Chronique | BOTANIST - Ecosystem (Album, 2019)


   
Botanist - Ecosystem (album, 2019)


Tracklist :

01. Biomass - 05:07
02. Alluvial - 03:43
03. Harvestman - 03:19
04. Sphagnum - 03:45
05. Disturbance - 02:31
06. Acclimation - 04:29
07. Abiotic - 04:28
08. Red Crown - 06:14

Streaming intégral :


________________________________


   Deux ans après The Shape Of He To Come, le projet de Black Metal Botanist, dont l'univers se distingue par l'intérêt singulier qu'il porte à restituer leur grandeur aux diverses espèces végétales et animales qui peuplent notre environnement naturel, est de retour avec un album nommé Ecosystem. Nous avons affaire à un groupe composé de quatre membres, et non plus seulement à un projet solitaire comme cela était le cas avant The Shape Of He To Come : Otrebor aux vocaux, au dulcimer et à l'harmonium, Daturus à la batterie, David Tiso à la basse, et Cynoxylon aux vocaux additionnels. Comme l'annonce Otrebor, le fondateur du projet, Ecosystem est d'abord une description de divers aspects de la flore et de la faune des forêts de séquoias géants de Californie, et des lois physico-chimiques qui les régissent. Ce faisant, les musiciens mettent également en avant la vulnérabilité de ces immenses arbres, les plus imposants du monde, une intention qui s'avère particulièrement contextualisée dans une période où les forêts de Californie sont périodiquement ravagées par les flammes du fait de l'activité humaine. Le duo de graphistes Førtifem reste fidèle à la sobriété de l'univers pictural du groupe en produisant une œuvre qui symbolise le cycle de la vie et de la mort : une forme circulaire composée de mousses et d'une alternance régulière de troncs de séquoias calcinés et de séquoias vivants. Si la mort fait partie de la vie de l'écosystème, si la mort s'entremêle avec la vie, cet équilibre peut, malgré son apparente robustesse, être irrémédiablement bouleversé.

   Il est difficile de s'abandonner totalement à l'art de Botanist sans s'intéresser aux divers êtres vivants qui donnent fréquemment leurs noms aux morceaux proposés par le groupe. Ecosystem est à cet égard une excellente occasion de perfectionner ses connaissances en écologie et en biologie. Les artistes n'hésitent pas à restituer toute leur grandeur à des organismes oubliés, parfois réduits au rang d'insignifiants, mais dont l'activité, imperceptible à nos sens, est essentielle à la vie du tout. À plusieurs reprises, les notes égrénées du dulcimer combinées aux vibrations de l'harmonium – instrument rare à vent et à clavier - précèdent la manifestation de la puissance de l'ensemble harmonieux des instruments. Par ce procédé, les musiciens semblent mimer l'appartenance et l'importance de la fonction de chaque élément, aussi petit soit-il, au sein de la nature. Par la même occasion, ils pointent également l'impact de la suppression de l'un des éléments sur le fonctionnement de l'écosystème. Citons par exemple le « faucheur », arachnide dont le nom vernaculaire vient de son apparition au moment de la fin de l'été, durant la période des récoltes, et de ses pattes grêles lui donnant une marche saccadée. C'est un insecte intéressant à observer, souvent rencontré sur les feuilles des végétaux, et qui se nourrit en particulier d'autres arthropodes, morts ou vivants, malgré un régime extrêmement varié.

Dessin d'opilion ou faucheux (d'après Roberts)


   Botanist poursuit son inventaire non-exhaustif – une invitation à s'instruire davantage sur les lois qui régissent notre environnement écologique et biologique - en attirant notre attention sur ce genre de mousses appelé sphaignes (ou sphagnum), répandus à la surface des tourbières des forêts, vulnérables aux hausses soudaines de températures et pourtant indispensables au maintien d'un taux d'humidité suffisant. Chacun de ces deux morceaux semble conçu pour exprimer au plus près la particularité de chaque être vivant, rendant également compte de l'imaginaire que nous pouvons en avoir. A cet égard, « Harvestman » n'est pas exempt de l'aspect torturé que nous pouvons prêter, en projetant sur lui nos propres normes, au physique et aux « moeurs » du faucheur. Cela s'en ressent au niveau musical. La particularité même de Botanist est justement de ne pas dépouiller l'activité scientifique de tout enchantement, comme nous y a trop souvent habituée la conception cartésienne de la science comme froide maîtrise de la nature par l'homme. Le charme ne s'anéantit pas avec l'emploi de termes spécialisés, mais il change de nature, si bien que l'auditeur est à la fois pénétré de l'atmosphère musicale et de la curiosité qu'attisent les thématiques abordées.

Sphagnum cymbifolium


   Cet album constitue autant un aperçu de la richesse et de la diversité d'un milieu naturel précis qu'une réflexion sur les facteurs qui les menacent, au premier rang desquels l'activité des hommes comme « maîtres et possesseurs de la nature » - l'expression est de René Descartes dans son Discours de la méthode (1637). Par son activité, et notamment par sa manière totalement anarchique de répondre à ses besoins, l'homme a réveillé des forces qu'il se révèle de moins en moins capable de contrôler, aveuglé qu'il est par sa conscience de soi comme entité abstraite du milieu dont elle dépend. L'homme croit à tort constituer une exception à l'ordre général de la nature. Botanist semble opérer une retranscription musicale de la tension entre l'activité humaine et le reste de la nature, par le contraste entre l'utilisation d'instruments électriques et l'emploi d'instruments acoustiques comme le dulcimer, omniprésent dans cet album comme dans d'autres œuvres du groupe. Cette dimension acoustique pourrait par là symboliser l'harmonie pour le moment révolue entre l'homme et la nature. La seconde partie de l'album, qui fonctionne comme un récit, démarre avec « Disturbance », c'est-à-dire aux premiers signes d'une présence humaine nocive à l'écosystème et donc à elle-même. Notons que Botanist, sur son bandcamp, a pris le soin de donner au morceau une illustration des feux de forêts récents, laissant ainsi peu de doutes concernant le contenu du message que les artistes veulent transmettre. Les lamentations funèbres de « Abiotic » expriment quant à elles la vacuité sinistre de zones devenues impropres à accueillir la vie après le passage des flammes. La tension entre les voix claires d'Otrebor et de Cynoxylon mêlée aux accords mineurs du dulcimer, renforcent l'atmosphère lugubre de cette contemplation agonisante. Le choeur formé par les deux vocalistes contribue à donner une dimension onirique aux réflexions suggérées par l'écoute de cet album. « Red Crown », final de l'album, porte le nom vernaculaire des géants qui peuplent ces forêts, nom évoqué par la figure formée par les arbres du visuel. Ce sont les majestueux séquoias couronnés de feuillages rougeoyants, torturés par les flammes de l'enfer humain. Ce morceau articule tous les éléments qui donnent à l'oeuvre sa luxuriance, son expressivité comme tension entre sérénité et inquiétude. Il sonne à la fois comme une espérance, un envol vers un univers où le cycle de la vie et de la mort suit son cours normal, et comme un avertissement.

   Comme ses précédentes productions nous y avaient habituées, Botanist confirme son orientation vers un Black Metal plus abordable que ses premiers méfaits, sans pour autant rendre ses compositions génériques. Le groupe signe là son œuvre la plus mature sans sacrifier son originalité sur l'autel de l'accessibilité.

________________________________

T.



Botanist :



Aural Music :

| Site | Facebook |

Commentaires