Interview | Maïeutiste - février 2016



Voici notre interview du collectif de Black/Doom Metal expérimental stéphanois, Maïeutiste, auteur d'un premier album éponyme que nous nous sommes fait un plaisir de chroniquer en 2015 sur nos pages. Inspiré, comme vous le verrez, de la philosophie et de différents terreaux d'influences musicales, ces musiciens méritent largement la reconnaissance d'un public exigeant et curieux. 


Maïeutiste est encore un nom assez confidentiel parmi notre scène nationale variée, pourriez­vous nous conter son histoire en quelques lignes?

Notre projet a débuté en 2007 avec le souhait de proposer notre perception du black metal. Cela a débuté avec Eheuje (Chant) et Keithan (Guitare). Nous sommes avant tout des passionnés de musique, boulimiques nous pourrions dire. Nous étions déjà en marche dans d’autres projets et Maïeutiste s’avérait le plus risqué, puisqu’il nécessitait un investissement long du fait de son expérimentation, raison pour laquelle nous avons fait preuve de discrétion durant plusieurs années avant de proposer ce premier album.

• Le nom du groupe fait référence au thème philosophique de la maïeutique de l’esprit développée par Platon & Socrate. La musique pourrait-­elle remplir ce rôle selon vous?

Nous ne voulions pas faire un récit historique ou un essai, simplement s’approprier un sujet et le mettre en musique. La maïeutique ou “l’art d’accoucher les esprits” évoque des idées qui seraient innées en nous et que l’on peut mettre en évidence juste en mettant sur la voie. Ceci étant dit, nous nous concentrons uniquement sur le langage qu’est la musique. D’ailleurs, notre demo intitulée “Socratic Black Metal” fut notamment appelée comme cela pour poser un regard critique sur la classification des genres, qui dans sa transmission au sein des publics et des médias, néglige souvent l’essentiel propre à cet art, c’est à dire le langage musical. Nous ne saurions dire si notre musique est le processus dit de la maïeutique, nous essayons simplement de mettre en musique une idée ou une émotion, notre approche du sujet est purement poétique.



• « Maïeutiste » est un album très éclectique faisant appel aux influences de différents styles, mais il forme un tout cohérent. Le groupe semble n’avoir reculé devant aucun obstacle pour en arriver à ce résultat, avec la présence de nombreux instruments tels que le saxophone. Quelles sont les émotions que vous souhaitez transmettre à travers cette « esthétique » très riche, qui emprunte autant au Black Metal qu’au Jazz, par exemple?

Difficile d’être précis quand aux sentiments que l’on souhaite susciter; peut être que l’éveil, la lourdeur et la frénésie seraient nos maîtres mots, mais nous invitons surtout les auditeurs à l’interprétation. Il est vrai que nous avons essayé de travailler dans la contrainte, notamment en ne doutant pas de chaque inspiration, aussi éloigné soit elle du black metal. Nous recherchions un équilibre et des cassures dans nos morceaux, pour ainsi donner une cohérence pour chaque intention.

• Une question en ressort : en quoi a consisté le processus de composition, chaque titre ayant un caractère unique?

Nous recherchions surtout une dynamique, une variation d’ambiances, comme un sorte de montage complexe, tout en gardant un fil conducteur guidé par des mélodies d’une certaine simplicité. Nous aimons cette idée d’art total et l’idée d’un album concept, le processus de quelqu’un qui devient un maïeutiste. Les titres suivent une progression de l’ordre du narratif et nous souhaitions un aspect unique pour chacun d’entre eux. L’écriture fonctionne comme un tout, c’est à dire que Keithan nous proposait une partition complète à chaque nouveau titre, avec les textes, avec quelques ajustements par la suite faits par tous.

• Vous mentionnez le Grunge comme l’une de vos influences, comment l’expliqueriez­vous sachant que cela ne saute pas forcément aux yeux dans votre musique?

Nous collaborons dans de nombreux projets, tels que Deinmas, dont l’influence est bien plus évidente. Il est vrai que pour Maïeutiste, la référence n’est pas dans l’écriture, mais elle est dans l’intérêt porté sur les techniques de captations de la musique et les croisements de styles. La scène grunge de Seattle fut un berceau incroyable d’inventivité, à ses débuts dans son amateurisme proche du punk, mais aussi dans la qualité des productions des groupes au succès fulgurant, tels qu’Alice in Chains, Mudhoney, Mad Season, Pearl Jam, Soundgarden, Nirvana, etc. La qualité des productions et la capacité à synthétiser les différentes esthétiques du rock depuis ses débuts, tout en ajoutant des références à la musique indienne, au metal, au psychédélique, au funk, au reggae, à la pop, voilà qui est pour nous un incroyable modèle dans nos méthodes d’enregistrement et de composition.





