Chronique | Beata Beatrix – "The New Gothic Generation" (Album, 2013)



Beata Beatrix – The New Gothic Generation (Album, 2013)

Tracklist :

1 – Jackyll 3:42
2 – The Mary's Song 3:22
3 – Deeper & Deeper 3:10 
4 – Jane Eyre 3:24
5 – Love Kills Love 3:03
6 – Beata Beatrix 4:02
7 – Drakula My Love 3:46
8 – Nero 1:55
9 – Fever 4:02
10 – Goodbye Hello (Fuck You) 3:28
11 – The Green Fairy 5:01
12 – Black D. 4:17
13 – Caronte 6:40

Extrait :

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Si vous vous intéressez, ne serait-ce qu'un peu, aux mouvements picturaux du 19ème siècle, ce qui est certes, maintenant que j'y pense, assez spécialisé, vous avez déjà sûrement entendu parler du mouvement préraphaélite. Si le nom Beata Beatrix vous a évoqué quelque chose, ne cherchez plus dans les recoins les plus poussiéreux de votre cerveau en ébullition. Beata Beatrix est une œuvre assez connue, une huile sur toile de Dante Gabriel Rossetti, portrait de Beatrice Portinari, personnage d'un poème de Dante Alighieri, vous savez, celui qui a écrit la Divine Comédie, et représenté sous les traits d'Elizabeth Siddal, femme et muse de Rossetti, qui s'est suicidée au laudanum.
Prendre Beata Beatrix comme nom de scène, ça donne le ton tout de suite. C'est ce qu'ont fait trois italiens pour leur projet musical, mélange de post-punk, rock gothique et d'electro, avec moult influences. Par exemple, Hatria, la chanteuse, a fait ses armes dans l'opéra et le blues, Ricy Tix, le guitariste, est un fan de rock progressif et Crowley, le bassiste, est un inconditionnel de la musique des années 80. Autant dire que le groupe possède des horizons ouverts. Il commence d'ailleurs à se faire bien connaître, ayant tourné avec Collection D’Arnell-Andrea, Clan Of Xymox, Crüxshadows, ou bien encore The Beauty Of Gemina.

Pour le coup, il faut bien l'avouer, je n'en avais jamais entendu parler avant qu'une publicité ne m'en fasse l'éloge dans mon fil d'actualité d'un réseau social bien connu. Moi qui n'aime guère ce genre de communication, pour une fois je fus intrigué par le nom et je craquai. Nous voici donc à parler d'un groupe italien dont les influences romantiques n'ont rien à envier à nos voisins d'outre-Manche et dont le son martial n'a également rien à envier à nos voisins d'outre-Rhin.

Deuxième album de la formation, « The New Gothic Generation » est sorti sur le label Wave Records. Sa pochette, conception de Riccardo Canini, représente une femme au visage de squelette, façon préraphaélite. Les noms du groupe et de l'album sont tachés de sang. Ça respire totalement la joie de vivre tout ça. Et encore je ne parle pas de l'arrière de la pochette représentant un crâne dans lequel est fichée une scie...

C'est donc avec une certaine impatience et une forte crainte que j'ai débuté mon écoute. Pourquoi une telle appréhension me direz-vous ? Disons que dès que quelque chose présente le mot « Gothic » dans son intitulé, j'ai tendance à fortement me méfier, au vu du grand nombre de bêtises que j'ai pu entendre par rapport à ce terme et à ceux qui pensent s'y rattacher... Bref, « The New Gothic Generation » s'ouvre sur « Jackyll ».

On débute avec une musique façon fête foraine, suivie de cris, le tout tournant bien vite au glauque le plus total, je retiens mon souffle. Puis la voix de Hatria se fait entendre. Autant en parler tout de suite, elle possède une forte maîtrise de celle-ci. On sent le travail derrière. Guitare façon post-punk,« Jackyll » possède pourtant quelque chose de différent, probablement le résultat d'une basse bien plus grave que sur un titre post-punk classique. Peu importe, pour moi ça fonctionne. On parle de meurtre, d'amour et de haine. On enchaîne avec « The Mary's Song » qui reprend les ingrédients du titre précédent avec un effet plus aérien. Les éléments électroniques ne sont pas omniprésents mais savent se faire entendre quand il y en a.

Avec « Deeper & Deeper », l'album prend une toute autre tournure. Rythme martial, synthétiseur, voix criarde, on entre dans de la darkwave électronique, au bord de l'electro-indus façon future pop. Ça parle de sexe, de fétichisme, de sadisme, de chaînes, de fièvre, de corps, d'esprit, d'orgasme, de douleur, d'amour, de mort. Un incontournable du genre. C'est avec un plaisir satisfait que l'on vogue sur « Jane Eyre », référence au roman de Charlotte Brontë. La pression redescend. Calme, avec sa guitare douce, ses chœurs et ses subtils sons de cloches, cette composition, ne vous y méprenez pas, possède une force sans précédent, venant de la puissante voix de Hatria. Un titre qui donne des frissons.

