10 albums pour découvrir le "Punk Extrême" chinois


La scène Punk chinoise fait partie des facettes les plus underground de la culture contemporaine chinoise. Localisée principalement à Wuhan, berceau des pionniers du Punk celtique chinois SMZB (生命之餅), elle s'est aussi beaucoup développée à Hong Kong en parallèle du cinéma indépendant, comme l'étudie dans sa thèse Nathanel Amar, développant d'important dispositifs et usages politiques pour résister à l’hégémonie culturelle et au soft power entretenu par Pékin. Cette construction en opposition politique permanente au CCP a construit et défini en partie la scène hongkongaise et des groupes comme RegretRokkasen (六歌仙) ou CharmCharmChu (慘慘豬) mobilisent ces positionnements politiques ainsi que leur culture locale pour créer une scène hors de la Chine continentale - quand bien même CharmCharmChu (慘慘豬) ait signé récemment chez Dying Art Productions, label historique de Pékin, portant ainsi leur message hors de Hong Kong. 


C'est cette volonté, ces revendications socio-politiques ainsi que cet important ancrage au sein d'une identité locale qui fait que Hong Kong, tout comme Taïwan, n'a encore une fois pas été intégré à un article sur la Chine, quand bien même les discours officiels de Pékin les désignent comme faisant partie intégrante de la Chine. Cet état de fait souligne une caractéristique importante du "Punk chinois" au sens large : l'importance et l'incorporation de la culture chinoise dans leur Punk. Caroline Aim, dans son Histoire du Rock chinois, expose le fait qu'il y a : « en Chine une très grande fierté d'être chinois par rapport à l'héritage culturel du pays. Pour les punks, être chinois a comme pour le reste du peuple son importance, et même si critiquer le gouvernement signifie être un traître, ils n'en sont pas moins patriotes. Les directives politiques principales qui les influencent sont l’absence de droits humains et le manque total de liberté d'expression et non pas la culture du pays. ». Des groupes de Punk communiste et/ou anarchiste contre le parti communiste chinois : des artistes se réclamant de l'extrême-gauche tout en contestant la politique de l'État chinois pourrait encore aujourd'hui paraitre un paradoxe, tant l'idéologie dominante a insisté pendant des décennies sur le fait que la Chine était communiste, et qu'un parti se nommant « Parti communiste chinois » gouverne encore le pays. Pourtant, ce parti regroupe un grand nombre de milliardaires exploitant des centaines de millions de personnes en Chine et dans les pays voisins, et la Chine est aujourd'hui un pays entièrement intégré au marché du capitalisme mondial, en étant le lieu de fabrication d'une bonne part des marchandises que nous consommons à travers le monde, fruits du travail de centaines de millions d'exploité.e.s. 

Régulièrement, la presse et l'idéologie dominante, tout comme les organes de propagande de l'État chinois, les uns dénonçant les affres de la dictature de Xi Jinping et les autres vantant son « succès économique », dépeignent la Chine comme étant représentative du résultat des idées communistes, et celle-ci sert de repoussoir pour discréditer tout idéal d'émancipation. Le PCC serait encore l'héritier du « communiste » Mao Tsé-toung. Or, malgré tout ce que les médias dominants et beaucoup d'universitaires ont pu en dire, la politique de Mao, pas plus que celle de ses successeurs plus libéraux sur le plan économique tels que Deng Xiaoping, n'a jamais été communiste. 


