Interview | Mr Maquerelle de MAQUERELLE & UBU (Krautrock / Indus / Black Metal - France)


Maquerelle, c'est le projet solo de Mr Maquerelle. Créé en 2014 il mélange allègrement le Krautrock, la musique Industrielle et le Black Metal, pour créer un son unique, souvent qualifié "d'avantardiste" et "d'expérimental". Extrapolation de chroniqueurs ? Dictature des "tags" ? Seul l'avenir nous le dira. 

En attendant on parle de tout ça et bien plus dans l'interview de cet artiste et ingénieur du son atypique !


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Salut Mr Maquerelle, avant de commencer peux-tu te présenter toi et ton projet éponyme ?

Je suis un jeune homme dans la fleur de l'âge agissant dans un projet principalement solo. J'essaie d'y mélanger tout ce que j'estime être digne d'intérêt artistiquement parlant, en raccordant tout ça sur une base Black/Indus/Psyché.

La Maquerelle / La Mère Maquerelle est une figure récurrente dans la littérature, y a t-il de tels personnages qui inspirent ta musique ou tes textes ?

Plus que dans la littérature, c'est dans le cinéma que j'ai été ébloui par certains personnages, notamment dans "Salò ou les 120 journées de Sodome" et "Caligula" (la scène de l'orgie sur le bateau-bordel m'est restée en tête un bon moment). Après, je n'ai pas choisi ce pseudonyme uniquement par référence, c'était également un mot qui fait écho à beaucoup de fantasmes et de mystères quand on y pense, ainsi qu'à une certaine époque de la France.



Tu as un second projet collaboratif avec Andréa Spartà, UBU, quelles sont les différences avec ton projet solo ?

Ce projet de duo est plus pensé pour du live, là où mes albums solo sont du pur travail de production et d'enregistrement studio. Bien sûr, UBU n'a pas été uniquement enregistré en live mais il y demeure un côté plus minimaliste que d'habitude, parfait pour être retranscrit librement.

Tu as sorti UBU entre « Ghaisergrad ‎ » (2016) et « Betty » (2018), qu'est-ce-que cette expérience a apporté à ton second album ?

Déjà, Betty est mon second album "physique", j'ai sorti quelques autres productions avant mais je n'y prête plus tellement attention, estimant que mon esthétique a réellement commencé à partir de Ghaisergrad. UBU, ça a été pour Andréa et moi-même une occasion de faire table rase par rapport à nos projets, d'aller droit au but et d'expérimenter. De mon côté, c'est vraiment en travaillant sur la production d'UBU que j'ai pu convenablement apprivoiser mon son et le "professionnaliser", si on veut.

« Betty » est un nom d'album assez mystérieux, quel est le concept qui se cache derrière ce nom ?

Plusieurs choses rentrent en compte. Cela fait tout simplement référence à un personnage inventé par Nick Drake dans sa chanson "Riverman". J'ai toujours eu un attachement particulier pour ce mec et ça a été une occasion pour moi de lui rendre un petit hommage. J'ai ensuite adapté la thématique à certaines expériences personnelles (psychologiques surtout) ainsi qu'à une autre référence à une ancienne amie devenue une sorte de muse pendant un temps. Tout ça a donc guidé mes pas pour la construction narrative de l'album.

La figure féminine est très présente dans ton travail. Tu sembles plus intrigué que fasciné par celle-ci, je me trompe ? Que représente-elle pour toi ?

Les femmes sont un peu ma principale faiblesse (d'où l'ironie de mon nom, pour continuer sur la question posée plus haut). Bien qu'ayant eu quelques relations à l'adolescence, j'ai eu de plus en plus de mal à les comprendre, à leur parler, à me faire apprécier. C'est très étrange car, en temps normal, c'est sensé être le déroulement inverse, je ne l'explique pas. C'est peut être dû à notre époque. J'ai l'impression qu'il y a un véritable clivage qui se forme entre les sexes, une sorte de rivalité, un défi froid consenti par les deux "camps". Je suis extérieur à tout ça mais, en même temps, j'ai l'impression d'être soumis par les femmes. Pendant un temps elles m'ont même effrayé. Je ne vais pas rentrer dans de la psychanalyse de comptoir, mais je pense que si j'en suis musicalement là où j'en suis, c'est un peu grâce ou à cause de ce manque affectif et social.