On reprend avec « Love Kills Love », un titre qui est parfaitement en équilibre entre une chanson goth rock et electro-darkwave. Une piste sur laquelle je ne m’épancherai pas plus, n'ayant pas grand-chose à en dire. Passons directement à « Beata Beatrix », une chanson dont les paroles sont ici en italien. Ce titre éponyme est totalement romantique. Que ce soit dans son approche musicale comme dans la façon de chanter. On y sent l'amour et le désespoir, même si le titre n'est pas particulièrement sombre. L'amour justement, est apparemment un thème récurrent de ce disque. Et ce n'est pas « Drakula My Love » qui me contredira. La figure du vampire, la métaphore de celle-ci. Bref je ne vais pas en faire des pages et des pages, vous avez compris de quoi il en retourne, non ? « Inside, inside, more inside that you can ! ». Vous saisissez maintenant ?

Puis vient « Nero ». On change encore une fois de ton. Musicalement il s'agit sûrement d'un des titres les plus sombres, et surtout le plus court, de l'album. Avec une rythmique martiale proche d'un Rosa+Crvx, et une voix glaciale, on plonge on plus profond des abîmes. Mais l'électronique « Fever » nous fait changer de direction avant qu'on ait pu atteindre les rives du Styx. « Fever » est le jumeau de « Deeper & Deeper », même genre de sonorités, même genre de thèmes (sexe, fièvre, enfer...) mais qui est loin d'être un copier-coller tout de même. Un titre fait pour danser.

On change encore une fois de fusil d'épaule et de direction musicale. On garde une boîte à rythme et une boucle électronique mais celle-ci n'est qu'une toile de fond sur laquelle se superposent les guitares qui me font indéniablement penser à celles de Clan Of Xymox. Une composition en forme d'adieu, « Goodbye Hello (Fuck You) » est une rupture. Ni plus ni moins. Il est donc temps de boire pour oublier. Romantisme oblige, c'est à l'absinthe que l'on s'en va trinquer. « The Green Fairy », le titre est tout trouvé. On hallucine, on danse, on désespère, on souffre et on pleure. « Monsieur Charles, où est la vie, où est la mort ? ».

L'album touche pratiquement à sa fin, et l'on entame une sorte de slow gothique avec « Black D. ». Autant dire que l'on ne fait pas ici dans le bonheur. Du tout. La musique est désespérée, les paroles tout autant. On s'y demande pourquoi « Elizabeth » nous a tué sans que l'on sache qui elle était. Mon sourire s’efface toujours à l'écoute de cette piste. À combien d' « Elizabeth » ai-je été confronté... même récemment. On est mort.

On avait réussi à éviter de justesse les rives du Styx, mais il est plus que temps de faire la mythique traversée. On paye le passeur. « Caronte ». On ne pense plus, on ne réfléchit plus, on ne croit plus, on ne sent plus. Toutes les larmes du monde ont formé la plus tragique des rivières. Les chœurs et la guitare mélodique nous bercent, ainsi que le bruit des vaguelettes formées par la barque et le son de la rame du vieil homme. Après tant de fièvre et de fureur, plus rien n'a de goût. Sans espoir, on s'endort du sommeil éternel.

Voilà, le disque est terminé et me laisse pantois. D'une part il est passé à une vitesse exceptionnelle, j'ai l'impression d'y avoir laissé traîner mes oreilles et mon cerveau que depuis dix minutes. D'autre part, le changement constant de direction musicale au sein de l'album ne m'a pas du tout dérangé et n'affecte en rien la cohérence de ce dernier. Je salue doublement la performance. Faire un album désespéré et romantique avec de l’électronique et avec si peu de véritables titres ultra sombres, le tout très dansant, c'était osé. Plus aucune méfiance en moi du coup. Au contraire même. « The New Gothic Generation » porte en fait parfaitement son nom.

« Gothique » ? Oui, l'album possède les thèmes chers à la contre-culture du même nom mais aussi à tous les mouvements dont il est inspiré, littérature, peinture, etc. La mort, l'amour, le sexe, autant de tabous traités avec les différentes figures ésotériques comme Dracula ou Charon. L'impression d'un destin maudit, la fatalité, tout y est. Musicalement on sent les inspirations issues du goth rock, dans les guitares notamment, et de la darkwave dans la façon de chanter avec moult modulations et crissements dans la voix. Et le « New » dans tout ça ? Et bien c'est le côté ultra-électronique qui est combiné aux compositions, une certaine vision qu'ont les jeunes initiés du mouvement. Beata Beatrix a ainsi fait le pont entre deux générations qui ne savent pas toujours s'écouter.

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Aladiah

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