Chronique | Sphyxion – S/T (Album, 2016)


Sphyxion – S/T (Album, 2016)

Tracklist :

1 – sphyxion1      4:26
2 – sphyxion2      4:33
3 – sphyxion3      5:15
4 – sphyxion4      3:53
5 – sphyxion5      1:29
6 – sphyxion6      3:50
7 – sphyxion7      3:04
8 – sphyxion8      2:33
9 – sphyxion9      4:25
10 – sphyxion10  2:05
11 – sphyxion11  5:07




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 Anywave Records. J'aime énormément ce label pour une raison toute particulière. Il réussit toujours à pondre des pépites, d'étranges ovnis sonores dont on ne ressort jamais vraiment intact. C'est avec une grande surprise que ce dernier m'a contacté afin que je me plie à l'exercice périlleux de la chronique. Oui, c'est un exercice qui peut paraître simple, mais qui, en réalité, tient plutôt de la cascade sans filet ni protections, dans une arène remplie de tigres, de lave, et de raiders façon « Mad Max », surtout quand il s'agit de groupes aussi complexes que Sphyxion.


 Ce n'est pas la première fois que je me frotte aux spécialités Anywave Records. People of Nothing, avec son album éponyme, oscillant entre deux états d'âme, d'un titre à l'autre, et AVGVST et son post-rock teinté d'electro, amenant l'auditeur sur les plages de sable fin d'un ailleurs paradisiaque aux confins d'un monde mourant... Je sais pour le coup ce qui m'attend avec Sphyxion, du moins je crois le savoir. (Avec du recul, j'étais encore loin d'imaginer ce qui allait traverser mes tympans, mon cerveau, mon âme même).

 Sphyxion c'est quoi ? Il s'agit d'un projet du duo parisien Maninkari, soit Frédéric et Olivier Charlot. Une formation, je l'avoue, que je ne connais point. Je garde donc ce nom dans un coin de ma tête. Sphyxion est né en 2011 d'une volonté des deux frères de se replonger dans leurs influences new wave et coldwave minimaliste tout en poussant le concept sur un plan d'expérimentations sonores. Le groupe cite notamment les formations des labels Mute, 4AD et Some Bizzare dans leurs influences. Aucun souci, sur le papier ça me parle déjà.

 Je sens d'entrée de jeu que la musique dont je vais abreuver incessamment sous peu mes oreilles ne va pas être de toute gaieté, et paradoxalement, je m'en réjouis d'avance. On est comme ça à Webzine Scholomance. Je suis un sado-maso hédoniste, que voulez-vous... C'est la pochette qui m'indique cette tension palpable. Bleue/noire, avec un personnage recroquevillé, en position fœtale, flottant dans cette obscurité englobante et chaleureuse. Un personnage fait de fil... Je m'attends à flotter, je m'attends à ressentir, je m'attends à quelque chose de décousu et pourtant d'authentique avec une progression logique. Ça ce sont les titres des morceaux qui me le disent.

 « sphyxion1 », « sphyxion2 », « shyxion3 », etc... Je ne connais que trop bien les vieux albums de Jean Michel Jarre, pour savoir ce que cela veut signifier, Jarre qui, soit dit en passant, est souvent totalement dénigré dans le milieu post-punk/goth/cold que je côtoie. Je n'en comprends pas la raison. Mais revenons à notre sujet. Une telle construction révèle un cheminement intellectuel, et un lien entre les morceaux, qui sont dès lors pensés comme de véritables composants de l’œuvre globale, comme les différents mouvements d'une symphonie. Le fait que les titres n'aient pas de majuscules signifie également quelque chose, mais je ne mets pas le doigt dessus. Peut-être une volonté de montrer l'insignifiance de ceux-ci au profit de l'ensemble.

 Dès « sphyxion1 » on est sur d'une chose : l'album entier va être composé de musiques de sensations. « sphyxion1 » c'est une ambiance claustrophobique, spatiale, sans être oppressante. J'ai l'impression d'entendre l'introduction d'Oblivion de Ash Code. Il n'y a pas à proprement parler de chant, mais des samples de voix spectrale, celle d'une certaine Zoé Faget, avec beaucoup d'effets. La musique est hypnotique et ne décolle jamais. On est sur une route sombre et on reste collé, englué même, à l'asphalte. J'ai comme l'impression de découvrir le côté obscur d'un Vangelis en dépression, d'un Tangerine Dream au bord du gouffre.

 Avec « sphyxion2 », je comprends qu'il va m'être très difficile de faire une chronique morceau par morceau tellement mes mots quelques paragraphes auparavant s’avèrent exacte. On est en présence d'une œuvre globale. Un monolithe noir. C'est lourd, les guitares sont saturées. On entend le rythme en boucle, celui-ci saute comme un disque rayé. Mais le tout est adouci par une nappe électronique et toujours cette voix à la Schönwald. Sphyxion nous montre ici sa filiation avec tous ces groupes d'electro/cold/synth/dark/minimal, d'Essai Pas à Lebanon Hanover, de Phosphor à Sixth June, de Hante à Linea Aspera, de Trisomie 21 à Paradox Obscur.

