passion sincère, ce sont des gens qui connaissaient les précurseurs d'avant guerre, qui connaissaient les groupes comme Da Vàng et qui souhaitaient continuer le chemin que ces "grands frères" ont ouvert; mais ils connaissaient aussi les difficultés auxquelles se heurte la scène rock/metal vietnamienne et comme pensait très justement Nguyễn Đạt de Da Vàng, Trần Lập et ses amis savaient aussi qu'en restant underground, en n'ayant pas de représentant accepté par le grand public, la scène rock/metal nationale ne sortirait jamais de l'ombre et restera à jamais dans l'amateurisme.
En plus de 20 ans de carrière, le groupe a subi plusieurs changements de line-up, mais les 2 membres fondateurs Trần Lập et Tuấn Hùng étaient toujours là, jusqu'au décès de Trần Lập en 2016 à cause d'un cancer de l'intestin. Le groupe s'est séparé momentanément en 2006, mais se reformait en 2010 et il est toujours actif actuellement, avec un nouveau chanteur Phạm Anh Khoa.
Le 1er album du groupe, Tâm Hồn Của Đá (L'âme de Pierre, un jeu de mot avec la traduction anglaise: Rock's Soul), est sorti en 2002 avec le line-up d'origine sauf la partie batterie assurée par Võ Anh Tuấn qui remplaçait Đức Hiệp. C'est un album de hard rock lumineux aux paroles relatant la vie et la passion de la jeunesse, le désir de mener une vie utile à la communauté, les joie, tristesses et les doutes de la jeunesse sont des sujets traités avec optimisme, aux mélodies entraînantes, les riffs efficaces bien qu'en toute simplicité. Ce premier album ne révolutionne rien musicalement, mais pour la communauté rock/metal vietnamienne, surtout la 3ème génération, c'était une fierté, une continuité de ce que les groupes précurseurs avaient commencé sans pouvoir poursuivre; et surtout, il marque le début de l'émergence définitive du rock/metal dans l'industrie musicale du pays.
Pour ce premier opus, Bức Tường  y inclut une chanson consacrée à une mythologie nationale, attachée à un lieu du nord, le 8e morceau, "Người đàn bà hóa đá" relate l'histoire d'une femme qui se transforme en un rocher à force d'attendre le retour de son mari (une sombre drame familiale sur l'histoire d'un frère et une sœur, séparés car le frère a blessé sa sœur, encore toute bébé, à la tête par mégarde. Craignant la punition des parents, il s'est enfuit. Des années après, la sœur qui a changé de village, se marie avec un pêcheur étranger. Ils vivent une vie heureuse et ont un petit garçon ensemble. Mais un jour, le mari a vu la blessure à la tête de sa femme, s'est rendu compte que c'est sa sœur. Alors le lendemain, il part pêcher et ne revient plus jamais. La femme, n'en savant rien et ne voyant pas revenir son mari, tous les jours, va guetter son retour avec leur bébé dans les bras sur un mont donnant une large vue sur la plage. Au bout de plusieurs années, ils se transforment en rocher). Le groupe réitérera ce genre de compositions avec d'autres mythologies locales dans chacun de leur albums par la suite.
L'album regorge de tubes intemporelles qui vont rester dans le registre des morceaux rocks préférés du public comme "Rock xuyên màn đêm", "Bông hồng thủy tinh" ou encore "Niềm tin cát bụi" et "Đường đến ngày vinh quang". Les morceaux qui retentiront encore long temps après la sortie de l'album. 

Bức Tường - Tâm Hồn Của Đá


Tracklist :

01. Rock xuyên màn đêm [Rock à Travers la Nuit]  
02. Bông hồng thủy tinh [Rose de Verre] 
03. Tâm hồn của đá [L'âme de Pierre]
04. Ngày hôm qua [Hier]
05. Chim hót trời xanh [Chant d'oiseau sur un Ciel Bleu]  
06. Giọt đắng [Larme Amère]  
07. Cơn mưa hoang dã [Pluie Sauvage]  
08. Người đàn bà hóa đá [La Femme qui se Transforme en Rocher]  
09. Niềm tin cát bụi [Croire à la Poussière] 
10. Đường đến ngày vinh quang [Route vers la Gloire] 

