En ce début de semaine, le rendez-vous était à la Maroquinerie, petite salle parisienne en demi-cercle à l'ambiance plutôt intime - on ne saurait mieux faire pour accueillir la douce effervescence d'une soirée placée sous le signe du post-rock. On pouvait se douter que les murs allaient devoir contenir bien des décibels insistants, bien d'impérieux cris venus du plus profond de l'âme des musiciens présents ce soir-là.
Setlist
Forever and a Day
19h10. La salle n'est pas encore remplie ; et cela n'a aucune incidence sur l'effet immédiat de la musique aérienne et puissante de Mathieu Van de Kerckhove, dont vous aurez probablement déjà entendu parler comme étant le guitariste d'Amenra, mais qui joue aujourd'hui sous le nom de son projet solo Syndrome. Ce premier set est un moment de recueillement, concentré autour d'un homme seul, assis, recourbé sur sa guitare, comme hermétique à ce qui l'entoure. Et pourtant, sa redoutable dernière oeuvre Forever and a Day est loin de laisser indifférentes les personnes qui se tiennent devant lui. Sa musique est faite de lentes et longues vagues qui montent, montent, se dressent, imposantes ; à l'arrière de la scène, des images de nature apportent de l'air frais à cette prestation à la fois touchante et solennelle. Les retombées des vagues sonores sont saisissantes : le guitariste parvient à créer cette musique si unique, celle qui purifie le silence qui la suit. Les quelques notes de l'arpège en son clair qui émerge lentement de ce silence sont colorées d'une émotion très particulière, proche des reflets aérés d'une aquarelle.
Il n'est pas évident de distinguer tous les sentiments mêlés dans les compositions de Syndrome : des ambiances parfois sourdes, voilées et menaçantes sont recouvertes par des murmures rassurants : "Don't be afraid, I'm here. You're safe now". On est désarmé par cette voix si chaude et timide, si intimiste, qui produit un tel contraste avec l'intensité instrumentale à laquelle elle vient s'associer.
Le post-rock de Mathieu Van de Kerckhove vire presque au drone en fin de set, tant la saturation du son se fait assourdissante dans les instants les plus denses. Le dernier crescendo de Forever and a Day gonfle inlassablement ; comme une bulle, on redoute qu'il ne finisse par exploser, ou du moins qu'il ne finisse par faire exploser nos tympans, ou les enceintes (ces dernières sont, de fait, en grande difficulté à la fin du concert...). Une petite pensée pour la surdité prochaine de ceux qui n'avaient ni coton ni bouchons d'oreilles ce soir.
Sans crier gare, la musique s'arrête en plein élan. Le silence est aussi brutal que la musique aura été épurée, puis poignante, puis troublante, mouvementée et angoissée, bouleversante enfin.
Une splendide découverte.
Mono
Setlist
1. Ashes in the Snow
2. Death in Rebirth
3. Dream Odyssey
4. Pure As Snow
5. Recoil, Ignite
6. Requiem for Hell
On aurait pu s'attendre à ce que la prestation des brillants japonais de Mono soit en un sens plus abstraite que celle de Syndrome. L'écran a été congédié, et seules des compositions purement instrumentales vont maintenant emplir la Maroquinerie. Et pourtant...
C'est un monde qui s'ouvre et se déploie. Le son de Mono est infiniment plus construit et plus rythmé que celui du set précédent. Les guitares aux mélodies subtiles s'entremêlent commes des fils de dentelle. Les musiciens brodent avec une sincérité déconcertante une sorte d'éloquence muette, une expressivité inouïe qui se métamorphose tout au long du concert au fur et à mesure que la musique plonge toujours plus profondément en nous. L'atmosphère est par exemple transfigurée lorsque la bassiste Tamaki Kunishi dépose son instrument pour s'asseoir derrière un clavier. Une incomparable nostalgie s'installe avec "Dream Odyssey", malgré une entrée du piano un peu manquée ; un réglage maladroit cause en effet une arrivée écrasante, qui rompt momentanément l'équilibre sonore, mais qui se fait bien vite oublier.