Pour le comprendre, et avoir un regard plus précis sur le contexte dans lequel prend place l'activité des groupes auxquels nous nous intéressons aujourd'hui, il faut revenir plusieurs décennies en arrière, au moment où Mao et ses compagnons d'armes prennent le pouvoir en 1949. L'objectif du PCC est alors de limiter l'emprise des pays impérialistes sur la Chine, car depuis le XIXème siècle et la « guerre de l'opium », ceux-ci ne cessaient de piller le pays et d'asservir sa population. Même la révolution chinoise de 1927 n'avait pu mettre fin à cette exploitation féroce puisque le Kuomintang de Tchang Kai-chek écrasa l'insurrection ouvrière et mit en place une dictature sans s'opposer autant que ne le fit Mao à la mainmise des États impérialistes occidentaux. C'est à la tête d'une immense révolte paysanne qui a lieu à la fin de la Seconde Guerre Mondiale que Mao prend le pouvoir, mais sans avoir jamais comme perspective de mettre fin à une société où les richesses sont accaparées par une minorité d'exploiteurs. Bien au contraire, il déclarait en 1945 que « le programme de la révolution n'est pas d'abolir la propriété privée, mais de protéger la propriété privée en général ; cette révolution ouvrira la voie au développement du capitalisme ». Et c'est bien ce qui s'est produit dans les faits. La mainmise du PCC sur l'économie chinoise, sous l'effet d'une politique nationaliste hostile à l'impérialisme, permit à la Chine de se moderniser, mais sans que cela ne s'accompagne d'une prise de pouvoir des exploités eux-mêmes, comme cela fut le cas lors de la révolution russe d'octobre 1917 durant laquelle ce sont les ouvriers, appuyant la politique du parti bolchévique, qui ont chassé le gouvernement bourgeois de Kérenski et instauré leur propre État, à partir des conseils regroupant paysans pauvres, soldats et ouvriers : les soviets... jusqu'au moment où Staline étrangla le processus révolutionnaire qui avait lieu dans une Russie isolée. Mao, quant à lui, ne fit en réalité que repeindre en rouge l'État qui existait avant lui, sans remettre en cause le capitalisme et sans s'appuyer sur les masses ouvrières opprimées. Il nationalisa l'économie, mais ce ne fut que pour reprendre en main une économie arriérée. Une fois que celle-ci fut assez développée, ses successeurs, Deng Xiaoping le premier, ont réintroduit la Chine dans le marché mondial en ouvrant dès 1979 ce qu'on a appelé les « zones franches », où les entreprises capitalistes occidentales pouvaient exploiter les ouvriers selon leurs propres modalités, avec l'appui de l'État chinois. Aujourd'hui, les ouvriers chinois, qui sont des centaines de millions, sont surexploités dans les usines sous-traitant la fabrication des marchandises qui transitent à travers le monde entier. L'État chinois permet de maintenir cette exploitation en n'autorisant comme syndicats que ceux qu'il impose dans les usines, et en faisant subir une dictature de fer à l'ensemble de la population chinoise, ouvriers comme « classes moyennes » et paysans appauvris. Rien ne peut donc laisser penser, mis à part la phraséologie du PCC parlant d'un « socialisme chinois », que la Chine est autre chose qu'une féroce dictature capitaliste. Et c'est de cela dont parlent les groupes auxquels nous nous intéressons aujourd'hui.

Une fois encore le format du "top" nous semble un moyen de rendre la plus intelligible possible une scène aux nombreuses facettes, somme toute très large, c'est pour cela que nous nous sommes concentrés sur ce qu'on qualifie de "Punk Extrême". Ce que nous entendons par là, c'est la ramification la plus violente et extrême du Punk sans tomber - tout du moins complètement - dans le Metal, même si vous allez le constater, de nombreux groupes entretiennent des liens étroits avec le Metal Extrême. Vous y trouverez du Punk Hardcore, du Crust, du Grind, de la PowerViolence ainsi que de l'Emoviolence, chaque album permettant de mettre l'accent sur des enjeux sociaux, politiques, émotionnels et culturels. Vous l'aurez compris, il n'y a pas de classement, les albums ont été choisis pour faire découvrir et explorer cette scène punk singulière où se mêlent style punk et style chinois.  

*****
  • Gouride (狗日的) – 狗日的 (Album, 2011)

Après une première démo   (Chai) sortie en 2004, Gouride (狗日的), groupe formé d'expatriés canadiens et localisé à Kunming, sort son premier album éponyme. Un album de pure énergie Punk et extrême profondément ancrée dans les réalités chinoises, alors que sur la démo certains titres étaient en anglais et en français, ce premier album est entièrement écrit et chanté en chinois. Des titres comme « 为人民币服务 » qui se traduit par « Au service des RMB », qui fait référence au Yuan (la monnaie chinoise), dénonce la quête incessante des classes les plus puissantes de Chine pour l'argent et le pouvoir. « 在刚果 » (Au Congo) puis « 杜拜 » (Dubai) parlent de la politique extérieure de la Chine, la main-mise du gouvernement sur les ressources d'Afrique, et enfin du double discours envers les musulmans à l’étranger en commerçant avec les plus riches, tout en persécutant les minorités musulmanes sur leur territoire. Le groupe aborde aussi des thèmes plus récurrents du Crust / Hardcore comme le véganisme, l'anarchisme et la lutte des classes !