J'ai chroniqué « UBU » à sa sortie, et j'ai écouté et adoré ton second album. Ils semblent toujours plus expérimentaux et avantgardistes, qu'est-ce-qui te pousse à aller explorer comme ça la musique ?

Le besoin de nouveauté, de travail. À quoi ça sert de faire un "UBU 2" ? J'estime que, lorsque je fais un album, j'y mets tout ce que j'ai à dire. Une fois fini, il faut passer à autre chose. Je ne dis pas que le prochain sera radicalement différent, mais je ne compte absolument pas reprendre les mêmes éléments, je les connais par cœur ! C'est toujours grisant pour moi d'aller enregistrer de nouvelles batteries, trouver de nouveaux sons, bosser sur différents tempos... Au départ je me suis donné cette directive simple : j'essaie de composer la musique qui me manque. Vous savez, celle qui n'est pas là quand vous survolez votre étagère ou votre bibliothèque numérique et qui vous laisse dans le silence auquel vous vouliez échapper.



On pourrait résumer ton style à un mélange de Krautrock, de Black Metal et d'Industriel, qu'en dis-tu ? Quelle est ta vision de ces genres mais aussi de la démarche avantgardiste que tu empreintes ?

Pour moi, ce sont des genres qui ont tous en commun cette volonté de s'approprier une esthétique nouvelle. Ainsi que leur penchant pour le bruitisme et le jusqu'au-boutisme. Écoutez certaines vocalises des premiers Einstürzende Neubauten ou même certains passages endiablés de Damo Suzuki, le chanteur de CAN. On est pas si loin d'un Silencer ou d'un Urfaust. Pour tout ce qui est de l'"avant-garde", je ne me définis pas comme tel, ou alors par nécessité (manque de mots, de temps pour décrire ma musique à quelqu'un...). J'essaie juste de faire ce que je veux comme je l'entends, tant que ça a un minimum de cohérence et d'intérêt.

De plus en plus de groupes se qualifient eux même d'avantgardiste ou d'expérimental. Pour toi cette « étiquette » doit venir du groupe lui même ou de la scène ?

L'avantgardisme, L'innovant et tous les termes dérivés, c'est quelque chose qui est confirmé par un critère : le temps. On ne peut définitivement pas décrire une oeuvre comme étant inspirante pour des générations futures si ces mêmes générations n'existent pas encore. Malheureusement, il y a l'obligation, avec internet et les systèmes de "tags", de trouver les bons mots clés pour accompagner ses publications, vidéos etc... et même si ça revient des fois à se prendre en bouche virtuellement (du moins du point de vue du public), il revient parfois vital pour certains groupes d'incorporer des trucs comme "art", "avantgarde", "expérimental" dans leurs lexique.

Plus globalement qu'est-ce-qui influence ta musique et tes textes ?

Tout. Je fonctionne par obsessions périodiques, culturellement parlant. Je peux, pendant des mois, me plonger corps et âme dans un sujet qui aura su me fasciner, ça peut être un auteur, un type de cinéma, un genre musical... Même si je garde ma base décrite plus haut dans l'interview, il est pour moi quasi vital de me confronter à de nouveaux genres, c'est une sorte de nourriture mentale à ce niveau. Pendant la production de "Betty", j'ai eu un regain d'intérêt pour le hardcore et le grind, et consommait du Cioran et du Houellebecq. Dernièrement j'ai eu un intérêt profond pour les épopées de Tom Waits et de Frank Zappa, ainsi que pour plein de vieux blues et de bebop.

Photo par Mathieu Ludwig

On retrouve un langage très cru dans tes paroles, mais aussi une forme très littéraire, comme des dialogues de bas-fonds du XIXeme siècle. Ceux qu'on imagine être tenus ou entendus par une Mère Maquerelle. Une sophistication, une classe populaire oubliée. Qu'est-ce-qui te pousse à combiner deux facettes qui de prime abords sont antinomiques ?