L'intensité gravit encore un échelon avec "Pure as Snow", qui marque le retour vers des morceaux tout en crescendo, atteignant des apogées où le son se sature peu à peu, portées énergiquement vers une batterie de plus en plus présente. Si les deux guitaristes du groupe sont restés assis depuis le début du concert, tout le corps de la bassiste oscille à présent avec frénésie, comme possédé, en synchronisation avec les têtes du public. Ce dernier sombre un peu plus dans la démence lorsque le morceau éponyme du dernier album, "Requiem for Hell", vient clore le set. Ce sont là de bien ténébreuses notes qu'on nous présente en guise de conclusion : cette longue composition, d'une grande violence, est sans doute la plus sombre du groupe. La profondeur atteint son paroxysme en ces dernières minutes de la prestation des Japonais.
Ce second concert aura été, en un sens, le plus épuisant. Mono en live, c'est une sorte de prise d'assaut émotionnelle, l'ouverture d'une ampleur musicale qui devient difficile à assimiler. Cette immersion introspective de seulement un peu plus d'une heure aura donné l'impression d'avoir été retenu en otage pendant la nuit entière.
Alcest
Setlist
1. Kodama
2. Je suis d'ailleurs
3. Écailles de Lune pt 1
4. Autre Temps
5. Oiseaux de Proie
6. L'Éveil des muses
7. Éclosion
8. Percées de Lumière
9. Délivrance
La salle est cette fois-ci bel et bien remplie, et l'impatience est toute autre avant qu'Alcest ne commence à jouer. Dès l'arrivée du groupe sur scène, le contraste avec les sets précédents est saisissant. Là où les premiers musiciens s'en tenaient à un voyage intérieur, sans ajouter un mot à leur musique, la formation française propose un concert tout à fait vivant. Neige appelle un public bruyant et enthousiaste à participer, se tient sur le devant de la scène, le sourire aux lèvres, intervient entre les morceaux... Tous ces éléments, combinés à la certaine légèreté du morceau d'ouverture, le tout récent "Kodama", font planer sur ce dernier acte de la soirée la menace d'un sentiment peu agréable de perte de gravité par rapport aux groupes précédents - sans que cela ne remette en cause l'indéniable finesse des compositions du dernier album, mis à l'honneur dans un premier temps.
Cette impression est instantanément dissipée dès les premières notes de la majestueuse et plus ancienne "Écailles de Lune", dont on n'entendra malheureusement que la première partie. À partir de là, aucun doute ne saurait être émis sur la légitimité d'Alcest à clore la soirée. Ce sont bien eux qui livrent les compositions les plus réfléchies, qui échappent aux prévisibles crescendi post-rock devenus prévisibles, malgré leur saveur. L'écriture est ici aussi variée que délicate, et fait se succéder des tableaux aux couleurs riches et changeantes.
La présence d'un véritable chanteur, pour la première fois dans la soirée, donne une nouvelle tonalité à ce dernier concert. Si la voix est au début, comme souvent, un peu effacée derrière les instruments, Neige s'investit de plus en plus dans ses morceaux, et chante de manière de plus en plus convaincue. Bien évidemment, c'est encore une autre dimension qui s'ouvre avec l'arrivée des vocaux black, dont on salue avec joie la présence dans des extraits du dernier album Kodama (dans l'éclatante "Éclosion", notamment). L'univers d'Alcest est décidément plus ouvert que ceux des formations précédentes, plus accueillant, sans jamais être moins exigeant et mûr sur le plan musical. La chaleur de l'oeuvre des Français mène la salle vers un enthousiasme radicalement différent du début de la soirée : la contemplation recueillie et songeuse a été remplacée par une authentique ferveur. Le public est à présent une concentration de fans emballés et passionnés, ce qui se traduit occasionnellement par des cris peu constructifs dans le cadre de morceaux aussi cristallins que ceux d'Alcest... Il en faudrait toutefois plus que ces quelques maladresses pour entamer la clarté et l'élégance musicale du groupe, ré-affirmée par la lumineuse "Délivrance", à qui revient le dernier mot de ce beau soir de novembre.
Il aura été aussi bon de garder les yeux fermés pendant ces quelques heures. Garmonbozia, que nous remercions chaudement pour ce concert, nous a permis d'assister à l'une de ces soirées où, si toutes les prestations sont remarquablement abouties, chaque groupe parvient presque à nous faire oublier le précédent tant il conquiert les coeurs.
Marion
Commentaires
Enregistrer un commentaire