Gouride (狗日的) est l'expression même d'un Crust Punk / Hardcore que l'on pourrait qualifier de « chinois » même s'il est composé de membres canadiens : ces derniers sont profondément conscients des enjeux sociaux de la Chine mais aussi de la culture Punk mondiale. Le groupe fait explorer une révolte sonore de Punk extrême sur chant militant chinois et sonorités quasiment martiales.

  • Huntuo (昏脱) – Kick Out (Album, 2013)


Sorti en 2013, puis réédité avec un artwork différent en 2015, Kick Out d'Huntuo (昏脱) est sans doute l'album le plus Metal de notre sélection, avec son successeur de Speak Chinese or Die. Puisant autant dans le Crust que le Grind et le Death Metal, l'album nous transporte dans les rues animées des villes chinoises. C'est crasseux et urbain, Huntuo (昏脱) nous transpose dans les réalités des ruelles délaissées. Le chant est parfois Grind / Death, émanation brute des relents nauséabonds des bas-fonds, parfois Punk Hardcore, révolté par la réalité qu'il crie.

Huntuo (昏脱) dresse un état de fait consternant face à ces zones urbaines délaissées, laissées à l'abandon, où les gens sont obligés de vivre car n'ayant pas eu la chance de naître dans les hauts et beaux grattes-ciels des nouveaux quartiers.

  • Speak Chinese or Die – SCOD (Album, 2014)


Si vous suivez Scholomance depuis quelques temps, vous êtes forcément déjà tombés sur ce nom. Un nom qui fait directement référence à « Speak English or Die », premier album du groupe de Thrash Crossover US Stormtroopers of Death (S.O.D.). Nom qui, aux dires de Ben leur chanteur français, est une critique pour tous les expatriés qui vivent en Chine sans même en parler un seul mot et ne vivant qu'entre eux.

SCOD est le premier groupe de Punk « Extrême » que j'ai découvert. Puisant allègrement dans le Grind et le Hardcore, ils sont originaires de Wuhan, berceau historique du Punk chinois. On retrouve dans le line-up les membres de Huntuo (昏脱). L'album est, à l'image de sa pochette, réalisé par Ivan Brun, elle montre la réalité crue de la pression sociale chinoise en se basant sur un fait divers qui a secoué la Chine. On y voit des lycéens sous perfusion en train de travailler pour passer le Gaokao, le BAC chinois. Dans son album, SCOD, en passant d'un Grind « sérieux » à des passage plus Punk festifs, veut se battre contre cette image de la Chine, et rêve d'un pays plus insouciant, où l'on pourrait simplement s'enivrer et profiter d'un pays qui a une culture millénaire, un peuple accueillant et des paysages sublimes. Une Chine débarrassée de la pression sociale et étatique.

  • Hell City - Chaos Has Never Stopped (EP, 2015)


Dans la ligné de Gouride (狗日的), Hell City mêle et transpose les enjeux politiques et sociaux du Punk à ceux de la Chine ; comme c'est le cas avec les titres « Chaos P.R.C » qui fait référence au « People's Republic of China », autrement dit la Chine continentale ou encore « Voice of China ». Au travers de leur Crust Punk aux forts accents Metal, Hell City veut transformer Pékin, leur ville d'origine, en un lieu de contestation digne de Wuhan. L'EP se fait la voix d'une musique contestataire avec des chants qui reprennent en chœur les paroles qui deviennent slogans militants, scandés en anglais pour toucher le plus grand nombre.

