Chronique de livre | Le Rock'n roll : Viol de La Conscience par les Messages subliminaux (1983)


Le Rock'n roll: Viol de La Conscience par les Messages subliminaux
Par : Jean-Paul Régimbal


Pourquoi s'embêter à rééditer des vieux ringards de catholiques hystériques comme l'abbé Prévost ou Barbey d'Aurevilly quand on peut rééditer des véritables trésors comme Le Rock'n Roll , Viol de La conscience par Les Messages subliminaux ? (Désolée de briser le mythe mais non, le complotisme ne date pas d'une cathédrale qui s'enflamme super vite à un moment un peu trop beau pour être vrai...)

Cette véritable étude d'investigation, qui ferait pâlir d'envie Elise Lucet, est menée en toute objectivité par Le Père Jean-Paul Régimbal et son équipe de collaborateurs, et elle est publiée initialement en 1983, mais elle a fait entre temps l'objet de plusieurs rééditions revues et complétées (non non ce n'est pas une blague), notamment en 1992 et en 2017. Alors de quoi parle cet artefact, déniché de manière complètement improbable au fin fond d'une vieille bibliothèque diocésaine, sombre et poussiéreuse ? Le résumé du site de la Fnac l'expliquera mieux que moi :
« Une puissante révolution a pris forme, sans parti politique, sans discours électoraux, et même sans manifeste idéologique pour énoncer les buts et objectifs des nouveaux révolutionnaires. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, une profonde révolution sociale, économique, morale et culturelle a choisi de proclamer son radicalisme par la musique, les chansons et les groupes-étoiles du rock n'roll. Au départ, tout cela n'a pas été pris au sérieux, car tous s'imaginaient que c'était une mode de plus qui finirait bien par passer. Toutefois, le phénomène socio-culturel du rock n'roll, apparu au début des années 50, allait déferler sur le monde tel une vague de fond mêlée de boue, de scories, de sang et de sacrifices humains. » 
Certes, le champ lexical mêlant les termes de boue, chaos, sacrifice et sang qui coule peut faire penser au dernier épisode de GOT, mais ne nous égarons pas !

Parce que c'est un auteur très respectueux des méthodologies, le Père Régimbal commence par préciser qui il est dans les premières pages de son livre, et on comprend rapidement que les mecs de NCIS Section Criminelle ou de Prison Break n'ont qu'à bien se tenir. En effet, il se présente comme un « pasteur » « religieux trinitaire, libérateur des captifs » (Daenerys?) mais aussi un « Criminologue spécialisé en psychiatrie criminelle, profondément interpellé par la vague de violence et de suicides directement rattaché à la révolution socio-culturelle provoquée par le rock'n roll ». Parce que oui, c'est un vrai scientifique le padre Régimbal, il a une vraie méthode scientifique, et il base ses études sur des vraies données chiffrées basées sur des faits réels observés sur une large fourchette. 



On y apprend donc que, de 1979 à 1980, dans une région précise du Québec, on atteint un taux mirobolant de 18 suicides chez des jeunes de 15 à 21 ans (on serait presque surpris qu'il ne précise pas que cela concerne les cas de suicides effectuées les nuits de pleine lune entre 3h et 3h15 du matin) . Le texte précise ensuite que « LA SEULE CONSTANTE REPÉRABLE EN TOUS CES CAS ÉTAIT L'AUDITION DE LA MUSIQUE ROCK'N ROLL ». Et voilà le travail, on est en 1980, les jeunes écoutent du rock, et voyez ce qui se passe, alors que tout cela ne serait jamais arrivé s'ils avaient écoutés Aya Nakamura comme tout le monde à leur époque, les petits merdeux. Aucune précision sur un contexte particulier dans cette région du Québec à cette période, est-ce que c'est une période difficile sur le plan social qui fait que les gens se foutent plus en l'air que d'habitude, est ce que c'est une période globalement tranquille, que donnent les statistiques sur les taux de suicide chez les plus de 21 ans qui n'écoutent pas de rock sur la même période ? On ne nous donnera aucune info supplémentaire pour contextualiser ce phénomène et on se contente de brandir ce taux comme un avertissement rouge clignotant, adressé aux parents d'ados en crise de puberté, dépassés par leurs fluctuations hormonales et la vitesse des riffs émanant de leurs vinyles, avec pour seule issue de secours cette brochure « visant offrir une information aussi précise sur le phénomène global du rock'n roll (…) et amener les lecteurs à une prise de conscience aiguë, en vue d'une prise de position énergique face à cette révolution mondiale qui affecte toute la jeunesse. »