Bien que développé plus tardivement par rapport à la scène sudiste, cette scène nordiste va se montrer beaucoup plus dynamique, plus brute et plus audacieuse que sa grande sœur avec de nombreux groupes qui abandonnent très rapidement les reprises pour proposer directement les compostions personnelles extrêmement variées. Si dans le sud, la technicité des musiciens et leurs rapidité à accueillir et à digérer toutes les nouveauté sont un atout, ils pêchent dans leur manière d'amener la musique auprès du grand public, dans ce jeu de séduction qui demande peut-être quelques concessions au profit des compositions plus simples et plus accessibles; dans le Nord, les musiciens n'hésitent pas à mélanger savamment leurs influences pour proposer des compositions plus lumineuses, plus entraînantes et moins torturées. Dans tous les cas, ensemble, ces deux grandes villes sont des moteurs qui encouragent et tirent vers eux d'autres groupes issus des provinces (souvent plus pauvres, moins d'accès aux produits culturelles et aux concerts, donc moins de moyen pour monter et maintenir un groupe). 

L'explosion des années 2000 - vitesse de croisière.

À partir des années 2000, surfant sur le succès grandissant de MTV Asia et la musique pop internationale, les tournées d'artistes internationaux au Vietnam comme Air Supply ou Michael Learns to Rock, et à l'image d'autres pays d'Asie du Sud-est, de nombreux événements musicaux sont organisés au Vietnam, le rock/metal a aussi sa place dans ces événements. 
Sous l'impulsion du succès grandissant des groupes comme Bức Tường, The Light, Thuỷ Triều Đỏ (Heavy prog - Hanoi), la ténacité de Da Vàng qui continue de tourner dans les live shows, et l'apparition d'autres groupes très acclamés du public comme Atmosphère (death metal - Saigon), Final Stage (death metal - Hanoi), on voit l'apparition des événements consacrés uniquement au rock (au sens large, allant du grunge, alternative au death ou thrash sans distinction), on peut citer, parmi les premiers:
  • Rock Festival Event en 2003.
  • Rock SEAGAMES toujours en 2003
  • Rock des trois régions en 2004.
  • Nhiệt Huyết Metal Show organisé par l'université de droit en 2005.
  • Le "rock Việt Airplay show" organisé par la chaîne radio Voix Vietnamienne en collaboration avec l'université d'Art et Culture en 2008.
  • Extreme is Back organisé par le Saigon Rock Club en 2008.
  • Les Soirées "One Night" organisées à Saigon à chaque soir d'Halloween depuis les débuts des années 2000s.

Notons un événement important pendant ces années qui était la naissance de Saigon Rock Club en 2005, initié par Nguyễn Duy Hải, membre fondateur et bassiste du groupe Rock Alpha (groupe crée en 1990, contemporain d'Atomega et Da Vàng), un sort de club/association visant à chercher les sponsors et organiser les concerts dédiés au rock et metal à Saigon, et en même temps, aider les jeunes groupes à avoir un lieu pour se produire, pour se faire connaitre, repérer les talents et les aider à se lancer. Les soirées concerts organisées par le SRC reçoivent énormément de soutien de la part de la communauté rock/metal de tout le pays. Les premières soirées étaient timides, avec les groupes déjà connus du public rock/metal vietnamien, mais elles s'agrandissent rapidement, atteignant plus de 12.000 spectateurs par soirée (pour les soirées concerts dans les salles privée, en intérieur, au Vietnam, c'est énorme). Petit à petit, ces soirées arrivent à programmer des groupes asiatiques, puis internationaux, incluant les groupes de plus en plus extrême, notamment Nargaroth. 

Quelques affiches des concerts organisés par le SRC :





