Interview | Maxime Taccardi, juin 2015



K.F.R. est le projet Ritual Ambient/Black Metal de Maxime Taccardi. Le nom vient du mot arabe "kāfir", qui signifie mécréant et qui est inscrit sur le front de l'Antichrist dans la tradition musulmane. Les premières pistes ont été enregistrées en 2006, avant que le projet prenne de l'ampleur en 2013 lorsque l'artiste ait ressenti le besoin d'associer la musique et la peinture au sein d'un même projet. Les artworks sont aussi importants que la musique elle-même dans ses travaux, c'est également le cas pour ses vidéos. Nous espérons que cette interview éclairera le lecteur sur l'intérêt de cette oeuvre et l'introduira dans l'univers de l'artiste. 




- Bonjour Maxime. Peux-tu te présenter aux lecteurs qui ne connaissent ni ton oeuvre ni tes projets?


Salut à toi, je suis artiste et également derrière le projet black metal/dark ambient K.F.R par lequel j'extrapole mes peintures et visions sur le plan sonore.






- Peux-tu nous présenter la notion d' "Art Total" dont tu t'inspires pour tes créations? Quels sont les supports que tu cultives?


Par ce terme, je désigne la corrélation qui existe entre mes peintures et la musique que je crée. Je tends à provoquer une alchimie qui unit ces deux entités de manière à n'en former qu'une seule dont les éléments sont indissociables. Outre Wagner qui était l'instigateur de cette idée d'art total, il y a également Scriabine qui par son clavier oculaire a tenté d'atteindre la synesthésie, c'est à dire l'unification des cinq sens en une manifestation cosmique.


- Comment procèdes-tu pour la composition de tes morceaux?


Cela dépend, parfois je m'en remets à l'improvisation et d'autres fois je répète des successions de riffs jusqu'à trouver le morceau que je recherche. Les demos dark ambient sont en grande partie improvisées, la notion de diabolus in musica ou triton est également utilisée pour certaines parties.






- Pourrais-tu nous présenter les trois premiers albums de K.F.R (thématiques, style etc.)? Y a-t-il des différences notoires entre ces opus?


Dès le départ du projet, j'avais en tête une trilogie black metal, le premier Anti est un album atmosphérique reprenant des idées que j'avais depuis plusieurs années, ensuite, Nekro est plus typiquement black metal et le troisième que je nommerai Zero sera la conclusion de ce triptyque. En dehors de cette trilogie viennent des enregistrements expérimentaux et éloignés du black metal comme l'album Death March qui est une sorte d'electronic black noise. Cet album devrait sortir sous peu en tape et digipack.







- Y aura-t-il d'autres albums? Tu parles en effet de K.F.R comme d'un projet "mort-né"


Zero sera le dernier album de la trilogie black metal, je n'exclue pas les splits à l'avenir mais je doute qu'après cet ultime album, j'aie encore des chose à dire en terme de black metal. Peut être sous la forme d'un autre projet.


- La mort est très présente dans ton oeuvre, comment l'expliquerais-tu?


La mort est ce qui nous attend tous, quelque soit le milieu dans lequel on vit, ce concept de fin ultime est fascinant et l'appréhender à travers l'art est pour moi une manière de l'apprivoiser.


- Tu peins avec ton sang: s'agit-il d'un rituel ou bien d'une volonté de catharsis?


Je dirai qu'il s'agit des deux, le sang est un matériau noble par essence, il est pour moi une manière de m'immiscer dans l'Oeuvre. Chaque travail réalisé ainsi garde irrémédiablement un peu de moi et par la même, cela renvoie à ma propre mortalité car le sang, après quelque jours, change quelque peu de couleur, comme si l'âme y étant contenue, s'en évaporait.







- Que représente l'obscurité pour toi? Et la lumière? L'histoire de l'art en occident est marquée par une réflexion sur le "clair-obscur", te situes-tu dans cette mouvance?


