Chronique | La Femme - "Psycho Tropical Berlin" (Album, 2013)


La Femme - "Psycho Tropical Berlin" (Album, 2013)


Tracklist :

01 – Antitaxi
02 – L'Amour Dans Le Motu
03 – Packshot
04 – La Femme
05 – Hypsoline 3:15
06 – Saisis La Corde
07 – Le Blues de Françoise
 08 – It's Time To Wake Up
09 – Nous Etions Deux
10 – La Femme Ressort
11 – Si Un Jour
12 – From Tchernobyl With Love
13 – Sur La Planche
14 – Welcome America

Extrait en écoute :



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Connaissez-vous La Femme ? Les femmes sûrement, la femme dans son ensemble peut-être, une femme plus particulièrement également, mais La Femme ?

2014, je la découvre sur un site de partage de vidéos au travers d'un clip vidéo intitulé « La Femme/Hypsoline ». Je reste scotché par ce que je vois, ce que j'entends. Je fais mes recherches, j'écoute, je glisse, j'apprécie, je partage. Mais mon goût en matière de Femme n'est pas partagé par tous. Autant dire que le groupe ne fait pas l'unanimité au sein de mon entourage : « Arrogants », « prétentieux, présomptueux, pompeux », « bobos insupportables », « musique niaise ». Je décide de chroniquer leur premier album pour comprendre.


2010, naissance de La Femme sur les cendres de S.O.S. Mademoiselle et Les Redoutables. La Femme a la particularité d’être un groupe qui n’est pas figé, à géométrie variable. La Femme n'est, selon le dire de ses membres fondateurs, ni un groupe ni vraiment en collectif, plutôt un groupuscule, une association humaine, un système solaire. Ses planètes sont  originaires de Biarritz, de Bretagne, de Marseille et de Paris et sont gavés d'influences multiples et diverses : Punk et Oi! (Ronnie Bird, Les Vautours, Souris Déglinguée, Sex Pistols, Clash, Jam, Buzzcocks, Ramones), grunge (Nirvana), surf music (Dick Dale, Ventures, TrashmenLink Wray, les Wangs, Cavaliers), synthpop (Marie et les Garçons, D.Stop, Deux, Ellie et Jacno, Kraftwerk, New Order), rockabilly et rocksteady (Gene Vincent, Crazy Cavan, Meteors), swing, jazz. Un joyeux bordel dans lequel le mot d'ordre est « do it yourself forever »

2013, sortie de leur premier disque « Psycho Tropical Berlin », après quelques EP dont « Le podium #1 » en 2011 et « La Femme » en février 2013. Un album classé à la deuxième place des meilleurs albums de l'année dans le magazine Les Inrocks. Pour ce premier opus on retrouve Sacha Got à la guitare et au thérémine, Marlon Magnée au clavier, Sam Lefevre à la basse et Noé Delmas à la batterie, ainsi que pas moins de cinq chanteuses : Clémence Quelennec, Clara Luciani, Jane Peynot, Mathilde Marlière et Marilù Chollet.

La pochette est le fait de La Femme et de Samy Osta. Toujours « do it yourself ». Femme aux seins nus, coiffure années 30, les yeux vides, portant un vase rempli de pilules surmontées d'un papillon, plantée là, au milieu des fougères, avec en arrière-plan des buildings. Ce fond rouge vif et ces yeux sur les côtés, renforçant l'aspect psychédélique. La pochette nous promet du Psycho, du Tropical, du Berlin. Comme si l'album possédait trois facettes. Écoutons ça.

Antitaxi
On s'élance sur la vague avec « Antitaxi »,  le titre le plus agressif de l'album, ce qui n'est, a priori, jamais vraiment une bonne nouvelle pour un disque. Paroles absurdes, hymne punk, synthétiseur acid, thérémine fantomatiques, bruit de klaxon. La ville. On nous invite à prendre plutôt le bus dans une frénésie dansante. Snare très présente, guitare qui swing. Une bonne entrée en matière.
Conclusion : Berlin

L'Amour Dans Le Motu
On plonge la tête en avant dans une vague hypnotique. Un post-punk tribal. Batterie minimaliste, voix cristalline, guitare qui swing toujours, flûte envoûtante. Je ne l'ai pas précisé mais le système solaire de La Femme manie avec une certaine classe, il faut bien l'avouer, l'art du clip vidéo. Il faut absolument jeter un œil sur celui de « L'Amour Dans Le Motu », pour plonger encore plus dans un univers cabaret steampunk orientalo-tahitien à l'ambiance embrumée à l'opium. Une sorte de Tintin et le Lotus Bleu surréaliste et onirique.
Conclusion : Tropical

Packshot
Ambiance plus sombre, sur fond de meurtre. Une sorte de polar d'Agatha Christie mis en musique dans un orient-express froid. Un jeu morbide mis en scène par une new wave sombre aux paroles torturées. Batterie caractéristique du genre, synthétiseur acid, gimmick minimaliste. Chanson courte mais efficace. L'un de mes coups de cœur sur ce disque.
Conclusion : Berlin

La Femme
« La femme vous tend sa main blanche, si vous la saisissez, ce sera le frisson de votre vie ». Voilà comment on nous accueil pour ce cauchemar. Spectrale et sépulcrale, cette chanson est un fantôme qui vous murmure, un rituel vaudou, un appel. « Et si elle vous voit mais qu'elle ne vous reconnaît pas, c'est qu'il reste encore une chance »... Basse ronde, toujours la même guitare devenue reconnaissable au fur et à mesure des compositions, batterie un tantinet tribale, synthétiseur très clair. Le motif instrumental se répète et je risque de ne plus avoir grand-chose à communiquer là- dessus pour les chansons restantes, maintenant que les ingrédients ont pratiquement tous été repérés.  Reste que « La Femme » est un frisson musical qui n'est qu'un chemin vers la pièce maîtresse de l’œuvre : « Hypsoline ».
Conclusion : Psycho