Les soirées SRC sont vraiment une sorte d'oasis pour les fans car si les événements rock officiels et grand public se généralisent de plus en plus, la police des mœurs du gouvernement reste très pinaillante sur les contenus des groupes extrêmes, on ne voit pas les groupes de black, de death ou de harcore dans ces événements, seuls quelques groupes de thrash arrivent de temps en temps à passer entre les filets au moyen de quelques ballades (qui ont toujours du succès auprès du public vietnamien), alors la programmation des soirées SRC avec du death, black, groove, hardcore etc. est très prisée. Le SRC pose les premières pierres pour un modèle d'organisation qui va être suivi par d'autres musiciens ou tout simplement des passionnés afin de pouvoir proposer de plus en plus de soirées pour répondre à la demande des fans pas toujours parmi les plus riches.
Nous notons aussi l'apparition des émissions télé et concours qui permettent aux groupes de jouer, de se faire connaître; et le plus important, en cas de victoire, de pouvoir profiter d'un soutien financier pour sortir leur premier album, ou le cas échant, profiter d'une structure professionnelle qui les soutient, les guide pour continuer à avoir d'autres contrats de show, rester dans la course de l'industrie du divertissement, puis de sortir leur propre album le temps venu. Parmi ces événements, on peut citer les premiers comme le Tiger Translate - Rock Your Passion (sponsorisé par la marque de bière Tiger), Rockstorm (sponsorisé par Mobifone), Unlimited Symphony (sponsorisé par Rồng Đông Dương, un groupe de distribution d'agroalimentaire et de tourisme). Ces dernières années, surfant sur la vague américaine, les émissions comme Xfactor Vietnam ou Vietnam's got talents voient le jour. Certaines jeunes formations en profitent aussi pour participer en espérant décrocher le sésame financier à la clé.
Mais les labels et les structures spécialisées dédiés uniquement au rock et metal tardent à arriver. Les groupes doivent toujours négocier avec les grands majors historiques qui préfèrent la pop et d'autres formes de musiques plus facile à vendre et se débrouillent pour faire leur propre communication. Il faut attendre jusqu'en 2008 pour voir la naissance du label Purple Echo au Vietnam, qui souhaite se spécialiser dans le rock et le metal du Vietnam, ils espèrent pouvoir promouvoir de nouveaux talents via leur labels. A la même année, sortait le premier magazine spécialisé: Thế Giới Rock - Metal Zone, projet soutenu par la société Rồng Đông Dương. Malheureusement, ces deux projets ne vont pas durer. 
Pourtant, avec autant de groupes passionnés au savoir faire technique de plus en plus excellent et à la volonté solide, le soutien grandissant des fans de cette musique "bruyante", les événements dédiés plus ou moins nombreux qui se développent, la scène reste plutôt confidentielle, et à chaque fois qu'on pense que l'oiseau pourra déployer ses ailes, on assiste à une scène de pinguin qui essaie de voler de toutes ses forces sans succès!
Si on met de côté la concurrence d'autres courants musicaux qui ont fait leur entrée en même temps que le rock/metal à l'ouverture économique comme le jazz, le funk, la soul, le rap, le Rn'B, le hiphop, etc. et qui raflent une part non négligeable la disponibilité du jeune public et préféré par les autorités ainsi que les producteurs/promoteurs culturels, on peut constater que malgré la passion et la volonté des acteurs de la scène, elle n'arrive pas à prendre une grande place dans le paysage musical, culturel et du divertissement du Vietnam car elle est au centre d'un cercle vicieux composé de plusieurs facteurs :

-  Tout d'abord, la scène est historiquement portée par différentes générations de mouvements étudiants, les musiciens sont d'abord étudiants et le cœur du public est  étudiant- lycéen. Concernant les groupes, ils sont souvent instables à cause de leur statut, car les voyages d'étude à l'étranger, mettent en danger la carrière des groupes qui perdent un membre, parfois difficile à remplacer; ou une fois les études finies, la vie quotidienne les rattrape avec leur travail officiel, la famille, etc. Extrêmement peu sont les groupes qui arrivent à gagner leur vie avec la musique, donc sans passion et une vraie ténacité, les groupes finissent par se séparer. Au niveau des fans, le public étudiant et lycéen font parti des publics les plus pauvres du marché. Même s'ils souhaitent vraiment soutenir les groupes, à part acheter les albums (que les groupes peinent à sortir à cause du budget), les billets des concerts et événements organisés restent assez cher pour ce type de public. Seuls les événements avec beaucoup de sponsors qui permettent de réduire les frais des billets leur sont accessibles.
- Ensuite, le manque de lieu qui les accueille en concert. Même si à Saigon, historiquement, il existe de nombreux salons de thé, de bars concerts, d'arénas, de salles de spectacle part rapport à Hanoi et d'autres provinces, pour organiser un concert dans ces lieux, il y a toujours un coût et les lieux préfèrent booker les programmes traditionnelles, les groupes de v-pop ou d'autres styles de musique qui plaisent à un public de travailleurs ou la classe moyenne qui peuvent payer les billet, qui consomment et qui ont moins mauvaise réputation que le public rock/metal. Ce qui fait que la scène est extrêmement dépendante des sponsors qui organisent de temps en temps des live shows comme (Tiger Beer, Mobifone, etc.), mais ces live shows sont plutôt ponctuels et doivent suivre des demandes des sponsors. Même les soirées de musique organisées par les universités n'ont lieu qu'une ou deux fois par an, mais ils ne sont pas les événements dédiés exclusivement au rock ou metal.
- Et enfin, la scène souffre toujours de sa propre image, entre les fans hooligans pendant les concerts (bagarre, cassage, etc.) et son images de mauvaise musique qui fait l'apologie de la violence et d'une vie marginale (le jeune âge de la plupart des fans fait qu'ils expriment ce côté marginal avec les manières de vivre et de s'habiller différentes de la masse et leur habitude de cracher sur la musique grande publique n'arrangent rien), ce qui fait que le rock/metal est le courant le plus contrôlé, filtré et surveillé par le ministère des mœurs et de la culture (bien pus que le rap, qui porte en son sein presqu'autant d'éléments de rébellion et de marginalité). Les organisateurs de concerts ont toujours peur que leurs événements n'obtiennent pas d'autorisation s'il y a quelques groupes de rock/metal dans leur programme, alors n'en parlons pas des événements dédiés exprès au genre. Les groupes et le contenu des chansons sont scannés à la loupe par la police des mœurs à chaque fois. Même pour sortir un album, les groupes et les producteurs qui acceptent de les produire subissent le même sort. Il peut même arriver qu'un producteur de musique soit surveillé après avoir produit quelques albums de rock/metal (ce qui explique que certains groupes de la scène underground passent par les producteurs et labels thaïlandais ou chinois pour éviter ces restrictions), la distribution et la communication restent avec un circuit très amateur, underground et diy. Même les propriétaires des salles de spectacles ou des bar ont souvent peur quand ils ont des demandes d'hébergement d'une soirée concert rock/metal car la plupart du temps, le concert finit avec de la casse, des bagarres et l'intervention de la police. Si bien qu'avec le temps, les évènements arrivent avec les messages de prévention sur les affiches (du type : pas de bousculade, pas de cassage de matériel, pas de lancer de bouteille d'eau, etc. sous peine d'arrêt immédiat et total du spectacle).