Il y a une pensée totalement fausse qui veut qu'un texte grossier ou vulgaire soit dépourvu de poésie et de sophistication. J'ai toujours eu cet avis comme quoi il y a certaines émotions, idées et sentiments qui ne peuvent être exprimés autrement que par un langage entendu comme vulgaire ou offensant. Pour preuve, il n'y a rien de plus beau que de placer un "Putain!" ou un "Bordel!" à la fin d'un passage, aussi enluminé et construit soit-il, pour l'ancrer un peu plus dans la réalité et ainsi lui donner corps. Les insultes sont les cris animaux des gens civilisés et ça, des artistes comme Léo Ferré, certains bons rappeurs et même des gars comme Diapsiquir l'ont compris.

Ta musique aussi a cette sophistication du « bruit », de la Noise, de l'Industriel et de l'expérimental loin de l'aspect bruitiste que l'on y trouve. Comment combines-tu ça ?

Eh bien, un peu de la même manière que pour les textes. Certains paysages modernes ont besoin de bruit (ou de silence, par extension) pour être bâtis. Je compose ma musique un peu comme un orchestre, et moi, bah j'ai parfois envie de faire fermer sa gueule au violon alto et de le remplacer au pied levé par Boyd Rice ou Merzbow (tu vois, que c'est beau l'insulte parfois, haha).

Il y a un « son » signé Mr Maquerelle, ça t'a poussé à te lancer dans le mixage et le mastering. Comment qualifierais-tu ton son ? Ta technique ?

J'essaie de m'exprimer, soniquement parlant, dans un mode de production salement propre, hasardeux au départ puis maîtrisé par le mix. (mélanger, comme pour UBU, des prises live faites avec quelques grammes dans le sang avec des enregistrements plus propres et réfléchis). Avant, j'étais dans une démarche beaucoup plus LoFi, mais ça m'a vite déplu, j'avais l'impression de faire passer ma paresse pour de l'audace. Puis, j'ai découvert bon nombres d'ingés-son de renom connus pour leurs expérimentations, même au sein de groupes vendant des milliers d'albums (Conny Plank pour le Krautrock, Phil Spector pour son goût du mur sonore, ou plus récemment Kurt Ballou et sa sophistication du son Grind à l'ancienne dans un rendu plus moderne et maîtrisé). Pour parler de mes prestations de mastering, c'est après avoir pu réaliser des masters décents, notamment pour du vinyle, que des amis sont venus demander mes services. J'ai ensuite commencé à me faire payer et voilou ! J'ai donc pu investir dans un peu plus de Hardware et tout ça a été bénéfique pour tout le monde. Pour parler technique, je ne pense pas que ça soit ici l'endroit le plus propice pour en parler mais si tu veux voilà un petit quelque-chose : je suis un fan des Auxilliaires et "Bus", des techniques qui
consistent à injecter des effets sonores à une source indirectement pour pouvoir ensuite traiter les deux signaux indépendamment. Concrètement ça te permet, par exemple d'enregistrer une guitare et sa réverb sur deux pistes séparées et donc, de mettre des EQ et distos différents sur chacune, avec ça tu as un contrôle total de ton son et des possibilités d'assemblage infinies. Ah et je suis aussi un fana de préamplis et boîtiers de DI, donc pas d'amplis pour mes grattes.

Quels sont les avenirs de Maquerelle et de UBU ?

J'ai fini intégralement un nouvel album, qui devrait être dans la continuité de Betty tout en étant moins brutal et rentre-dedans, un peu plus aéré et composé également. Pour les projets avec Andréa, on est en plein dans le mix d'un nouvel album après UBU, Il devrait être composé de deux grosses pistes mais j'en parle pas plus. J'ai aussi pleins d'autres projets, comme d'hab, haha.

Un dernier mot ?

Si un label veut un album tout prêt (Mastering fait et Pochette bien entamée), je suis là. Sinon je vais le sortir tout seul et vais encore devoir Balkanyser l'univers pour trouver les sous. Sur ce, salut !



Questions : Morgan
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