Chronique | LES CHANTS DE NIHIL - Le Tyran et l'Esthète (Album, 2021)

 

Les Chants de Nihil - Le Tyran et l'Esthète (Album, 2021)


Tracklist :

01. Ouverture
02. Entropie des conquêtes éphémères
03. Ma doctrine, ta vanité
04. L'adoration de la Terre
05. Danse des morts-nés
06. Le tyran et l'esthète
07. Ode aux résignés
08. Lubie hystérie
09. Sabordage du songeur


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D’aucuns affirment que l’énergie de la création est libidineuse. Si cette thèse peut sembler douteuse dans bien des cas, elle convient à merveille à la musique des Chants de Nihil. Pour les avoir vu en live plusieurs fois, je peux confirmer que l’aura sexuelle du groupe se concentre en la personne de Jerry, chanteur/guitariste et leader du groupe. Et contrairement à son prédécesseur Armor, le nouvel opus n’a pas pour projet de séduire avec ses lignes mélodiques et sa poésie fraîchement évocatrice ; ici, la sulfureuse libido s’est muée en un sombre soleil, brûlant de haine et de nostalgie. L’ambiance, qui renoue avec celle des albums plus anciens, offre une dimension plus brute à la voix de Jerry, toujours aussi écorchée, nauséeuse et puissante. Le morceau « Danse des morts-nés » offre un phrasé entraînant qui rappelle un peu Grylle. Pour le reste, le chant - plutôt théâtral et agressif - reste dans ses gonds habituels, et les paroles demeurent assez intelligibles. On peut s’en réjouir, étant donné le soin apporté à celles-ci. Elles constituent une véritable pierre angulaire du projet. L’univers graphique, sorti de la main et de l’esprit de Jerry, est aussi partie intégrante de l’œuvre. On a d’ailleurs une pochette plutôt réussie, qui retranscrit bien ce que l’album a de majestueux.
 
Malgré des élans épiques - portés notamment par les chœurs ou un chant révolutionnaire entonné dans « Ma doctrine, ta vanité » -, on ressent un rapport au corps mortifère ; tout est tiraillement. Comme un festin d’entrailles qui se mêle à la terre (« Le sang a abreuvé la steppe et la taïga. ») donnerait naissance à une abomination. La guerre, omniprésente, n’est pas tant idéalisée, que vécue comme une déchirure atroce – nécessaire – menant à la libération... Et à la mort. Dans le morceau éponyme « Le tyran et l’esthète » (titre tiraillé lui-même), l’ambiance martiale se trouve relevée par des percussions militaires, prenant momentanément le pas sur la double pédale qui maintient énergiquement l’ensemble de l’album sur son rythme effréné. S’il y avait une critique principale à faire pour cet album, c’est qu’il y a peu de répit pour l’oreille, l’espace est rempli en quasi permanence, ce qui peut rendre l’écoute dense et difficile. 
 

La sexualité a toujours un rôle à jouer chez les Chants de Nihil, elle est même intimement liée à la guerre, au sang, à la terre et à la mort. Elle est du côté du destin de la nation, du sens, elle prend les traits de l’oracle Iris. Toute la nostalgie dans la musique est tournée vers cet idéal, cette époque ancienne fantasmée. Dans « Ode aux Résignés », on ressent particulièrement cette mélancolie profonde, cette inadéquation entre le monde tel qu’il est et l’âme de l’artiste. La faute à un monde violent de servitude, dont la maladie se nomme capitalisme. Liberté, oui, mais désincarnée, médiocre… Ce sentiment de décalage, d’incompréhension face à nos contemporains, est une sensation récurrente dans cette scène, largement partagée par les adeptes de black metal. La réponse à ce désarmement varie généralement entre deux sentiments mêlés, la haine et le colère.

 

« Craque dans un ultime cri / Pour se gorger de la colère, / Ce puits qui jamais ne tarit. » 


La récente signature du groupe chez Les Acteurs de l’Ombre aura permis à beaucoup de gens de découvrir l’originalité à la bretonne des Chants de Nihil, et c’est une bonne chose. Leur musique, accompagnée par un univers de caractère, mérite d’être découverte. Armor, le précédant album, sorti six ans plus tôt, reste cependant indétrônable pour le moment. Simple affaire de goût, je préfère explorer la rêverie et la mélancolie aux affres de la guerre, surtout en ce moment. Le tyran et l’esthète a le mérite de répondre à ses ambitions avec hargne et singularité. On souhaite aux Chants de Nihil de nous surprendre encore à l’avenir et d’enfanter de nouveaux disques infernaux.

 

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Iviche

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