5.5.5. (Vol.I)

On inaugurait la semaine dernière un nouveau format d'article résumant de manière régulière les écoutes de nos chroniqueurs en cinq albums. On a décidé d'étendre cet exercice à cinq albums en cinq genres sur les cinq dernières années, le 5.5.5. du dimanche ! On restera dans l'univers du Rock et du Metal, sans non plus écarter de nos sélections les rencontres stylistiques les plus inattendues. 


Vektor - "Terminal Redux" (Album, 2016)

Un album qui a déjà pas mal fait parler de lui, paru en avril "Terminal Redux" est le troisième album d'une formation unique en son genre. Officiant dans une veine progressive et cosmique, Vektor atteint ici une maturité et une richesse que j'ai rarement ressenties dans les groupes "récents" se réclamant de l'étiquette "Thrash Metal" (même si j'ai parfois du mal à classer Vektor dans cette catégorie).  


Témoignant d'une virtuosité et d'un sens de la mélodie qui n'appartiennent qu'à eux, les musiciens incorporent des coeurs féminins dans leurs morceaux, ainsi que des passages acoustiques ou à la voix claire qui contrastent avec le chaos de ce voyage intergalactique et rappellent parfois les derniers Pink Floyd sur le final 'Recharging The Void'. Les moments les plus furieux ainsi que les cris suraigus de David DiSanto sont réminiscents de la période progressive des mythiques Death, sans que cette filiation devienne trop évidente.

Techniquement époustouflant, cet album est une véritable expérience qui plaira à la fois aux fans de Coroner tout comme aux amateurs de Metal Progressif n'ayant pas peur des virées extrêmes dans lesquels le quartette nous invite. Bienvenue chez les extraterrestres du Thrash avec cette bombe H posée sur une scène quelque peu sclérosée par ses codes et qui peine à se renouveler ! ("c'est valable pour toi aussi, hein")




The Body - "Christ, Redeemers" (Album, 2013)

The Body est un duo qui excelle dans sa manière de bourrer notre crâne d'anxiété, à grands coups de Sludge/Doom gras et noisy empli de larsens, sur fond de requiems macabres aux cordes, de choeurs  féminins exécutés par The Assembly Of Light, tout cela virant parfois en rythme techno ('Denial of the Species'), ou même tribal sur certains passages. 

Les montées en puissance ne mènent à aucune explosion afin de nous maintenir dans cet état d'indécision et de frustration. Une musique qui a un véritable propos, en somme, avec comme porte-parole, les hurlements malsains de Chip King, qui suintent la dépression tant ils semblent dénués de tout affect puisqu'ils se répètent sans cesse sans aucun changement véritable sur toute la durée de l'album. Le rôle de The Assembly Of Light pour amener un peu de lumière dans toute cette noirceur est donc clairement décisif et donne à l'oeuvre, sans être omniprésent, son équilibre, son côté réparateur et méditatif mais aussi inquiétant, qui nous conforte dans l'inconfort. 

The Body est une formation à suivre de très près, autant pour ses albums studios que pour ses collaborations qui sont loin d'être de simples splits et qui se multiplient depuis quelques temps. Thou, Krieg, Full of Hell... autant de formations uniques qui viennent s'incorporer à l'univers du duo (et vice-versa), donnant naissance à des oeuvres hybrides. 



Author & Punisher - "Women And Children" (Album, 2013)

Dans une veine davantage industrielle cette fois-ci, un album d'Author Punisher, un one-man-band qui m'a marqué en 2015 avec son dernier-né "Melk En Honing". Bien évidemment, en se plongeant dans sa discographie, on découvre d'autres bijoux, dont ce "Women And Children" qui est l'un des meilleurs exemples du résultat de l'alliance de la musique avec l'ingénierie et la robotique. 

Des instruments fabriqués sur mesure, et des hauts-parleurs appelés Drone Machines, tels sont les principaux responsables du son unique de Tristan Shone, qui appelle à une réflexion sur la relation physique et spirituelle, les interactions de l'homme avec la machine. Cette idée se perçoit plus aisément en live lorsqu'on observe le musicien manipuler ses créations : fascinant ! 

"Women And Children" montre tout un panel d'atmosphères, ce qui contraste avec les oeuvres précédentes du musicien, beaucoup plus axées sur le côté inhumain du concept. C'est une sorte de tournant pour l'artiste qui se laisse plus aller dans ses émotions sans délaisser son art asceptisé et mécanique. Ses hurlements distordus par les drone machines laissent parfois place à des complaintes mélancoliques, et on note même l'utilisation d'un piano, élément nouveau de l'univers de Shone. En bref, "Women and Children" est le résultat d'une remarquable finesse de composition et d'un travail sur la diversité des ambiances qui contribuent à façonner ce monde torturé. 




Aek Gwi - "Forest Of Ghost" (Album, 2015)

On a plus l'habitude d'entendre parler du Japon en ce qui concerne l'imaginaire associé aux fantômes, et en matière de Black Metal dédié à ce thème, Endless Dismal Moan (RIP) en est l'un des meilleurs représentants. Il en existe pourtant d'autres, à l'instar du one-man-band sud-coréen Aek Gwi et son Ambient Black Metal mystique et dément. 

"Forest Of Ghost" est un album composé de deux titres-fleuves nous perdant dans les méandres de la folie de leur géniteur, qui mérite l'appelation "Ritual Dark Ambient" du fait d'intermèdes acoustiques qui possèdent presque un cachet folklorique lorsqu'une flûte surgit tel le signal d'une fausse quiétude, sur fond d'incantations; cet apport de la culture locale n'est pas sans rappeler l'unique album d'Enemite, référence de la scène asiatique dans ce domaine.

La présence des éléments naturels (l'eau en tête) nous convie aux songes et à l'oubli des territoires humains pour entrer dans le domaine des âmes errantes, l'horreur surgissant, languissante et morbide, en même temps que la voix possédée de Vhan et ses riffs Black Metal, hypnotiques et immersifs dans leur répétition. Aek Gwi fait donc communiquer le shamanisme sud-coréen et le Black Metal avec succès. 




Calvaiire - "Forceps" (Album, 2014)

On termine cette petite sélection avec une décharge de violence parue en 2014 chez Throatruiner Records, le premier album de Calvaiire ! Contrastant avec l'apparente sérénité de sa pochette, "Forceps" est tour à tour une manifestation de chaos, de haine, d'auto-destruction, un Hardcore/Powerviolence influencé sludge, hargneux et crasseux. 

Calvaiire ne change en rien la recette de "Rigorisme", leur premier EP, le calvaire est juste plus long pour nos oreilles qui s'en remettent difficilement tant on se fait agresser; les musiciens veulent faire mal, laisser des séquelles.

Abrasif, "Forceps" ne laisse pas la moindre chance à l'auditeur non-endurant dans cet assaut impitoyable. La catharsis que les musiciens ont voulu créer devient un vaccin contre la douceur et la joie de vivre, on n'en sort pas indemne, mais meurtri et obligé de continuer à vivre malgré le poids paradoxal de notre propre vacuité. 


T.

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