Chronique | THE GREAT RED DRAGON - The Great Red Dragon (Album, 2021)



The Great Red Dragon - The Great Red Dragon (Album, 2021)

Tracklist :

01. Sunset
02. Slide
03. Ancient Voices
04. Annihilation
05. Arabic
06. Cosmic Mantra
07. Birds
08. Southern of Nowhere
09. Thelma
10. Sacred Riddle
11. 70's
12. Falling

Streaming complet :

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Si on peut parler de coup de foudre musical, ce serait probablement le cas pour moi avec The Great Red Dragon, projet solo de Rolo Riemer, guitariste et chanteur du groupe mexicain de doom/stoner Rivers of Gore et du projet doom/sludge Powertrip. Cet album auto-produit, le tout enregistré dans sa chambre, dans le contexte mondial actuel, sonne comme un voyage intérieur, expérience initiatique et salvatrice à laquelle s'adonnent beaucoup d'artistes ou toute personne touchant peu ou prou à la création quand ils ont besoin de retrouver un peu de repère dans le grand capharnaüm de la vie. 
 
Certains reprocheraient la mauvaise qualité de la prod', mais pour un projet solo DIY, je dirais que cela fait partie du trip, ça contribue à cet aspect très brut et très tribal que transpire la totalité de l'album avec le mélange des ingrédients les plus incongrus possibles, allant du son lancinant du southern folk aux sonorités psychédéliques du desert rock en passant par les loops hypnotiques des mantras hindouistes, avec des sons orientalisants qui parsèment cette fresque à la fois intimiste et épique. 
 
Dès le départ, le tableau se dresse, sombre et grandiose, avec ce ton rouge que l'on sait dominant ! Ce "Sunset" chancelant, comme un voyageur assoiffé avançant d'un pas mal assuré vers ce soleil couchant et brûlant comme un terrible mirage. Ce pas chancelant s'entend même dans la musique qui s'emmêle, qui part, qui se dissone, on n'est pas vraiment sûr... 
 
Puis ce soleil finit par se coucher, la nuit vient se glisser comme un serpent de velours sur ce paysage désertique déjà désolé. La guitare glisse sur l'atmosphère, la lisse et l'apaise quelque peu, on voit le voyageur se poser et profiter enfin de la fraicheur de la nuit. Cette paix coulante arrive à point nommé, le son doux de la guitare virevolte comme une petite brise du soir qui vient effleurer le visage du voyageur fatigué. Il se laisse glisser peu à peu vers la torpeur. 
 
Puis les sons mystiques viennent entourer son corps abandonné à la fatigue du soir, petit à petit, doucement, subrepticement, d'abord lointain comme venant du fin fond du firmament, puis ces "Ancient Voices" se font plus denses, elles remplissent l'espace, elles portent ce corps inconscient dans les airs, le faisant tournoyer, cherchant à pénétrer sa conscience qui doit être éveillée quelque part afin de l'emparer pour quelques sombres desseins cosmiques. 
 
Et puis tout à coup , tout l'univers résonne dans ce corps terrestre avec "Cosmic Mantra", dansant une danse mystique, les réverbérations de la guitare aux riffs réguliers reviennent en boucle, tantôt en rétraction, tantôt dilatés, comme un cœur qui bat au centre du cosmos, comme une lueur au fin fond des ténèbres qui essaient d'impulser d'autres rayons de lumière qui parsèmeront l'espace. 
 
Puis comme un petit oiseau qui a trouvé son chemin hors de sa cage, la conscience tente des petits envols pour retrouver un peu d'air extérieur. Elle y parvient, "Southern of Nowhere" apporte de la lumière après ce voyage mystique dans les recoins les plus mystérieux de l'inconscience, comme la clarté que peut éprouver le cerveau après une bonne nuit de sommeil. Mais cette clarté a quelque chose d'agressif tellement elle est éblouissante et pesante ; et on voit arriver le piège qui engloutit le voyageur avec "Thelma". Ce piège de souvenirs est terrible, il a cette saveur douce amère des oranges aux amandes, des céleri au chocolat, ou... tiens, une bière à la caféine ! Elle calme mais elle fout la chiale en même temps. 
 
On entend enfin la voix de ce voyageur qui s'élève dans "Sacred Riddle" pour essayer de se dépêtrer de ce voyage énigmatique, sans toutefois y parvenir, il va se laisser happer de nouveau par ces vagues de sons et d'images colorées issues de l'épais tissu des souvenirs humains. Il va finir par y succomber, se laisser aller dans cette chute vertigineuse depuis le firmament vers le néant, néant chaud et rouge, comme la gueule béante du grand dragon qui attend toute pauvre âme ayant le malheur de trébucher en dehors de la danse cosmique. 
 
Terrible album initiatique dont la référence au roman de Thomas Harris est palpable. Le voyage d'un homme à travers la vie, voyage qui le conduit à son destin tragique avec des expériences vécues, des choix, bons ou mauvais, mais qui n'ont rien d'anodin. En parallèle, l'ombre terrible du dragon rouge de l'aquarelle de William Blake (The Great Red Dragon and the Woman Clothed in Sun) reste présente tout au long de l'album et plane au dessus ce voyage, triomphante avec ses ailes membraneuses déployées ; s'enroulant dans les notes de guitares comme sa queue enroulant autour de sa victime. Tout évoque l'apocalypse, une vision pessimiste de la société actuelle et de l'actualité. 
 

 
Pourtant, à l'instar du double de la célèbre aquarelle du poète anglais, l'acte de création même est une opposition nette au chaos et à la destruction, elle est cette femme habillée aux couleurs du soleil, qui se dresse pour faire face au dragon, déterminée et fière. C'est précisément ça qui fait que cet opus est un triomphe sur cette époque asphyxiante, amorphe et morose. Prendre le mal-être à corps, se battre avec, le digérer puis l'expulser à l'extérieur pour le transformer en création, le sublimer, telle est la finalité de la création.
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Dee Cooper
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The Great Red Dragon :

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