 Sphyxion est également à rapprocher de deux formations qui me tiennent à cœur : mynationshit et Visiona. C'est le genre de musique synthwave qui me colle à mon siège. « sphyxion3 » nous fait partir dans l'astral, le subespace atomique. Chaque son devient une brique élémentaire. Sphyxion c'est la théorie quantique des cordes, mise en son. Oui, à ce stade on ne fait plus de musique, c'est de la chimie, de l'alchimie même.

 « sphyxion4 » c'est une douce introduction en forme de bruit électronique et de grosse basse. Le son des lasers se fait entendre. L'ambiance pourrait être totalement épique, mais ce n'est pas le propos ici. Cette dernière devient lancinante. On est pris en apesanteur dans une vague synthétique. Je me laisse embarquer tout de suite et vogue calmement sur cet océan bien trop réduit.

 Souvent on a l'impression d'entendre les battements d'un cœur qui entre en résonance. Rajoutons à cela la claustrophobie des morceaux et l'on serait en droit de se demander si Sphyxion rime véritablement avec « fiction », et non pas avec « asphyxie ». Et bien croyez-le, ce n'est pas le cas. Les morceaux de cet album sont en réalité de véritables bouffés d'un air originel. Sec certes, mais d'une pureté virginale.

 On nous fait voyager, on nous fait traverser des terrains arides et anxiogènes avec « sphyxion5 », comme les premiers instants de notre planète, on reboucle sur ce sujet avec « sphyxion6 » et son ambiance caverneuse et moite, me rappelant au passage mes longues sorties sur le terrain, et parfois en dessous, alors que je n'étais encore qu'un jeune étudiant en géologie. Torturé, c'est un enfer sonore. Tout se brouille, il n'y a plus de frontières, plus de terre, plus de ciel, on passe de l'un à l'autre en deux notes successives. Direction l'espace donc. Ne passez pas par la case départ, mais touchez quand même le gros lot. Celui de « sphyxion7 » est loin d'être céleste. On est proche d'une ambiance à la 2001 l'Odyssée de l'Espace.

 Et on redescend, on replonge. C'est une violente marée qui approche. « sphyxion8 » ne va pas être de tout repos. Le voilà donc le tumulte absent. Je ne trouve même plus les mots pour décrire ce que j'entends, c'est dire. Criard, répétitif, extraterrestre, avec cette boucle façon vaisseau spatiale... Une référence au mythe des Anciens Astronautes peut-être ? En tout cas la fin de ce disque ce fait étrangement plus humain, du moins plus humanoïde. Piano arpégée et boucle accélérée, voix étrangement déformée, ça monte, ça descend, ça monte, ça descend, ça tourne. Très vite, comme dans un manège furieux. « sphyxion9 » donne le tournis et prend une pause violente à une minute de sa fin et reprend de plus belle dans une version éthérée. Une transposition des mouvements célestes et du vertige de l'espace que peuvent ressentir les hommes qui pensent à cet infini.

 Ces hommes tentent de communiquer avec cet univers, en suspens dans celui-ci. Les deux derniers titres « sphyxion10 » et surtout « sphyxion11 », avec ces cloches, tentent de lever un voile. Une sorte de rituel chamanique, de prière bouddhique, une volonté d'atteindre le divin par l'extase, la transe, les états seconds. Et on en reste là dans un final abrupt. Dieu ne donnera point de réponse aux interrogations des vivants.

 On m'a introduit le groupe de cette manière : « Sphyxion est une valse de drones, un continuum de boîtes à rythmes, de l'indus ambiant pour une fiction sensorielle qui envenime le cerveau. La musique des jumeaux du groupe Sphyxion renoue avec la new wave de Some Bizarre et Mute et une certaine obsession pour le shamanisme ». J'aurai tellement aimé être l'auteur de ces lignes... Car encore une fois je n'ai pas vraiment su décortiquer musicalement ce qui se passe.

 La musique technoïde de Sphyxion, loin d'être monotone, est tout de même bien trop sensorielle pour être décrite autrement que par la description de ces sensations que j'ai ressenties. Le Vertige, oui, avec un v majuscule. L’intersidéral, l'Océan primordial, les briques élémentaires, l'air originel, la Terre aride, les cavernes humides, la pureté virginale, la position fœtale, les ténèbres, le Temps, les mythes, les hommes. Cet album, c'est l'histoire de la création du monde, loin de l'image de grand fracas et du tumulte assourdissant, non, l'Univers y accouche de lui-même dans cette cosmogonie musicale. Naissance, renaissance, cycle sans fin.


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Aladiah


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