Écoutes d'Automne 2020 • SCHOLOMANCE


Le feuilles tombent, le froid revient enfin - bref, le metalleux retrouve ses éléments, bien que ce soit depuis sa petite fenêtre d'humain confiné. C'est donc bien au chaud avec nos chats que nous nous sommes en réalité réconfortés en musique, plus ou moins metallique, que nous partageons désormais avec vous dans l'espoir qu'elle vous transporte vers un espace-temps plus radieux. Direction la fantastique forêt peuplée d'intrigants et charmeurs personnages signés Antoine B., sur qui l'on peut toujours compter pour illustrer notre logorrhée.

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Taarna : 

Static-X - Project Regeneration vol. 1 (2020)


Nous sommes nombreux à avoir pleuré en 2014 la perte d'un musicien aussi talentueux que Wayne Static. Ses anciens compagnons de route ont donc décidé de rendre hommage à leur frontman sous la forme de deux albums, dont voici le premier opus. Le bassiste Tony Campos (Fear Factory, ex-Soulfy, ex-Ministry, ex-Asesino), le guitariste Koichi Fukuda et le batteur Ken Jay se sont réunis afin d'enregistrer du contenu inédit grâce à d'anciens enregistrements vocaux de Wayne, jusqu'ici jamais exploités. Pour mener à bien ce projet, le chanteur Esdel Dope du groupe Dope a été recruté pour endosser le rôle du chanteur/guitariste, et nous remarquerons aussi la présence d'Al Jourgensen (Ministry) sur le titre "Follow", ou encore Dez Fafara (Devildriver, Coal Chamber) sur "Otsego Placebo". Concernant l'album en lui-même, le groupe a largement réussi son pari en nous livrant un album de metal industriel comme on en fait plus. En plus du petit frisson que procure le fait de réentendre la voix de Wayne, on ne peut que se rendre compte que le groupe n'a pas perdu la main, et l'on se retrouve plongé dans les années 90/2000, au moment où le style était à son apogée. Ici on ne révolutionne certes pas le genre mais une douce nostalgie nous envahit et l'on a juste envie de remettre son baggy à chaîne et de sauter partout dans son appartement. 

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Morgan :

Khusugtun - Jangar (2020)

Nul Metal en ces lignes, ni même de guitares, seulement les plaines verdoyantes de la Mongolie. Laissez vous porter par l'esprit du héros mythique et mythologique Jangar – qui donne le nom à l'album – et les üligers de Khusugtun. Il aura fallu dix ans à la formation mongole pour faire résonner de nouveau les contes et les mythes du pays du ciel bleu. L'album est un voyage sans nul doute, initiatique ? Dépaysant ? Folklorique ? C'est à vous à vous maintenant de suivre ces chants dyphoniques, ces instruments aux sonorités chamaniques, guerriers mais aussi mélancoliques et poétiques.

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Iviche :

Immateriæ - ORION (2020)

C’est  grâce à la nébuleuse dungeon synth que j’ai découvert le side-project  de space ambient Immateriæ : il a tout de suite résonné fortement en  moi. Les projets annexes de space ambient sont assez courants dans ce  milieu, et cette parenté remonte aux origines du style, on pensera  notamment au projet Neptune Towers du prolifique Fenriz (Darkthrone) qui  a sorti deux demos en 1994 et 1995. À l’époque on parle de dark ambient pour ce genre de projet, souvent solo, qui recevront plus tard  l’appellation de dungeon synth ou de space ambient.

C’est Alex, du projet dungeon synth Trova de Lid, qui se cache derrière Immateriæ. Dans ce nouvel opus interstellaire, il a cherché à se  rapprocher de la Berlin school, je pense notamment à Klaus Schulze et Tangerine Dream, à qui on a attribué l’étiquette de Kosmische Musik,  avant même de parler de Krautrock. L’album ORION est composé de cinq  assez longs morceaux qui relèvent d’un space ambient hypnotique, intense  et vivant. On ne s’ennuie pas pendant l’écoute de ces tracks lancinants  qui se renouvellent en permanence. Si le premier morceau est  extrêmement accrocheur, au fil de l’album, la musique semble perdre de  plus en plus sa matérialité, plongeant petit à petit du côté de  l’ambient pur, sans pour autant perdre en intensité. La portée  spirituelle de ce projet est non dissimulée. Ainsi peut-on lire dans la  description Bandcamp « Approcher les alentours de la nébuleuse d'Orion  est un acte de courage (certains disent folie) sur le territoire  d'événements étranges et de dangers spirituels » (traduit de  l’anglais). Il y a quelque chose de profond dans cette musique, qu’il  serait difficile de décrire. Le choix des instruments virtuels et le mixage n’y sont  sans doute pas pour rien, les sonorités semblent vraiment « pleines » à  l’oreille. Une chose est certaine, cet album est une expérience, que personnellement je réitère toujours avec beaucoup de plaisir.

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Ion  :

Uada - Djinn  (2020)


C’est sans grandes attentes que j’ai lancé il y a quelques semaines le nouvel album de la formation américaine Uada. Malgré de bons titres, le groupe semblait dans une certaine mesure mériter son titre de sous-Mgla, toujours agréable à écouter, mais difficile à valoriser à titre individuel dans ce grand espace des sorties Black. Et pourtant, ma curiosité a été attisée par le succès de Djinn, qui a rapidement récolté des critiques dithyrambiques à tout va. 