Voilà dans les grandes lignes les problèmes de la scène rock/metal vietnamienne pendant leur période la plus faste. Rien n'a vraiment changé par rapport aux premiers jours. Depuis 2010, la situation s'améliore avec un public qui grandit et qui conserve la même passion pour leur musique préférée, ils s'assagissent et se rendent mieux compte des enjeux sociaux concernant leur communauté et leurs artistes préférés. Par contre, les tristes légendes perdurent et se racontent parmi la nouvelle génération de fan, alors c'est autour des anciens de mieux faire le travail de communication et d'éducation envers la génération qui leur emboîte le pas, la responsabilité de montrer l'exemple de la génération d'avant, comme disait feu l'artiste Trần Lập. Cela se fait via des débats enflammés (malheureusement souvent stérile) à travers différents réseaux sociaux et/ou forums spécialisés, les consciences s'améliore nettement mais on observe toujours un peu de snobisme des fans vis à vis d'autres musiques, à croire que c'est une malédiction!
Le gouvernement lâche un peu du leste depuis que de plus en plus de groupes vietnamiens ont réussi à gagner la notoriété en dehors du Vietnam comme Black Infinty (melodic death), Disgusted (death metal), UnlimiteD (prog metal), Hạc San (prog metal) ou plus récemment Annam Band (metal symphonique sur les thèmes historique et mythologique du Vietnam) grâce aux échanges internes entre communautés rock/metal asiatique, mais aussi grâce aux émissions de télévisions qui font concourir des groupes venant de tout l'Asie. Pourtant, il ne faut pas croire à une liberté totale quant à la publication ou les live shows qui doivent toujours passer sous un strict contrôle gouvernemental avant. Les ventes de CD vers l'étranger restent toujours délicat car les frais pour exporter les contenus physiques (les ventes numériques via les plateformes de streaming ou bandcamp restent accessibles, le gouvernement semble ne pas arriver à contrôler ces canaux) sont coûteux avec beaucoup de contrôles et le processus de validation est long et pénible.
Les fans, après une longue période de recherche, commencent à s'organiser pour créer des lieux et des structures soutenant la scène comme le cas du Sol Noctis Record, une boutique spécialisée dans la musique extrême, travaillant avec des labels internationaux visant à distribuer des produits comme cassettes, CDs, vinyles et d'autres merchs importés, choses rares jusqu'à peu au Vietnam car habituellement, les metalleux vietnamiens attendent leurs copains qui voyagent pour leur ramener dans les valises leurs commandes. Autrement, les contrôles de la douane font que les produits arrivent très tardivement, endommagés ou n'arrivent tout simplement jamais, sans compter les taxes toujours exorbitant pour ce genre de produits. Sol Noctis fait aussi relai de distribution pour les groupes nationaux, surtout les groupes undergrounds qui n'ont pas de réseau de distribution à part le DIY.