Le groupe invoque aussi une grande figure dans le très motörheadien « Bruce Lee », l'acteur et maître en Arts Martiaux devenu symbole de la lutte contre l'oppression du gouvernement Chinois et d'une identité chinoise loin de celle prônée par le PCR. Cette image de Bruce Lee que l'on retrouve également dans Voodoo Kungfu est devenue d'autant plus impactante que Hong Kong est le théâtre de nombreuses luttes contre la politique menée par Pékin pour asseoir sa domination culturelle et gouvernementale.

  • Die Chiwawa Die ! / Struggle Session - (Split, 2017)

Sur la premiere face du split nous retrouvons Die Chiwawa Die !, groupe cantonais de Punk Hardcore créé en 2015. Si leur première démo n'a rien de remarquable, avec un punk aux influences hardcore sans grande identité, nous retrouvons sur ce split un tout autre groupe, cette fois-ci emmené par deux voix, une masculine punk qui donnera toute sa rage au groupe et une seconde féminine criant à la folie, appuyées par des dissonances au clavier et à la guitare. Comme si à bout d'oppression, d'engagement, le groupe était devenu fou et voulait décharger toute sa démence en musique. Le tout donne un rendu unique et attribue au groupe une identité propre.

Sur la seconde face, on retrouve Struggle Session, un groupe pékinois d'expatriés (dont Nevin Domer officiant dans la scène Punk pékinoise depuis plus de 15 ans et fondateur du label Genjing Records). Se décrivant comme un groupe de Fastcore, Struggle Session puise ses influences parmi de nombreux sous-genres de la scène. On y retrouve de la Powerviolence comme sur le morceau « Stupid Energy », de la D-Beat, du Grind voire des riffs Sludgy sur la piste « Howler ». Cette face vous entrainera dans 20 minutes survoltées au milieu des pogos des salles pékinoises.

  • Loudspeaker - 淞沪肉啃肉 (Album, 2018)

En 2018 les pionners du Crust shanghaien Loudspeaker sortent leur cinquième album 淞沪肉啃肉 (Songhu Rock'N'Roll) et nous livrent un Crossover/Crust aux influences Black Metal.

Un album de treize pistes survoltées qui raviront les fans du genre, des morceaux expéditifs Dbeat/Crust incarnant la rage tels que “不要变痴呆”ou “尘埃”, le groupe ne nous laissera aucun répit pendant les huit premiers morceaux. Dans la neuvième piste, nous retrouvons une reprise de "Pet Sematary" des Ramones dans une version plus crasseuse et speed, où l'on se retrouve à scander en coeur avec le groupe "I don't want to live my life again !". Sur le morceau suivant 肉啃肉" Loudspeaker nous emmènera plus profondément dans ce mal-être avec des riffs Black lancinants, transpirant le désespoir. Les trois derniers morceaux arrivent, on se remet en selle et c'est reparti pour la guerre : ça blast, ça riff, ça hurle pour nous emmener sur cette fin d'album avec toujours plus de frénésie.

Loudspeaker vous changera en 33 minutes en bon crust prêt à jeter le pavé sur le premier CRS passant.


  • Demerit (过失) - Out Of The Fog (Album, 2018)


Créé en 2004 et avec trois albums à leur actif, Demerit (过失) se sont imposés en quelques années comme des incontournables du Punk chinois et pékinois. Out Of The Fog a demandé dix ans de gestation et nous offre un accord parfait entre Punk « Old-School » et Punk Hardcore plus moderne et vindicatif.
Entre passages ultra-groovy et fédérateurs, Demerit (过失) délivre un punk très urbain et populaire, avec des passages inspirés de la vague Punk Rock irlandaise. Facile d'accès, pas aussi violent que du Crust ou du D-Beat ça joue quand même aussi fort que leurs revendications sociales !

Out Of The Fog c'est un peu comme SMZB (生命之餅), un manifeste qui dit "c'est pas parce qu'on joue pas aussi fort que certains qu'on a moins de chose à dire". Cette facilité d'accès a aussi l'avantage de toucher plus de monde et de faire passer distinctement la musique et les idées qui vont avec. Mais le groupe ne fait pas pour autant dans le Pop Punk, puisqu'il ne se prive pas de passages plus Hardcore.