Le clair-obscur, au delà de la technique, possède une symbolique forte et communément manichéenne, en revanche, il est parfois intéressant de renverser les codes et de créer la notion de peur et de ténèbre de part la lumière. J'aime beaucoup le travail du Caravage ainsi que de Rembrandt qui ont tous deux été des représentants de cette mouvance.





Judith décapitant Holopherne (Caravage, 1599)



- Tu es connu dans l'univers du Black Metal pour tes artworks uniques, et tu travailles beaucoup avec d'autres artistes comme Drowning The Light… Comment ces collaborations ont-elles été rendues possibles et surtout, que rendent-elles possible?


Au départ, ce qui m'intéressait était de créer une alchimie entre le son et l'image c'est pourquoi par la suite je me suis tourné vers mon propre projet musical. Je continue de travailler pour différents groupes qui me contactent le plus souvent par l'intermédiare de ma page facebook. Azgorh de Drowning the Light est ami de longue date, nous travaillons donc ensemble dans un respect mutuel.











- Pourrais-tu nous présenter le split que tu t'apprêtes à sortir avec le OMB chinois, Enemite? 


Ce split m'a été proposé par Dani du label Goatowarex qui m'a demandé si j'étais intéressé de produire quelque chose qui irait de pair avec Enemite. Les titres de Enemite sont en fait tirés de la demo jamais sortie, j'ai également réalisé la pochette de la réédition de l'album d'Enemite qui devrait sortir en même temps que le split, cependant, j'ignore encore quand. Mes titres pour ce projet sont très torturés et ritualistes, l'auditeur va devoir s'accrocher pour en venir à bout. Mon maître à penser en terme musical est Conrad Schnitzler,en effet, sa manière de voir les choses m'ont profondément touché. Ses travaux ont brisé les conventions de l'époque en terme de musicologie. Je suis également très intéressé par la notion de "silence" initiée par John Cage et son "4min33" qui tend à rendre compte de l'impossibilité du dit "silence" puisque des éléments extérieurs vont forcément intéragir afin de le briser. 



- Es-tu collectionneur d'art? Y a-t-il des peintres/sculpteurs/cinéastes… qui t'ont inspiré?


Je ne collectionne pas d'art mais je suis admiratif de l'art en général, celui qui vient des tripes. Après, l'élitisme qui parfois existe dans ce domaine est à proscrire, l'art devrait être ouvert à tous et non réservé aux pseudo intellectuels qui se croient chargés d'une mission divine.


- Tu es professeur d'art mais aussi de kickboxing, quelle est l'importance du corps selon toi?


Le corps est un temple, le réceptacle de l'âme en quelque sorte, l'entrainement et la rigueur sont des notions qui ne me quittent jamais. Je me suis forgé cet état d'esprit dès mon plus jeune âge.


- Que révèle ton oeuvre de ta conception de l'humanité?


L'art que je représente est associé à la propension de l'humanité à se nuire. Si demain, le monde devenait un havre de paix et bien je n'aurais plus rien à dire ni concevoir mais je doute que cela arrive et d'une certaine manière, le souhaite-t-on vraiment?


- Merci beaucoup de t'être prêté au jeu de l'interview. Pour conclure, pourrais-tu présenter et commenter trois de tes oeuvres graphiques récentes?

Merci à toi pour cette interview, pour les trois oeuvres, je propose celles ci:


Cancer: Il s'agit de la représentation de la souffrance liée à cette maladie qui a emporté mes parents. En conséquence, cette peinture est importante pour moi.




God Told me to: Il s'agit de la représentation de la foi la plus inébranlable: 
"Au milieu de l'angoisse et de la détresse où te réduira ton ennemi, tu mangeras le fruit de tes entrailles, la chair de tes fils et de tes filles que l'Eternel, ton Dieu, t'aura donnés." Deuteronome 28:53 
Il s'agit également d'un parallèle moderne avec l'oeuvre de Goya intitulée "Saturne dévorant ses enfants".




Šayṭān: Réalisée avec mon sang, il s'agit de la représentation du mal, celui qui réside en chacun de nous, le diable n'étant que le miroir de notre propension à détruire.



Interview: Tom


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