Pour résumer, le petit Kylian a tout intérêt à bien planquer ses vinyles de Black Sabbath sous son plumard s'il ne veut pas que ça finisse très mal pour eux. Mais qu'on se rassure, « l'heure est à l'espérance car le christ est vainqueur ! » S 'en suivent des explications pas du tout orientées sur la naissance du rock'n roll et son évolution. L'apparition du beat, notamment, ne passe pas : « le beat martèle avec insistance toutes les pulsations émotives physiques et psychologiques de façon à pouvoir exaspérer le système nerveux des auditeurs et même paralyser le processus mental de la conscience »... Donc là si un lecteur avait l’amabilité de m'expliquer en quoi la conscience est un processus susceptible de se boucher tel un lavabo plein de cheveux, ça serait gentil, parce qu'on dirait que le Père Régimbal devient trop calé pour un chroniqueur lambda...

« On n'écoute pas le hard rock, on est noyés dans un rituel de sexe, de perversion, et de révolte »... 

Les hommes d'Eglise étant souvent calés sur ce sujet là, pour le coup on va pas chipoter.  On notera également un paragraphe absolument parfait en tout point sur le rock'n roll satanique, « Qu'est ce qui a pu provoquer ce tournant décisif dans l'évolution du rock'n roll ? Mentionnons trois sources principales : 
  • Les divers techniques des messages subliminaux
  • La consécration des artistes eux-mêmes à la personne de Satan
  • Les bailleurs de fonds qui, eux, ont en vue la main mise mondiale, à savoir les Illuminati, l'agence des sorciers WICCA et la Welsh Witches Society » …
Avons-nous réellement besoin de commenter cet extrait ? Non.


Le problème c'est qu'à partir de là le Père Régimbal continue sur sa lancée, totalement en roue libre. On tire alors du chapeau quelques vagues notions de psychologie et on les mixe avec un complotisme complètement décomplexé pour démontrer que l'auditeur ne perçoit pas le message de manière consciente et qu'il se transforme sans le vouloir en prédateur sexuel (j'allais dire qu'au pire le clergé recrute, mais elle était facile), appelé à la violence, poussé au suicide, au meurtre et à la glorification de Satan (options non cumulables pour des raisons évidentes.).

L'hyperactivité du cerveau engendrée par les beat démoniaques lui permet une forme d'ultra lucidité percevant les messages subliminaux, l'utilisation des stroboscopes dans les lives perturbe la capacité de concentration et, sans transition, entraîne une disparition totale des barrières du jugement moral, ce qui fait que ni une ni deux on se retrouve dans un parking à sodomiser des caniches sur le dernier Dead Kenneddy's (ok je me suis un peu emballée pour l'histoire du caniche mais tout le reste est véridique). On vous épargnera ensuite le (looong) passage où le Père Régimbal se met en tête d'analyser les extraits des morceaux de de vinyles joués à l'envers pour y discerner des messages subliminaux sataniques chez les Beatles ou Led Zepplin . Heureusement, à la fin du livre, on a droit à une liste non exhaustive des artistes que le Père Régimbal considère comme beaucoup trop evil pour lui, liste qui va d'Alice Cooper jusqu'à Elvis Presley en passant par Julio Iglesias, on n'ose alors même pas imaginer le court-circuit dans son cerveau à la sortie de Fuck Me Jesus quelques années plus tard. 

S'en suit une troisième partie de l'ouvrage, moins littéraire et plus scientifique, visant à mettre en garde des effets néfastes de l'audition du rock'n roll sur le plan physique, psychologique ou moral : « de graves traumatismes de l’ouïe, de la vue, de la colonne vertébrale, du système endocrinien et du système nerveux. » « état hypnotique ou cataleptique faisant de la personne un genre de zombie ou de robot » « les vedettes du rock deviennent des idoles à vénérer aux conséquences macabres , tel le phénomène des groupies (...) et ajoutons à cela les agressions subliminales et qui sont de véritables viols de la conscience et manipulation du libre arbitre ».

