Maelstrom de violence et de romantisme, Passéisme mêle la force des sentiments à la puissance d'un black ultra-mélodique, extrêmement rapide.
Passéisme est apparu dans l'underground de la ville russe de Nizhny Novgorod en 2019, pour délivrer la masse bouillonnante de décadence, d'esprit triomphal, de vagues de nostalgie et de purgatifs vortex du passé.
___________________________
Salut Passéisme ! Comme à chaque interview, pour la première question, peux-tu te présenter ?
KK : Salutations ! Eh bien, comme il s’agit de la première interview qu’on donne, il serait plus approprié qu’on laisse notre présentation s’étaler tout le long de notre discussion. Passéisme est un groupe composé de trois membres, et ces musiciens qui se sont rencontrés il y a un moment sont ici pour apporter de l’énergie et s’exprimer dans ce Black Metal contemporain dormant.
Pour ce premier album, comment en êtes-vous venus à collaborer avec Antiq et certains musiciens du label comme Hyver Mor (Grylle, Hanternoz, Véhémence), Sparda (Creature) ou encore Geoffroy Dell’Aria (Les Bâtards du Nord) ?
KK : Cela remonte à 2019 lorsque je cherchais un bon label à qui envoyer notre démo « Austerity Parade » de deux morceaux fraichement enregistrée. Je connaissais Antiq depuis quelques années déjà, il faisait partie de la liste de labels qui m’intéressaient. Tu sais, quand t’es un groupe inconnu avec une première démo t’as pas beaucoup de contacts dans le milieu underground du Black Metal, et les gens peuvent seulement se faire une idée de qui tu es via ta musique (et non pas via le nombre de coups bus ensemble, de sorties ou de discussions de merde). En premier lieu je n’ai pas eu de réponse de la part d’Antiq, mais après quelques mois Hyver Mor nous a contactés, et il s’avère qu’on s’est facilement trouvé beaucoup de points communs, et maintenant on a un très bon accord avec Antiq. Sparda et Geoffroy sont des gars de chez Antiq, et on est très heureux d’avoir une petite collaboration avec eux sur notre album. Ils ont vraiment de très bons gouts en termes de composition, et ça rend Eminence encore plus éminent !
Vous vous rejoignez tous autour de la fascination des temps anciens, votre nom y réfère. Comment cette fascination se reflète-t-elle dans votre musique ?
KK : J’aime bien le mot que tu emploies, fascination. Cela fait référence à la Rome antique avec ces chants fescennins, une poésie grivoise et souvent obscène issue des rituels de récolte. Je pense que la musique de Passéisme est d'abord fascinante par la fête. Ce n'est pas comme un deuil sur des ruines d'une manière romantique, mais plutôt une célébration de l'indiscipline qui nous emmène dans les vrais temps anciens. On peut l'entendre dans notre manière de chanter et dans notre façon de jouer, qui sont des éléments de base de notre musique.
D’où vous vient votre passion pour la poésie française ?
KK : C’est une chose personnelle et j’ai finalement trouvé un endroit pour l’exprimer. Je suis un grand lecteur de poésie européenne du XIX-XXème siècle depuis des années. J’en suis venu à penser que c’est comme ça que le temps, l’histoire, l’art et la mémoire fonctionnent en synergie : tout ça a sa propre structure des évènements, des occasions, et est révélateur des incidents. Un groupe comme Passéisme est un bon exemple de tels événements. La plus grande des passions est pour moi la poésie dite « décadente », « symboliste » et « avant-garde ». Elle s'éloigne de la ligne continue de l'historicisme (qui a été définie par le siècle des Lumières) pour se diriger vers des endroits où le temps commence à tourbillonner et où, plus il avance rapidement, plus les temps passés apparaissent dans son sillage.
Est-ce que tu penses chanter en français un jour ? Ou inviter quelqu’un pour le faire ?
KK : Qui sait, peut-être un jour eheh. Mais je dois dire que ça prend vraiment pas mal de temps d’écrire des paroles pour un album. Et puis j’ai été surpris de voir à quel point la poésie française était mal traduite en anglais. Ici en Russie on aime beaucoup traduire de la poésie française écrite par de célèbres auteurs russes comme Voloshin, Bryusov, Sologub, Annensky… Avec ça tu obtiens vraiment un point de vue russe sur cette poésie. Personnellement je ne parle pas français, mais qui sait, peut-être un jour…
Quand on écoute Eminence, on ressent une énergie punk, pleine de désespoir comme la chute des poètes maudits. Pour toi le Black Metal c’est une nouvelle forme de romantisme ?