• Lors de la promotion précédant la sortie de l’album, les morceaux étaient accompagnés de séquences extraites du film « Faust » (1929) réalisé par F.W. Murnau. Pourquoi ce choix? Quelle importance accordez­-vous au cinéma dans votre processus créatif?

La thématique de Faust est aussi une référence inscrite dans la création de cet album, nous apprécions l’idée de la maïeutique pouvant être aussi perçue comme un fardeau, comme si passer de l’ignorance à la connaissance se révèle une culpabilité. Nous voulions mettre en images notre musique dans le cadre de la promotion, mais nous sommes allergiques aux lyrics vidéos ou autres clips façon “groupe qui joue dans une cave ou une usine”. Faust de Murnau est un film exceptionnel et il nous semblait intéressant de travailler la matière du film en la transgressant. Les trois morceaux que sont Absolution, The Fall et Lifeless Visions ont alors été mis en images respectivement par trois démarches de montage: la transgression de la narration, celle des personnages et enfin celle de l’image elle même. Nous sommes très influencés par le cinéma, particulièrement par la musique de film, qui emprunte de nombreuses démarches à la musique classique, l’écriture narrative, ou encore l’expérimental. Nous aimons aussi l’idée de suggérer des images à travers notre musique.






• Mentionnons également l’artwork au fusain réalisé par Laurence Léonard­ Stynik, comment en êtes-­vous venus à faire appel à cet artiste?

Laurence est une artiste plasticienne formée aux Beaux ­Arts de Montpellier et qui s’avère avoir un lien de parenté avec Keithan. Ce dessin fait au fusain est issus d’une série de portraits effectuée de manière automatique, dévoilant ainsi des corps et des visages, tels des apparitions fantomatiques. Il n’était pas initialement prévue que ce soit ce portrait qui soit choisi, puisque une autre démarche était initié entre eux, mais une fois ce dessin aperçu nous savions que la cover était trouvée. Ce portrait est comme un miroir et donne une grande ouverture à l’interprétation.




• Pas de dogme, pas de code prédéterminé dans cet album, Maieutiste semble tracer sa voix dans le Black Metal, réfutant ainsi l’apparente inertie qu’on a tendance à reprocher à ce genre. Quelle est votre vision de ce milieu musical pris entre la voie de la tradition et celle de l’évolution?

Nous aimons jouer avec les codes, paraître dogme en apparence mais s’y opposer, à travers la musique notamment. Nous apprécions les oeuvres qui relèvent de l’insondable, c’est à dire que malgré toute analyse pouvant être fait, il y a toujours une absence d’explications quelque part, ce qui permet toujours de mettre en doute. L’inertie que tu mentionnes est problématique si on la raccorde au comportement communautaire et sectaire de la scène. Preuve en est, la première génération de la scène s’est vite détournée de ce formalisme et s’avère souvent moins traditionnelle que de nombreux groupes récents. Le problème de la scène, c’est ne pas souhaiter “faire en s’inspirant de…” mais “faire à la manière de…”, et dans ce travers, le black metal perd sa démarche de contre­culture. Cela dit, le fait que le black metal perd de son aura ne nous importe que peu, ce n’est qu’un terme qui vise à classifier et nous n’avons pas la sensation ni l’envie d’être affilié à une quelconque scène.

• La cohérence conceptuelle qui ressort de ce labyrinthe de références qu’est « Maieutiste » semble avoir sa place dans les rangs des Acteurs de l’Ombre. Pourquoi avoir signé avec ce label et quelle est votre vision des autres sorties de cette année?

Nous apprécions travailler avec eux, raison pour laquelle nous avons aussi proposé notre projet corrélé qu’est le premier EP de Barús, sorti sur Emanations le 29 Janvier 2016. Nous respectons chez les Acteurs de l’Ombre leur capacité à faire émerger des nouveaux groupes, avec une réelle volonté de proposer une promotion cohérente et des formats physiques en tant que réelles extensions de l’expérience de chaque projet.



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Interview réalisée par mail en février 2016




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