Chronique | IMPERIUM DEKADENZ - "Dis Manibvs" (Album, 2016)


Imperium Dekadenz - "Dis Manibvs" (Album, 2016)

Tracklist:

01. In Todesbanden
02. Only Fragments Of Light
03. Still I Rise
04. Dis Manibvs
05. Pantheon Spells
06. Vae Victis
07. Volcano
08. Somnia
09. Pure Nocturnal Rome
10. Seikilos

Extrait en écoute:



___________________________

Le duo germanique Imperium Dekadenz a sorti en août dernier son cinquième album studio chez le label français Season of Mist, soit seulement trois ans après son prédécesseur « Meadows of Nostalgia ». Cette nouvelle offrande, sobrement mais solennellement intitulée « Dis Manibvs » donne le ton de l'album avec des thématiques se focalisant toujours et encore sur l'inépuisable source d'inspiration qu'est la Rome antique. L'épigraphie (l'étude des inscriptions, en gros) nous apprend que la mention Dis Manibvs était une sorte de formalité d'introduction sur les inscriptions funéraires de l'époque romaine antique. Cette mention latine, traduisible en français par « Aux dieux mânes » invoquait une volonté de s'attirer la faveur des « mânes », c'est à dire les esprits des ancêtres de la famille auxquels était rendue une forme de culte. Un culte des ancêtres, en fait. En intitulant leur album pareillement, on peut deviner une volonté des deux compositeurs de rendre honneur aux morts, ainsi que de marquer durablement les esprits comme une inscription marque la pierre.

Le morceau d'introduction, purement instrumental, est nommé « In Todesbanden » que je traduis (à l'aide de mon fidèle traducteur en ligne) comme signifiant quelque chose se rapprochant de « Dans la mort liée », nous renvoyant directement à la thématique évoquée précédemment. Les chuchotements que l'on devine être ceux des esprits des défunts prédominent dans cette première piste et donnent une tonalité macabre. « Only fragments of light » conte quant à lui une sorte de scène mystique prenant place dans un bosquet épineux ou sont présentes des âmes de défunts et ou la mort est synonyme de délivrance et de liberté. Musicalement, l'atmosphère alterne entre le sincèrement mélancolique et le cérémoniel avec un refrain constitué de chœurs d'une beauté aérienne. C'est un morceau d'une grande intensité émotionnelle, laissant aussi bien place à la rage qu'à la contemplation. « Still I Rise » nous offre plus un moment de grandiloquence tout en restant dans une ambiance de beauté névrosée. Instrumentalement parlant, les guitares nous servent de longs riffs lancinants tandis que la batterie garde un rythme soutenu pendant quasiment toute la durée du morceau, jusqu'à se perdre dans l'au-delà à la fin de la piste.

Enfin, le titre éponyme « Dis Manibvs » retentit avec un riff plus massif et un rythme lent, alternant avec des passages très atmosphériques dans la première partie du titre. On se retrouve au final avec un morceau plus véloce dans sa deuxième partie introduite par des chuchotements d'esprits. Un titre au final très solennel, avec des orchestrations renforçant cette impression. L'interlude instrumental « Pantheon spells » pourrait être la suite directe de « In Todesbanden », les claviers font régner une ambiance éthérée et le chuchotement des âmes revient régulièrement scander « The Pantheon spells ! ».

On se doute, connaissant les centres d'intérêt du groupe, que la 6ème piste « Vae Victis » fait référence à la célèbre et terrible sentence « Vae Victis ! » (dont la traduction est "Malheur aux vaincus!") qu'aurait prononcé le chef gaulois sénon Brennos en - 390 avant J.-C lorsque lui et son armée avait mise à sac la ville de Rome, brûlant et pillant la cité, le tout forçant ses habitants à se retrancher sur le capitole et à subir un effroyable siège. Il s'agit d'un épisode ayant fortement marqué les esprits de l'époque comme étant une humiliation sans précédent envers laquelle les romains garderont une profonde rancœur, mais aussi une crainte certaine des peuples gaulois. Le morceau est caractérisé par un riff et un refrain très épique, au niveau de la batterie le rythme est moins monocorde et plus galopant voir martial. Musicalement on entend ainsi clairement que ce titre fait référence à un thème guerrier et les bribes de chant en allemand que je parviens à discerner et traduire comme « Straße » (Les rues), « Blut » (le sang) ou « Schatten » (les ombres) nous plongent dans cette ambiance apocalyptique d'une ville mise à feu et à sang.

Sur la lignée des scènes de débandade et d'apocalypse, le morceau « Volcano », comme nous le comprenons dès le sample d'introduction fait référence à l'éruption du Vésuve en l'an 79 de notre ère qui détruisit entre autres les villes proches de Pompéi, Herculanum et Oplontis : Certes un miracle pour l'archéologie mais un cauchemar pour les populations de l'antiquité. Le morceau commence donc sur un sample évoquant les grincements des armatures des navires, tourmentées par le vent et la houle qui annoncent la catastrophe à venir. Puis soudain, on entend le grondement suivi de l'explosion brutale de la montagne avec son lot de projections pyroclastiques, ça y est, le morceau commence. « Volcano » débute alors sur un tempo frénétique mais déjà très désespéré quoique majestueux dans sa mélodie. Sur un passage plus midtempo, des chœurs presque monastiques s'ajoutent à cet hymne à la destruction, puis un second sample nous ramène à la seconde phase de l'éruption : Celle ou la ville, après avoir été ensevelie sous les cendres, est victime de la nuée ardente qui détruisant et s'engouffrant entre les bâtiments vient carboniser les habitants terrorisés. Le morceau prend alors une tournure encore plus dramatique, avec une accentuation orchestrale du riff principal qui en devient encore plus poignant. On pourrait très bien imaginer la situation du point de vue de Pline l'ancien, l'homme à la fois spectateur curieux et victime de la tragédie, observant une ville résignée condamnée à l'annihilation mais également fasciné par la beauté destructrice et surnaturelle (Pline c'était plutôt un scientifique, mais ce type d’événement était probablement attribuable à une sorte de courroux divin, à l'époque, même pour les érudits) de l'éruption de la montagne.