KK : Pour moi tout est une question d’attitude. Soyons franc, on ne vit plus dans une ère romantique. Nous n'aspirons plus à la Vérité qui était il y a longtemps et qui a disparu. Nous ne cherchons plus les racines, la spiritualité transcendantale. Cette énergie punk, de désespoir et ce paysage de ruine sont ici pour représenter cela. Pas juste pour l’observer de loin, mais pour prendre part à la fête et garder une grimace de détachement sur nos visages.
Lorsque nous abordons la notion de regard vers le passé, nous nous heurtons inévitablement à ceux qui pensent que "c'était il y a longtemps" et à ceux qui, au contraire, n'y voient qu'un retour en arrière qui nous empêche d'évoluer. Comment vois-tu cette notion ?
KK : La plupart des musiciens se moque un peu de développer leur côté conceptuel pas vrai ? Eheh. Je trouve que ces deux points de vue n’ont plus de sens aujourd’hui. Est-ce que ces gens-là pensent toujours qu’il n’y a qu’une ligne droite historique qui nous mène d’un point à un autre ? On vit à une époque de « présentisme » total, et aujourd’hui on n’est pas sûrs d’avoir un futur. Tout ce qu’on a c’est la mémoire, et c’est quelque chose de mythologique qui n’est pas défini dans le cours du temps. La mémoire fonctionne comme une extase, un événement, un affect et une fascination, et on n’a pas besoin d’ « évoluer ». Le passé n’est désormais plus si loin, et on peut y prendre ce que l’on veut et s’en servir à notre guise. On peut rendre les choses esthétiques : le passé ne nous donne pas d’instruction sur comment l’utiliser. Donc soyons clairs, la mémoire n’est pas une histoire, et c’est comme ça que Passéisme se conceptualise.
Dans le Folk, le Pagan, on est habitué à regarder vers le passé, mais dans Passéisme ce passé est plutôt récent, moins « mythologique ». Comment faîtes-vous pour recréer cette « atmosphère » à la fois ancienne mais proche ?
KK : Oui, c’est une bonne question. Comme je l’ai dit précédemment, de nos jours le passé n’est plus éloigné. La date de certains événements passés n’est pas très importante, ce qui importe c’est comment cela sollicite notre mémoire. Le passé ne peut être conservé que comme une image qui a brillé un instant comme une étincelle. C'est une chose dangereuse, on idéalise de nouveau le passé. Ce n’est pas l’utilisation habituelle de « mythologique » mais oui, c’est mythologique, mythologique par excellence. Elle s'oppose à la compréhension de l'histoire comme quelque chose de métaphysique, comme un déplacement du passé vers le présent puis vers le futur sur une ligne droite, en un même flot continu. Nous devons regarder le passé depuis le point de notre existence, nous faisons ce choix à chaque fois. Nous avons toujours possédé le passé. Le passé est maintenant, pas quelque part dans les temps anciens, il ne l’a jamais été. La temporalité est une structure qui donne naissance à tout mouvement en son sein, et de là des milliers d'entrecroisements apparaissent.
Pourquoi avez-vous découpé votre album en différent « chants » ?
KK : Ça fait sophistiqué pas vrai ? Personnellement j’aime donner des titres d’un seul mot, et ces « chants » font un peu démodés et emplis de pathos. Un pas de plus vers le concept Passéisme.
À l’instar du Folk Metal, est-ce qu’un jour vous pensez incorporer des éléments musicaux anciens ou utiliser des œuvres de compositeurs de la période Romantique par exemple ?
KK : Peut-être, peut-être… Mais pour l’instant on sort Eminence. Notre contenu est composé et il est de plus en plus punk et direct. Un esprit ardent continue de nous guider vers une humeur festive ces jours-ci…
Un dernier mot pour la fin ?
KK : Laissons les mots de Rimbaud dans le chant de Passéisme s’exprimer :
« Fol éveil, sanctifié ! Nous dévouons entièrement nos vies. »
___________________________
Questions : Morgan
Traduction : Lucas L.
Commentaires
Enregistrer un commentaire