  • Jajatao (假假條) – 法利勝神經 (Album, 2020)


Jajatao (假假條), frères d'armes de Bliss-Illusion (虚极), sont à la politique ce que les second sont à la spiritualité. Au travers de leur Hardcore Expérimental aux relents Sludge et musique populaire/folk chinoise des années 20 et de leurs paroles, Jajatao (假假條) traite des réalités socio-politiques de la Chine au travers des récits religieux, créant des doubles-sens par ce mélange. L'album 法利勝神經 (Kind Of Triumph) représente la figure de Guanyin sous sa forme féminine, répandue en Chine ; il est de tradition populaire pour les jeunes hommes de porter un pendentif de cette divinité comme porte-bonheur. Certains lecteurs n'y verront que le récit de la bodhisattva miséricordieuse qui protège les « garçons chinois », d'autres la main-mise du CCP sur les esprits.

Dans se second opus, JaJaTao (假假條) mêle a cette fange nihiliste des éléments Punk Hardcore plus présents notamment dans le chant mais aussi grâce à une utilisation expérimentale quasiment bruitiste de l'instrumentation « chinoise » ainsi que des influences de la musique Pop hongkongaise des années 1920. S'il reste dans la continuité musicale de son prédécesseur, 時代在召喚 (The Rite of Spring) sorti en 2016, 法利勝神經 (Kind Of Triumph) est plus "doux", plus subtil mais aussi plus extrême dans ses expérimentations et ses propos.

  • Bennu Is A Heron - Hate/Love (Album, 2020)

Bennu Is A Heron est un groupe cantonnais de Post-Hardcore/Emoviolence. Sorti en 2020, Hate/Love est leur premier opus. À travers neuf morceaux le groupe nous emmènera sur tous les sous-genreS du screamo/post-hardcore et plus, pour nous raconter la haine d'une trahison, le pardon et la renaissance d'un amour. Le groupe commence avec une intro post-rock planante et enchaîne avec "直至今日我们仍在欺骗自己"et "暗夜流明", un déchainement d'emoviolence pur, de haine. Suivent deux morceaux rappelant Envy, du Post-Hardcore lancinant coupé de spoken words doux et poétiques, emplis de souffrance : « I want you more than anything in my life, I'll miss you more than anyone in my life », «岛上满住着爱与希冀, 随着太阳落下 都将幻灭 » (l'île est pleine d'amour et d'espoir ; lorsque le soleil se couchera nous seront tous désillusionnés). Le septième morceau "所谓苍鹭" débute sur un ton presque gai : "Not for the first or the last time, I take a deep breath of happiness" et viendra apporter un peu de lumière au travers de ce mal-être avec un punk rock au refrain chanté en chœur. Pour finir, le dernier morceau nous apportera la rédemption, l'amour revenu.

Tout le long de l'album, la chanteuse nous aura marqué par ses émotions et la maitrise de chaque style, du spoken word au scream arraché. Cet opus se laissera dévorer d'une traite par les amateurs du genre.

  • Zankoü (残光) – Evil Cat Bastard (Album, 2021)


Zankoü (残光) c'est la force brute de ton chat qui défonce ton canapé avant de s'attaquer à la domination du monde. Pur Hardcore / D-Beat, ça tape vite et fort avec des influences Black Metal pour ajouter à la violence et à la noirceur de la musique. Mais ce Evil Cat Bastard est plus subtil que la galette vomie sur le tapis par le chat. Le titre « Calculator » avec ses ambiances lounge bar jazzy qui se fait complétement dévaster par une troupe de punks énervés renouvelle la façon de faire des "breaks" dans le Hardcore en jouant sur deux atmosphères radicalement opposées. Le groupe composé de musiciens chinois et japonais puise également son inspiration dans le pays du soleil levant comme avec le titre « Sakura ». Ce morceau populaire de l'ère Edo traditionnellement joué au koto est ici interprété en version Punk "Extrême" : de quoi faire un gros « Fuck Off » au conflit récurrent entres les deux pays, qui prend sa pleine mesure politique avec la reprise du groupe japonais de Crossover Thrash / Punk Hardcore japonais BBQ Chickens « XieXie » qui est un pamphlet anti-parti communiste chinois.