À la suite de ces événements tragiques, séparés chronologiquement de plus de 3 siècles chacun, l'atmosphère qui était alors jusque-là très funèbre s'allège avec l'interlude instrumental « Somnia » constitué de voix féminines et d'une mélodie d'instrument à cordes (que je ne saurais identifier) absolument propice au repos et, comme la traduction en français depuis le latin du terme somnia l'indique, à la rêverie et à l'onirisme.

J'ai plus de mal à interpréter l'avant-dernier morceau de l'album, c'est à dire « Pure Nocturnal Rome ». Il m'apparaîtrait plus comme, au ressenti des émotions qu'il véhicule, à un regain de hargne et d'espoir à la gloire de l'hégémonie romaine où après avoir été affaiblie, cette entité retrouve son éclat conquérant. Nous avons ici affaire à un rythme général en grande partie mid-tempo avec plusieurs accélérations pour un résultat épique, à l'image de la cité conquérante et si riche en histoire que fût Rome.

La dernière piste de l'album est pour ainsi dire aussi particulière qu'exceptionnelle, « Seikilos » fait référence à une partition musicale découverte sous forme d'inscription sur une stèle funéraire datée du Ier siècle de notre ère. Cette pièce archéologique aujourd'hui conservée au Musée de Copenhague fût découverte en Anatolie (Turquie actuelle) en 1883, où se situaient un certain nombre de cités fondées par les grecs. Le travail combiné d'épigraphistes et de musiciens a permis plusieurs interprétations du texte mais aussi la retranscription musicale de la partition, qui après coup bénéficia d'une adaptation précise dans le solfège que nous connaissons. Cette épitaphe aurait alors été selon certaines sources composé par un certain Seikilos pour sa défunte épouse. Les paroles indiquent un certain principe de vie invitant à profiter de sa vie de vivant et de ne pas avoir à craindre la mort qui guette, celle-ci étant impitoyable mais également une étape essentielle de la vie elle-même. En réalité, il y a pléthore d'interprétations possibles pour les quelques lignes retranscrites, mais globalement, c'est plus ou moins l'idée. Vespasian et Horaz ont alors eux aussi proposés leur adaptation black metal de ce morceau de musique vieux de quasiment 2000 ans, autant dire que c'était improbable mais ô combien judicieux que de terminer cet opus sur ce morceau (pour toutes les raisons que j'ai déjà pu évoquer). L'air est le même que « l'original » initialement interprété par l'Atrium Musicae de Madrid et évidemment cette nouvelle version est adaptée à un morceau plus long. Il faut d'ailleurs savoir que l'épitaphe de Seikilos est incomplète et que l'on ne dispose actuellement que d'un fragment. Cependant le duo a réussi ici le tour de force de conserver l'authenticité du morceau tout en approfondissant son caractère au cœur du mystique, du rituel et de la beauté incontestable. Il est vraiment nécessaire d'écouter pour comprendre, tout comme il est nécessaire de s'imprégner, je le pense, des thématiques soulevées par cet album afin de pouvoir s'y plonger corps et âme et de tout simplement comprendre l'oeuvre.

Imperium Dekadenz réussit un coup de maître avec cet album aux portées multiples, mais restant ici dans une approche vaillante et solennelle du passage dans le royaume d'Hadès/Pluton avec des titres appartenant quasiment tous à cette thématique. « Dis Manibvs » est alors à mon goût un album très complet au niveau de ses morceaux au final intimement liés entre eux, et ce pour les thèmes qu'ils évoquent mais aussi bien au niveau des émotions transmises relatant des états d'esprit différents face à la mort. La musique, atmosphérique mais au final très variée et aux compositions abouties invite à l'imagination et au travail de l'esprit, de plus, la production absolument honorable de l'album permet ici l'accès à toutes les subtilités musicales que l'oeuvre renferme. Ce disque est pour ainsi dire une épopée entre le monde des mortels et l'au-delà, nous emportant dans une inquiétante forêt, à Rome pour y voir une armée mettre la ville à sac, nous mettant à la place des habitants des cités au sud du Vésuve face à la mort imminente … et puis concluant sur une sorte de ballade rituelle destinée à accompagner une personne chère sur la seconde rive de l'Achéron. Aussi, il est je trouve très satisfaisant de trouver autant d'anecdotes historiques dans un album, bien qu'inévitablement romancées et réinterprétées, le groupe parvient à leur donner vie et consistance à travers sa musique. Imperium Dekadenz, en dédiant cet album aux dieux mânes, est ici assurément en mesure de s'attirer leur faveur

___________________________

Stuurm



Commentaires