Sans en faire la sortie de l’année, je dois me rendre à l’évidence : ce troisième album marque effectivement un tournant majeur pour Uada. D’un black mélodique solide mais manquant de personnalité, on passe à un album follement accrocheur, animé par des énergies autrement plus variées, qui nous plongent tantôt dans des riffs évoquant une ambiance new wave, tantôt dans des parenthèses plus introspectives et atmosphériques, entrecoupées d’élans terriblement rock ’n’ roll ou de lignes de guitares qui nous feraient presque basculer dans un monde folk. Le tout bien ficelé dans un album de black metal mélodique des plus accessibles, qu’on se sentirait parfois presque coupable d’aimer tant il puise dans des clichés musicaux et formels. J’ai personnellement choisi de me laisser entraîner dans quelque chose qu’il sera facile de dénoncer comme un album confirmant l’inscription du black metal dans le grand monde des musiques pop, si l’on avait encore des doutes sur le sujet. Le son est clair, l’entrain optimiste, tout en conservant les codes donnant sa gravité à ce genre qui nous est si cher. L’album tourne et retourne chez moi, inarrêtable car si facile à écouter. Un disque galvanisant !

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Loucach :

Kristjan Randalu & Dave Liebman - Mussorgsky Pictures Revisited (2020)

Mon attrait irrésistible vers le mélange des genres a encore frappé, et me voilà perdu dans les méandres sonores de la musique classique sauce free jazz. Dans cet album, le pianiste Kristjan Randalu et le saxophoniste Dave Liebman réadaptent en duo l’œuvre classique du compositeur russe Modeste Moussorgski, Tableaux d’une Exposition. 

Pour ceux qui ne seraient pas familier avec cette œuvre classique, il s’agit à l’origine de dix pièces pour piano retranscrivant musicalement des tableaux d’une exposition. Le compositeur s’est inspiré de ces peintures pour créer ces pièces entrecoupées de « promenades » symbolisant ses déplacements vers le tableaux suivants.

Et dans Mussorgsky Pictures Revisited, les deux artistes contemporains réinterprètent cette œuvre dans un style de jazz très actuel, s’autorisant ici de nombreuses libertés harmoniques et rythmiques, tout en conservant le cœur musical original des pièces. On se retrouve ainsi tantôt envoûté par un saxophone lancinant porté par une nappe de piano délicat, tantôt enveloppé dans un tourbillon psychédélique cuivré emporté par une mer déchainée de sonorités classiques profondes, le tout brassé par des harmonies et des rythmes syncopés si caractéristiques du jazz contemporain. Pour faire simple, la synergie du classique et du jazz fonctionne à merveille. Le plus souvent jouée par un orchestre symphonique, le retour de cette œuvre à une formation intimiste, devenant ainsi un peu comme de la musique de chambre actuelle, délivre une atmosphère singulière entêtante et envoutante, comme si les rues de Saint-Pétersbourg du XIXème siècle étaient éclairées de néons chauds et sentaient le tabac froid.

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Aladiah :

Tango Mangalore - Dear Shore (2017)

Il y a des rencontres qui vous marquent à vie. Il y a des albums qui vous marquent tout autant. Et il y a des événements, parfois bouleversants, qui changent votre univers à jamais.

Ce mois, au royaume des corbeaux, un prince est tombé. Brest l'endeuillée ne sera plus jamais la même. C'est par les sonorités écorchées et les gimmicks fantomatiques de l'album Dear Shore du grec Tango Mangalore que je rends hommage à l'ami parti trop tôt.

Théâtrale, dramatique, houleuse, étrange et absurde, telle est la musique que j'ai choisie. À l'image de notre relation ; à ton image. Une darkwave obsédante, qui parlera aux âmes tourmentées qui ne connaissent que trop bien le terrible océan, les ports froids des zones industrielles poisseuses et les rades crasseux que peuvent compter les côtes de nos houleuses mers.

Tu m'as fait découvrir tellement de choses. Je suis heureux d'avoir pu te rendre la pareille avec ce projet. Bon voyage, vers de nouveaux rivages.

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Nyarlathotep :

Necrophobic - Dawn Of The Damned (2020)

Il y a deux ans Necrophobic revenait avec un très bon album, Mark Of The Necrogram, après un quelconque Womb Of Lilithu, et ravivait la flamme presque morte du Black Death mélodique. C'est avec une certaine appréhension que j'attendais ce nouvel album dans la crainte d'une déception après un si bon retour des suédois. Mais dès les premières notes de l'album mes doutes volent en éclat et laissent la place à du grand Necrophobic !

Le groupe toujours mené par Sebastian Ramstedt nous livre avec ce Dawn Of The Damned un brûlot de Black Death mélodique redoutable et inspiré, dans la pleine continuité de son prédécesseur. Et force est de constater au fil des écoutes que celui-ci ne fait que se bonifier, surpassant Mark Of The Necrogram, avec ses titres à l'efficacité indéniable. Chaque morceau de cet album possède ses passages mémorables de ceux qui vous font dresser la tête avec ses mélodies délectables concoctés par un Sebastian Ramstedt en très grande forme et supporté par la voix retrouvée de son ancien chanteur Anders Strokirk qui fait lui aussi un travail impérial. Les suédois ayant même le bon goût d'inviter Schmier, frontman du légendaire groupe allemand Destruction, pour un duo furieux et sans compromis sur le thrashisant "Devil's Spawn Attack" !

Il ne fait aucun doute pour ma part que Necrophobic signe là un de ses meilleurs albums, après un précédent album déjà de grande qualité, et porte à lui seul (ou presque) la flamme noire du Black Death mélodique. En attendant les retours tant attendus et espérés de Unanimated et Dawn pour l'aider dans cette sombre tache et raviver la flamme du genre...

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Dessin : Antoine B.

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