Hyspoline
J'ai nommé mon chat « Hypsoline ». Cela en dit long sur la marque que m'a laissée ce morceau. Encore une fois, le clip est indispensable pour extraire toutes les saveurs de ce titre, le genre d'ambiance dont je raffole. Avec ses paroles cryptiques et absurdes, « Hypsoline » est un poème sans queue ni tête (contrairement à mon félin). Un délire burlesque, une soirée décadente, une soirée freaks, un film d'épouvante, un écho de « L'Amour Dans Le Motu », une séance folle d'alchimie mystique, une séance de torture loufoque, un cabaret néo-romantico-gothico-rococo-berlinois-baroque granguinolesque. Ésotérique. Érotique.
Conclusion : Berlin

Saisis La Corde
Après avoir rejoint les ténèbres et l'absurdité la plus totale, voilà que l'ambiance se fait plus intimiste. Plus triste aussi. Battement de cœur... Petite mélodie façon orgue de barbarie. La joie n'est pas au rendez-vous. On range les guitares qui swing, on verse une larme. C'est le bout du tunnel.
Conclusion : Berlin

Le Blues de Françoise
Petite comptine triste, ou longue complainte, ce « blues » est un peu le jumeau du titre précédent. Des sons distordus en dents de scie dans une brume épaisse et spectrale, comme dans un vieux film d'épouvante, ou dans une musique d’église, et les chœurs fantomatiques, enveloppent le morceau d'une étrange clarté. Un morceau de chocolat.
Conclusion : Psycho

It's Time To Wake Up
Le creux de la vague. Trip post-apocalyptique un peu mièvre, doucereux, naïf, qui s'accorde mal avec le reste de l'album. J'aurais préféré voir le titre Paris 2012 ou Télégraphe à la place, titres qui manquent grandement à cet album d'ailleurs. Minimaliste, long, glacial et lancinant, des chœurs invitant à un long voyage, une filiation probable avec le Velvet Underground. C'est l'heure de se réveiller et de remonter la pente que l'on vient de dégringoler en quelques titres.
Conclusion : Psycho

Nous Etions Deux
Le retour de la new wave swing. Autant j'accroche bien à la mélodie, autant les paroles font résonner de mauvaises choses en moi, certaines choses qui devraient rester enfouis. C'est donc à regret que je zap généralement ce titre. Je dirais juste qu'il est chaud et humide. Un peu absurde aussi. On reprend les ingrédients et on retrouve une moiteur endiablée.
Conclusion : Tropical

La Femme Ressort
Ritournelle entêtante, un peu vide, récitée par une poupée mécanique sur un piano déglingué,  façon « Poupée Mécanique » de Die Form. Totalement hypnotique et naïf. Un petit côté krautrock façon Neu!, Cluster, Faust ou bien encore Can.
Conclusion : Psycho

Si Un Jour
On sort du creux de la vague et on retrouve la crête. On retrouve l’énergie post-punk d'« Antitaxi », avec une chanson qui, comme « Nous Etions Deux » résonne en moi de manière très forte, dans le bon sens cette fois. Rêves d’indépendance et d’égalité Homme/Femme. Chanson sacrément trop courte. 3ème sexe power.
Conclusion : Berlin

From Tchernobyl With Love
Voilà un titre déstabilisant. Paroles non chantées, lues comme on lit une carte postale. Un côté pop électronique kraftwerkien à mi-chemin entre un lent « Das Model » et une thématique nucléaire à la « Radioactivity ». Une mélancolie certaine.
Conclusion : Berlin

Sur La Planche
Caisse claire, grosses basses. On reprend un rythme post-punk et les guitares hypnotiques. « Sur la planche, je ressens des sensations », pour le coup ça marche. On est sur la vague. Le Femme réussi le parfait mélange post-punk/surf music, me propulsant au passage au temps des Talking Heads ou B-52's. On vient de surfer la vague à la manière d'un « Sand City Night » de Tongue, mais survitaminé.
Conclusion : Psycho

Welcome America
Un son très américain, année 60, période yéyé/surf music. On s'attend à voir les Beach Boys débarquer. Une invitation à partir vers un ailleurs plus ensoleillé, on l'on nous exhorte de fuir La Femme. Conclusion étrangement paradoxale.
Conclusion : Tropical

Alors « Arrogant,  prétentieux, présomptueux, pompeux » ? Peut-être oui, mais force est de constater que le résultat fonctionne. Se cherchent-ils encore ? Provocations gratuites ? Surréalisme creux pour attirer de pseudo-hipsters ? Je n'en ai cure. Le son me parle, c'est tout ce que je retiens. Et en parlant de son, celui-ci est léché. Un joyeux bordel d'influences oui, mais un chaos bien agencé. Même la multitude de chanteuses n'est pas problématique car leurs voix sont finalement assez semblables. La Femme sonne toujours comme La Femme, que ce soit Psycho, Tropical, ou Berlin. Marlon a dit dans une interview « Sur l’album il y aura de toutes les humeurs, des musiques à écouter le matin, d’autres tristes, d’autres plus joyeuses. Il faut voir ce disque comme un voyage : d’ambiances supers dark et deep vers l’espérance et le bonheur. ». À partir de là tout est dit.

Cette femme là est fatale. Et pour ceux qui ont encore besoin de se décoincer, une seule solution : 4,7 mole d'Hypsoline...

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Aladiah






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