Donc après 4 chapitres à essayer de démontrer par tous les moyens que le rock'n roll est une musique d'Illuminatis destinée à promouvoir Satan auprès du monde entier pour dominer l'univers, cet individu plein de bon sens décide de s'attaquer à la manipulation du libre arbitre, manipulation engendrée par un dogme du rock'n roll, cette musique qui compromet de manière honteuse les voix de la vérité et du Seigneur (rayez la mention inutile). Nous pourrions encore lister le contenu du livre dans de longs paragraphes argumentés, mais cela serait inutile, car vous aurez probablement compris le concept, et notre but n'est pas non plus de vous fournir un catalogue détaillé des réflexions du Père Régimbal (au pire l'intégralité du livre est disponible en PDF sur Internet si vous avez envie de vous taper une petite barre par un ennui profond).

En ce qui nous concerne, c'est précisément cet axe qui va pouvoir nous servir d'amorce pour formuler une conclusion quant à ce véritable chef d'oeuvre sociologique. Car le Père Régimbal s'attaque tout au long de son bouquin à la manipulation du libre arbitre, le tout de façon spectaculairement arbitraire et paradoxale, et c'est en quoi, mine de rien, il peut être intéressant de prendre un moment pour jeter un œil à son travail. Car son ouvrage est en sens, extrêmement visionnaire : c'est la représentation parfaite des prémices de la désinformation, de la manipulation et du complotisme, plus de 30 ans avant notre ère de la fake-news. À sa façon, le Père Régimbal est une sorte de Jacques le Fataliste de la désinformation, Diderot avait instauré les bases du nouveau roman avec 200 ans d'avance, et Régimbal utilisait déjà des procédés fallacieux pour alimenter un argumentaire biaisé 30 ans avant TF1. Les rouages sont peut-être légèrement plus grossiers qu'à l'époque actuelle (et encore, vu le contenu de certaines sphères conspirationnistes ce n'est même pas sur) mais ils ont l'avantage de nous révéler au grand jour comment on peut manipuler l'opinion, comment on peut faire passer des inepties monumentales pour un travail sourcé et documenté, et comment on essaie de se donner du crédit en tentant de piocher quelques informations soigneusement sélectionnées dans toutes sortes de disciplines pour créditer son propos auprès d'un public le plus large possible. Au même titre qu'une secte, on sait qu'il s'agit d'une tentative de manipulation (désespérée aujourd'hui, mais qui visiblement a eu du crédit à l'époque au vu du nombre de rééditions) mais il est toujours intéressant de comprendre comment, par quel biais, par quels raisonnements à rebours, on peut se permettre de publier des contenus aussi malhonnêtes intellectuellement. Ainsi, si vous voulez affûter votre esprit critique, (ou si vous aimez juste vous arracher les cheveux de la tête), on vous recommande très sérieusement de jeter un petit coup d’œil ! 


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Azelma

Jean-Paul Régimbal
Le Rock'n roll : Viol de La Conscience par les Messages subliminaux
paru en 1983
Editions Croisade Daniel Chatelain / Hades - 92 pages

Commentaires

  1. Phucking Phiphi21:07

    Vous savez quoi : j'ai ce livre !!! Si si ! Il était dans la bibliothèque du lycée catholique privé où mes parents m'avaient collé en internat à la fin des années 80 dans l'espoir que j'arrête mes conn… heu… que je rentre dans le droit chemin, et j'avais tellement rigolé que je l'avais piqué ! Haha, trente ans après, je peux passer aux aveux �� ! Il faudrait que je remette la main dessus, mais je me souviens du grand n'importe quoi que c'était, notamment le décryptage des paroles de "Stairway to Heaven" où le curée expliquait sans rire que quand Led Zep' parlait du Paradis, il fallait en fait comprendre l'Enfer, et donc que c'était satanique… �� Et sinon, j'avais évidemment tout de suite reconnu Rudolf Schenker en couverture. �� Merci pour avoir réanimé ce vieux souvenir ! \m/

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