Je
n'avais jamais mis les pieds place de Clichy. C'est un endroit ouvert
à tous les vents et à toutes sortes de personnes. Je traverse cette
place de part en part, je croise un corbeau, deux corbeaux, une
poignée de corbeaux. Nul doute, je suis au bon endroit. 3 place de
Clichy. C'est ici, au 3 Club, que Peter Murphy va nous livrer
la bonne parole. Un petit attroupement se créer devant les portes du
lieu. On attend patiemment. Je scrute la populace. Il y a de tout, du
deathrocker le plus hardcore avec ses cheveux crêpés, au mec lambda
en t-shirt Morrisey, en passant par toutes les déclinaisons
possibles du spectre de la couleur noire.
Me
voilà aux portes du club. Je m'avance religieusement comme
m'apprêtant à franchir le seuil de l'Hadès. Il y a un gardien,
Cerbère ou Saint Pierre, c'est selon, qui protège l'entrée. Une
rapide fouille et je suis autorisé à franchir la porte. Et c'est un
escalier en colimaçon qui m'attend, plongeant vers le cœur de la
terre. Pas de paradis pour moi, je glisserai vers le Shéol. Un drap
noir se lève et me donne accès à la salle baignée d'une lueur
bleutée. Petite anicroche, au 3 Club c'est vestiaire obligatoire
pour manteau et sac. À 3 euros chaque, pas la peine de préciser que
la grogne commence à gagner du terrain.
Je
ne me laisse pas démonter en faisant un tour d'horizon du public et
je tombe sur Babeth et Jicé Letter du groupe Trouble Fait'.
Tout en discutant amitiés, musique, organisation, concerts et
industrie du disque, on en profite pour se mettre devant, au plus
proche de la scène afin de ne perdre aucune miette de la performance
du « Grandfather of Goth ».
Justement,
voilà qu'il entre sur scène, accompagné de ces deux musiciens,
sous un tonnerre d'applaudissements. La salle, au début peu remplie,
est maintenant pleine à craquer. Les gens se tassent et se
bousculent, certains se faufilent sans ménagement ni politesse au
premier rang. De quoi bien énervé un public déjà passablement
électrisé. Et je rebondis sur ce dernier terme pour vous préciser
que Peter Murphy ne nous livre pas ce soir un concert tout
électrique mais semi-accoustique. C'est déjà une chose de voir
l'ex-chanteur de Bauhaus en live, mais de se prendre en plus
une formule dans laquelle je n'ai pas l'habitude de l'entendre, ça
en est une autre.
Quand
on parle post-punk et goth de manière générale, on pense souvent
au nombrilisme, à la pédanterie, à l'égocentrisme voire à
l'attitude hautaine que certains et certaines peuvent dégager dans
cette scène. Je m'attendais donc à voir un personnage fantasque,
quelqu'un dans le délire le plus post-punk, le plus caricatural
qu'il soit, surtout que l'artiste commence à avoir de la bouteille
et qu'il n'est pas facile de sortir des clichés qui t'ont donné le
succès. Que nenni. Peter Murphy est arrivé, T-shirt noir,
pantalon simili-cuir noir et petit torque à paillette autour du
bras, sans faire de chichi, dans une simplicité élégante qui a su
toucher le public. En tout cas moi ça m'a touché.
La
légende s'est assise simplement sur un tabouret, devant son micro,
sourire aux lèvres avant de débuter le show. Le « Grandfather
of Goth » a perdu quelques plumes mais ses ailes ont encore un
panache certain . Sa voix n'a pas perdu de sa superbe. On aurait
pu s'attendre à quelque chose de vieillissant, fatigué, sur les
rotules, se servant allègrement du succès passé de Bauhaus
en piochant dans les anciennes compositions du quatuor de
Northampton. Mais non.
Nous
sommes happés directement par la majesté mélancolique de son
interprétation et nous écoutons religieusement ce maître de
cérémonie. Dès les premiers mots, les première notes, une bulle
se créer. Les chansons proviennent quasiment toutes du répertoire
solo de l'artiste. Des compositions épurées pour l'occasion afin de
coller à la formation acoustique. Évidemment le spectre de Bauhaus
plane sur scène et dans la salle et il ne faut pas beaucoup pour
qu'au détour d'une chanson s'invite « Bela Lugosi's Dead »,
enflammant le public comme on embrase une brindille sèche. Un petit
« King Volcano » et « Silent Hedges »
et on laisse les souvenirs s'échapper avec la marée, entraînée
par cette voix qui n'a pris une seule ride.
Peter
Murphy ne joue pas les stars, il n'en a pas besoin. Il préfère
parler de ses partenaires de scène, insistant sur leur talent et
leur importance. Le bonhomme est sagesse et humilité. Les deux
acolytes sont très bons dans leurs taches et sortent un jeu loin
d'être ni peu technique ni peu empreint de cette touche de pathos.
On voit les gens impliqués et sérieux dans leur démarche et dans
la volonté de sublimer les musiques, de transmettre l'émotion.
Question son par contre c'est là où le bât blesse. Malgré une
excellente performance, la qualité sonore n'est pas toujours au
rendez-vous, et cela indépendamment de la volonté du trio. Le son
généré dans le 3 Club sature énormément sur les basses
notamment, et gâche un peu l'immersion et le recueillement.
Le
temps a défilé à toute allure malgré un rappel de quatre
compositions supplémentaires, dont le sublime « Hollow
Hills ». J'aurais aimé entendre « Cuts You Up »
et « Blue Heart », mais on ne peut tout avoir.
J'ai l'impression de n'être plongé dans le concert que depuis une
trentaine de minutes. Il faut rajouter une heure qui semble avoir été
aspirée dans un vortex sans fond. Simplicité, efficacité,
authenticité. C'est cela que je garderai en mémoire toute ma vie.
C'était bien plus qu'une simple occasion de voir Peter Murphy,
c'était une occasion de communier avec soi-même, de se laisser
embarquer vers des horizons froids sans artifices.
Aladiah
Photos :
Babeth Letter
Setlist du concert:
Cascade
Secret
All
Night Long
Marlene
Bewlay
Brothers
Indigo
Eyes
Strange
Love
King
Volcano
Kingdoms
Coming
Silent
Hedges
Never
Fall Out
Gaslit
Lion
All
We Ever Wanted
Three
Shadows
Hollow
Hills
The
Rose
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