On peut aussi évoquer la création très récente de House of Ygra, label indépendant crée par les musiciens et techniciens derrière Elcrost, groupe de post-black hanoien, visant à promouvoir et soutenir le travail des artistes de la scène extrême. Actuellement, à part Ecrost, ils ont signé avec Vong (raw black) et Rêvasseur (melodic death).


D'autres se mettent à l'organisation de concerts dans les bars dédiés au rock qui se développent en cherchant des sponsors, et en jouant de leur ingéniosité pour contourner le systèmes de contrôle strict du ministère de la culture. 
En somme, la scène est une scène jeune qui ne cesse d'évoluer avec les générations qui se succèdent, chaque génération qui arrive essaie de proposer des musiques différentes de celles jouées par leurs prédécesseurs. Il y a des groupes de légende qui ont marqué les esprits et dont les noms sont incontournables au sein du public et le nom des membres suscitent toujours le respect. Il y a quelques groupes grands publics (souvent alternatif, folk et heavy) qui arrivent à passer à la télé au prix de quelques concessions. Mais il y a surtout une vaste scène underground avec des groupes proposant une grande variété de style extrême allant du thrash, death, groove, hardcore, metalcore au raw black et BSDM. Dans cette communauté regorgeant de vie et de créativité, la passion et l'esprit DIY sont de mise car ils n'ont pas d'autres choix s'ils veulent faire de la musique, les sponsors vont et viennent mais ne constituent pas une base de soutien. C'est pourquoi ils sont très présents sur les médias virtuels, surtout le réseau asiatique; ils commencent aussi à s'approprier bandcamp tant que c'est encore possible.
Les commentaires (souvent de personnes qui ne connaissent la scène que superficiellement) disant que la scène vietnamienne se meurt avec le temps ont torts. Elle ne se meurt pas, elle est juste extrêmement variée, les acteurs sont peut-être volatiles, mais elle ne cesse de se transformer et se renouveler. Elle continue de vivre comme la lave qui coule sous la roche, lentement peut-être, mais bien vivante et ardente. Il y a des périodes fastes comme le début des années 2000s, et d'autres périodes plus calmes mais les artistes musiciens n'ont jamais cessé de jouer et de créer, d'une génération à d'autres. Les acteurs manquaient de but commun, manquait d'organisation et de soutien, mais on observe un changement dans l'organisation et dans la solidarité des acteurs de la scène. Cela prend du temps, mais il finira par arriver. Et peut-être qu'un jour, quand le régime changera, la scène trouvera un moyen pour sortir un peu de l'underground pour mieux se stabiliser et les musiciens vont moins galérer que maintenant.

Petite liste des groupes de la scène extrême en dehors des groupes déjà cités dans l'article : Final Stage (death metal), Atmosphere (death metal), Voluptuary (groove death metal), Ngũ Cung (heavy metal), MicroWave (neo metal), Oringchains (neo metal), ROT (black metal), Sword of Darkness (premier groupe de black metal du Vietnam qui s'est expatrié aux USA avant de se séparer), District 105 (hardcore beatdown), Polar Lost (old school death/groove), Titanium (thrash), Sago Metal (Heavy), Prophecy (alternative), Proportions (post-metal, post-black), Nuclear Factors (groove metal), Hysterical Buffalo (metalcore), In Your Eyes (metalcore), Cút Lộn (crossover thrash punk nawak), Bụi gió (alternative), Hemelians (heavy), Parasite (neo), White Noise (alternative).

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Texte : Dee Cooper

Dessin : Antoine B.

Kab Cheol Jeong - Hanoi



Sources :

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  • https://tuoitre.vn/soi-dong-rock-viet-thang-10-2008-286024.htm
  • http://hehemetal.com/news/cap-nhat-show-dien/saigon-rock-club-union/
  • https://tuoitre.vn/rock-sai-gon-chuyen-dong-289038.htm
  • https://vietcetera.com/en/struggling-for-a-scene-the-story-of-vietnamese-hardcore-musi
  • http://www.baodongnai.com.vn/dong-nai-cuoi-tuan/202003/rock-viet-nhung-dau-an-kho-phai-2992987/
  • https://www.facebook.com/DaVangband/
  • https://www.facebook.com/saigonrockclub/
  • https://www.facebook.com/SolNoctisRecords
  • https://www.facebook.com/House.of.Ygra

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