Directement influencé par la vague Punk Hardcore japonaise, Zankoü (残光) est la rencontre parfaite entre punks japonais et chinois !

*****

Avec cet article nous avons souhaité contextualiser émotionnellement et politiquement ces sorties. Coraline Aim explique que « le rock des années quatre-vingt-dix était une musique de revendications sociales et politiques et faisait résonner une once d’espoir dans les esprits, le punk correspond plus à une jeunesse désabusée, en conflit avec la génération précédente et impuissante face à la nouvelle société chinoise ». Parler de ses émotions devient dès lors éminemment politique et c'est ce que souligne Catherine Capdeville-Zeng qui explique que dans un contexte totalitaire « décrire le monde d'un point de vue entièrement négatif a un aspect politique évident » et renvoie ainsi au traumatisme de  la Révolution culturelle où « il était alors interdit de proférer des idées négative sur la société Chine qui était supposée avoir réalisé le paradis communiste sur terre ». L'interdit n'est plus aussi présent que lors de Mao mais il est toujours là, plus insidieux, forçant les groupes qui souhaitent être diffusé largement à s'auto-censurer ou à sortir des versions censurées pour la Chine, comme le dernier SMZB (生命之饼). 

Ne pas extraire les groupes de leurs contextes socio-politiques (surtout le Punk qui est par naissance un mouvement musical politisé) permet de rendre compte de l'impact d'albums qui nous sembleraient de prime abord être "simplement" du Punk. Un Punk comme il en existe partout aux revendications et à la musique plus ou moins liées à la Chine ou encore un cri de désespoir qui aurait été grossièrement et sommairement réduit à sa simple condition humaine. 

L'Empire du Milieu n'est pas que fastes de La Cité Interdite, il sent la bière chaude dans des salles oubliées où la crasse n'a plus d'âge.



____________________________________

Texte : 

Introduction par Morgan et T.
Morgan pour Gouride, Huntuo, SCOD, Hell City, Demerit, Jajatao et Zankoü
Pango Lyn pour Bennu Is A Heron, Die Chiwawa Die/Struggle Session, Loudspeaker
Conclusion par Morgan

Dessin : Antoine B.

Chinese Border Town #2 par Jonathan Kos-Read

Bibliographie / 参考资料 :

  • AIM Coraline, 2018. Red Flag : Une histoire du rock chinois. La Roque d'Anthéron, France, Le Mot et le Reste, 266 p.
  • AMAR Nathanel, « Scream for Life – Usages politiques de la culture en Chine : échanges et résistance au sein de communauté alternatives. Le cas des punks et des cinéastes indépendants. », Thèse de doctorat en Science politique, spécialité Asie CERI, sous la direction de M. Jean-Philippe Béja, Paris, Institut d’Études Politiques de Paris, 2015, 447 p.
  • CAPDEVILLE-ZENG Catherine, 2001. Rites et Rock à Pékin : Tradition et modernité de la musique rock dans la société chinoise, Bonchamp-Lès-Laval, Les Indes Savantes, 352 p.
  • HEBDIGE Dick, 1979. Sous-culture : Le sens du Style, (traduit de l'anglais [États-Unis] par Marc Saint-Upéry). Mesnil-sur-l'Estrée, Zones, Éditions La Découverte, 2008. 156 p. 
  • HO Wai-Chung, 2018. Culture, Music Education, and the Chinese Dream in Mainland China, Demand, Germany : Springer Verlag, Singapore, Collection Cultural Studies and Transdisciplinary in Education. 264 p. 
  • JOBIN, Paul. Yang, CHAN Jenny, Xulizhi, La machine est ton seigneur et ton maître. Analyses, enquêtes et témoignages sur la vie des ouvriers des usines chinoises de Foxconn‪. Texte établi et traduit de l’anglais par Celia Izoard, Marseille, Agone, coll. « Cent mille signes », 2015, 114 p.
  • WERNER Meissner, « Réflexions sur la quête d’une identité culturelle et nationale en Chine », Perspectives chinoises [En ligne], 97 | septembre-décembre 2006, mis en ligne le 01 décembre 2009, consulté le 06 octobre 2017.  URL : http://perspectiveschinoises.revues.org/1076 

Commentaires